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GUÉRIR LE MAL TOGOLAIS : SE RECONSTRUIRE CULTURELLEMENT*

D 27 février 2016     H 05:33     A     C 0 messages


Il faut toujours féliciter un auteur togolais dès lors qu’il tente d’expliquer l’exception togolaise résumée dans le « mal togolais ». Il s’agit de Gilbert Sassou Attisso qui dans son livre « le mal togolais 1 » rappelle une grande majorité de la population a renoncé à l’alternance politique comme facteur de changement. Est-ce un manque de stratégie ? Est-ce la mauvaise qualité des élites qui optent d’abord pour l’argent et ensuite pour la défense des intérêts des populations ? Avec 109 ou 110 partis politiques pour moins de 7 millions d’habitants sans la Diaspora togolaise non recensée, il ne faut pas s’étonner que les stratégies sans unité fondamentale de l’opposition soient vouées à l’échec.

1. UN ALIGNEMENT ALIMENTAIRE, D’ABORD

La réalité est qu’une majorité des citoyens togolais, face à la contrevérité des urnes et les soutiens des pays occidentaux au régime en place, semble avoir renoncé à une forme de lutte organisée et collectif… Les citoyens y ont substitué une sorte d’alignement communautariste sur « celui qui peut apporter à manger d’abord, aura notre suffrage…. Après on verra » !

13 janvier 1963, soit plus de 53 ans en arrière, le Togo a connu le 1er coup d’Etat en Afrique avec l’assassinat du premier Président élu du pays, Sylvanus Olympio. Pourtant selon Godwin Tété-Adjalogo, « le mot d’ordre « Ablodé » qui, dès les premières heures de la lutte a motivé et mobilisé les combattants de la liberté, avait pour finalité : la démocratie, la justice et la paix. La démocratie, parce que nous aspirions à une société de partage et de solidarité. La paix, parce que nous voulons créer une nation de non-violence où tous les citoyens se sentirons en sécurité pour participer à l’œuvre de construction nationale 2 ».

Le mal Togolais a donc des racines historiques. Mais le problème de fond réside peut-être plus dans la conception culturelle du pouvoir autocratique adossé à des réseaux mafieux et militarisés où le partage de la richesse se fait uniquement par celui qui détient le pouvoir. Ce pouvoir s’appuie sur les forces et des pouvoirs de type militaire, juridique avec le contrôle de la justice, des religieux, notamment certains ecclésiastiques, et aussi sur certains cercles ésotériques.

Aussi, il semble que le mal togolais consiste à ne pas vouloir penser la création de la richesse comme la résultante du travail, de la compétence, de la productivité et de l’accumulation de la valeur ajoutée… mais comme un accaparement de richesses existants notamment des matières premières et leurs exploitations en vase clos ou au sein d’un cercle fermé avec comme condition des allégeances.

Il y a manifestement une absence de stratégie collective et un véritable refus de volonté « conscient ou inconscient » de se structurer collectivement. Cela est très caractéristique des partis politiques et leurs nombreux tentatives d’unités qui ont systématiquement foirées, non sans avoir parfois contribués à verser le sang de Togolais et Togolaises innocents.

2. LA BRUTALITÉ COMME MODE DE GOUVERNANCE DE L’ALIGNEMENT

En réalité, deux camps ont pris en otages le pays. Si Gilbert Attisso met l’accent sur les affrontements entre les courants politiques sur le terrain dans les années 1960 « les Progressistes et les Nationalistes », tous ont pris une certaine distance des positions des pays non-alignés qui ont en 1956, -lors de la conférence de Bandung 1956 – proposés de ne pas s’aligner sur l’une ou l’autre grande puissance de l’époque (Etats-Unis et pays occidentaux/Japon d’un côté et l’Union soviétique et ses satellites de l’autre). En réalité, la guerre froide a contribué à faire sauter l’option de la neutralité au point où de nombreux pays africains étaient sous-tutelle indirecte -du fait de la postcolonie-, des pays alignés. Il suffit de rappeler le rôle du Franc CFA dans les pays francophones d’Afrique pour s’en convaincre. En réalité, les forces dites Progressistes se sont appuyée au plan financier et militaire sur les forces extérieures notamment les services secrets des ex-pays colonisateurs. Aussi, ces services secrets qui ont contribué à mettre en place secrètement des accords de défense et sur la monnaie, ont aussi permis d’organiser les « gardes présidentielles » et les armées africaines qui ont choisi :

L’extrême brutalité pour préserver ou conserver le pouvoir ;
l’usurpation des résultats des élections avec des modifications intempestives des Constitutions et Loi Fondamentale en Afrique pour soit maintenir au pouvoir la personnalité qui défendait leur intérêt, voire de l’évincer pour prendre le pouvoir directement.
Ainsi, l’arrivée des Nationalistes africains au pouvoir au Togo était une menace et cela a été réprimé dans le sang avec l’instauration de régime fondée sur la peur et la brutalité. Sylvanus Olympio fut ainsi le premier martyr de cet état de fait. L’origine du mal togolais se trouve donc directement dans l’émergence de la postcolonie. Il fallait mettre au pouvoir des dirigeants qui ne contesteront pas le pouvoir indirect des ex-colonisateurs ou tout en permettant un enrichissement personnel de ceux qui se sont accaparés un pouvoir et permettaient de faire « oublier le mal colonial » et faire de la postcolonie, un mal « noir ».

Aujourd’hui en 2016, ce sont les conséquences de ces luttes qui perdurent. Les partis de l’opposition togolaise ne semblent pas l’avoir perçu. En cela, il y a manifestement une exception togolaise en matière de politique. Le bilan des actions de l’opposition reste globalement négatif.

3. LA TRAHISON DE LA RÉSISTANCE COMME MODE D’ACCOMPAGNEMENT DE L’EXISTANT

En réalité, il n’y a pas d’opposition puisque le principe même qui permet d’aller vers des victoires repose sur l’unité. Et cette unité est soit défaillante, soit absente, soit inexistante sur fond de trahison, d’opportunisme, de égo démesuré et aussi de désintérêt pour la démocratie dès lors que l’argent peut couler vers certains d’entre eux, surtout s’il vient du pouvoir et permet de préparer le chemin vers une sorte de « gouvernement d’union nationale » où chacun pourrait « toucher » une partie de l’argent public et des contribuables comme responsable d’une opposition factice.

Toutes les formes d’opposition choisies au Togo, souvent sans stratégie d’ensemble et sans unité préparée de longue date avec un programme économique crédible se sont soldées par des échecs. Les mouvements collectifs deviennent rapidement des luttes intestines ou de personnalités. Une culture politique proche de celle du caméléon a construit un système où certains des responsables des partis politiques travaillent le jour dans l’opposition et la nuit avec le pouvoir, non sans encaisser au passage l’argent comme un certains Judas dans l’histoire judéo-chrétienne.

4. LES INCOMPRÉHENSIONS EMPÊCHENT L’EMERGENCE DES SOLUTIONS PRAGMATIQUES

Pourtant des solutions pragmatiques pourraient émerger si tous les partis d’alternance crédibles acceptaient une règle commune pour faire des « élections primaires » pour faire émerger des équipes compétentes et un programme de gouvernement. Malheureusement, cette approche est considérée comme « tabou » ou est systématiquement court-circuitée par les traitres ou des agents d’un pouvoir très actif. Mais les égos démesurés font que dans les partis d’opposition, il n’y a pas de culture de l’élection du chef, encore moins de véritables alternances au sommet. Aussi, c’est la trahison des uns qui permet de faire émerger un parti comme ce fut le cas de l’Union des Forces du Changement (UFC) de Gilchrist Olympio et l’Alliance nationale pour le Changement (ANC) de Jean Pierre Fabre. Et tout ceci à partir d’une décision de Gilchrist Olympio de ne pas aller à des élections manifestement truquées d’avance. L’ANC a décidé d’y aller. Résultat, une rupture profonde et le régime RPT/UNIR de se réjouir de pouvoir se maintenir sur la base des divisions de personnes et en profitent pour les inviter à « partager le pouvoir ». Gilchrist Olympio y a envoyé ses représentants. Jean Pierre Fabre doit certainement attendre le moment favorable compte tenu de son choix de légitimer le pouvoir en participant aux dernières élections présidentielles de 2015, elles-aussi manifestement non transparentes.

En fait aucun des partis d’opposition ne choisit son dirigeant sur la base d’un vote à bulletin secret ou à main levée, et si lorsque certains membres des partis s’évertuent à faire des critiques internes et que cela se résume à des expulsions et des créations de nouveaux partis…, il faut bien croire que le mal togolais est profond.

En réalité, les 109 ou 110 partis politiques togolais doivent prendre conscience que pour gagner il faut pouvoir s’agglomérer pour ne représenter que deux ou trois grands mouvements. Comme le système militaro-civil de Faure Gnassingbé n’est pas prêt à faciliter l’alternance en promouvant l’opposition alimentaire, il faut s’attendre, sauf surprise, que le mal togolais reproduise les mêmes effets en 2020.

5. RETROUVER LA CONSCIENCE DE DEFENSE DES INTERETS DES POPULATIONS

Il est donc suggéré que les responsables politiques de l’opposition retrouve leur conscience de défense des intérêts des populations en se réorganisant pour aller vers :

a) la création d’une Confédération des partis et organisations de l’alternance politique et socio-économique au Togo non sans oublier l’alternance culturelle ;

b) l’organisation des Etats généraux préparant des primaires uniquement entre les partis de l’alternance avec des élections pour choisir les représentants qui devront céder leur place sur une base tournante ;

c) la mise en place d’un programme commun de gouvernement avec les actions concrètes dont le financement ne doit pas venir exclusivement que des bailleurs des fonds ;

d) un recensement de la Diaspora togolaise à partir des enregistrements dans les Ambassades togolaises avant d’accepter de considérer la Diaspora comme une entité indépendante qu’il ne faut pas « vassaliser » mais soutenir pour permettre le retour de la confiance avec la valorisation des expertises togolaises à l’étranger 3 ;

e) un choix volontaire d’opter pour l’exemplarité dans les pratiques afin de servir de modèle et proposer au peuple togolais, une communauté de destin fondée sur l’économie de proximité.

Aussi, il importe de rappeler les écrits d’Achille Mbembe : « Pour construire un monde qui nous est commun, il faudra restituer à ceux et celles qui ont subi un processus d’abstraction et de chosification dans l’histoire la part d’humanité qui leur a été volée. Dans cette perspective, le concept de réparation, en plus d’être une catégorie économique, renvoie au processus de réassemblage des parts qui ont été amputées, la réparation des liens qui ont été brisés, la relance du jeu de réciprocité sans lequel il ne saurait y avoir de montée en humanité. Restitution et réparation sont donc au cœur de la possibilité même de la construction d’une conscience commune du monde, c’est-à-dire de l’accomplissement d’une justice universelle 4 ». Le Togo ne peut échapper à échapper à ce processus. La parenthèse du régime autocratique et du système de Faure Gnassingbé ne pourra pas ad vitam aeternam empêcher les Togolais et Togolaises de reconstruire leur conscience commune du Togo, un bien commun de tous. L’histoire des Togolais 5 ne peut se résumer à l’histoire de deux familles et ne peut se limiter à des formes modernes de l’esclavage culturel ou d’un libéralisme mafieux 6. Dr Yves Ekoué AMAÏZO.

7 février 2016

Notes :

 1 Attisso, G. (2014). Le Togo autrement. Le mal Togo. Editions l’Harmattan : Paris. ↩
 2 Tété-Adjalogo, T. G. (2000). Histoire du Togo. La palpitante quête de l’Ablodé : 1940- 1960. Avec une préface de Gilchrist S. Olympio. Editions NM7 Paris. ↩
 3 Amaïzo, Y. E. (Coord.) (2005). L’Union africaine freine-t-elle l’unité des Africains ? Retrouver la confiance entre les dirigeants et le peuple-citoyen ? Editions Menaibuc : Paris. ↩
 4 Mbembe, A. (2013). Critique de la Raison nègre. Editions la Découverte : Paris, p. 261. ↩
 5 Gayibor, N. L. (Dir.) (1997 ; 2005 ; 2005). Histoire des Togolais. Vol. 1. Des origines à 1884 ; Vol. 2. Tome 1. De 1884 à 1960. Vol. 2. Tome 2. De 1884 à 1960. Presses de l’Université de Lomé, Togo. ↩
 6 Labarthe, G. (2005). Le Togo, de l’esclavage au libéralisme mafieux. Editions Agone : Marseille. ↩

Source : http://cvu-togo-diaspora.org