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La Presse Togolaise en danger !

D 18 octobre 2010     H 04:49     A     C 0 messages


le texte intégral du mémorandum signé par un collectif de journalistes togolais indignés et préoccupés par les tentatives de musellement de la presse dans leur pays.

La presse togolaise traverse depuis la présidentielle du 4 mars 2010 une situation alarmante consécutive à la dégradation du climat politique dans le pays. En effet, la répression systématique qui s’abat sur les militants et responsables des partis politiques qui contestent la réélection de Faure Gnassingbé n’épargne pas la presse privée jugée critique à l’égard du pouvoir. Les tentatives de corruption, les intimidations, les menaces, les agressions de journalistes sur les lieux de reportage constituent le quotidien de la presse privée au Togo. Ces différentes menaces et autres intimidations ont contraint certains journalistes à s’abstenir de participer physiquement aux débats sur des chaînes de radio de la place.

De plus, la situation délétère que traverse la presse togolaise s’est accentuée depuis quelques mois par des plaintes en cascade visant un certain nombre d’organes de presse privée. Sous prétexte de supposés dérapages, les gouvernants avec en tête le Président de la République Faure Gnassingbé s’inscrivent dans une logique de musellement systématique de la presse par l’entremise de plaintes devant des tribunaux assorties d’amende record.

Le 18 mai 2010, trois journaux à savoir le bihebdomadaire « Le Correcteur », les quotidiens « Forum de la Semaine » et « Liberté » ont été assignés devant la justice par la Direction Générale de la Police Nationale pour publications de fausses nouvelles et diffamation. Cette citation à comparaître devant le Tribunal de Première Instance de Première Classe de Lomé est consécutive à des articles parus dans ces journaux suite à une course poursuite entre deux policiers et un conducteur de taxi-moto qui y a malheureusement trouvé la mort. L’affaire est toujours pendante devant les tribunaux.

Le 15 juillet 2010, la HAAC (Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication) a saisi le Tribunal de Première Instance de Lomé aux fins d’interdiction de deux émissions interactives sur Radio Victoire FM et X-Solaire sous prétexte de dérapages. Face au tollé suscité par cette démarche de cette institution chargée de protéger la liberté de presse, les responsables de la HAAC se sont ravisés, arguant que ce n’était pas de leur intention d’intenter des procès en justice contre ces deux radios. Et pourtant les responsables de ces deux radios ont bel et bien reçu des assignations de la justice sur ordre de la HAAC.

Dans le courant du mois d’août, des informations ont fait état de ce que des journalistes jugés critiques et des animateurs de certaines émissions politiques seraient sur une liste rouge à abattre. Suite à cette information, des individus non identifiés se sont rendus au domicile du journaliste Justin Anani du journal Crocodile News. Depuis cette curieuse visite, le confrère est contraint de rentrer dans la semi-clandestinité.

Le 6 août 2010, de retour d’un reportage, le journaliste Faustin Yékini Radji a été victime d’un accident de circulation dans des conditions non encore élucidées. Trois jours plus tard, c’est-à-dire le 9 août 2010, il décède au CHU Tokoin. Jusqu’à ce jour l’engin et l’auteur de l’accident n’ont pas été identifiés. Cet accident mortel étant intervenu au moment où notre confrère menait des investigations sur un dossier sensible, il y a lieu de se demander s’il a été victime d’un simple accident.

Le 10 août 2010, alors qu’il était sur le lieu de reportage d’une manifestation de l’UFC, le journaliste Agbédivlo Komi alias Didier Ledoux du quotidien Liberté a été violemment pris à partie par le lieutenant-colonel Romuald Letondot, coopérant militaire français et conseiller du chef d’Etat-major de l’Armée de terre sous prétexte qu’il a été pris en photo par le journaliste. Dans ses propos, il a menacé de faire appel au régiment para commando de la garde présidentielle pour rétablir l’ordre. Face à cet incident très grave qui a indigné le monde entier et contraint le ministère de la défense française à le désavouer dans un communiqué, la HAAC a publié le 13 août une curieuse déclaration pour disculper l’officier en question et charger le journaliste Didier Ledoux.

Le 15 août 2010, le journaliste Jérôme Sossou Directeur de Publication du journal « Le Triangle des Enjeux » dont le nom figurerait sur cette liste rouge a été entendu par la HAAC qui cherchait à avoir beaucoup plus de précisions sur les tenants et les aboutissants de ces menaces. Le Secrétaire Général de l’UJIT (Union des Journalistes Indépendants du Togo) a assisté à cette rencontre. La question de la liste rouge a fait l’objet d’une saisine du HCDH (Haut Commissariat des Droits de l’Homme) qui s’est approché des journalistes visés pour d’amples informations. Toujours dans le même sens, il faut mentionner les menaces téléphoniques anonymes après les émissions interactives, les menaces au lendemain de certaines parutions.

Le 25 août 2010, après avoir pris des images du Palais de Justice de Lomé lors d’une série de procès contre la presse, le journaliste Didier Ledoux visiblement ciblé par la Gendarmerie nationale, a été de nouveau pris à partie par ces derniers avant d’être embarqué dans un véhicule de patrouille N°0072 A GN sous prétexte qu’il n’avait pas le droit de prendre en image l’immeuble du Palais de Justice. Quelques minutes plus tard, il a été relâché en cours de chemin après avoir été proprement roué de coup et piqué d’un instrument dont on ne connaît pas jusqu’alors la nature.

Ces violences successives contre le journaliste Didier Ledoux en moins de deux semaines sont une preuve du harcèlement et de l’acharnement qui ont cours présentement contre les journalistes au Togo.

Le 25 août 2010, le journal Tribune d’Afrique a été condamné au terme d’une parodie de procès à payer 60 millions FCFA à titre de dommages et intérêts et une amende de 6 millions et une interdiction de paraître sur l’étendue du territoire national pour avoir cité Mey Gnassingbé, l’un des frères cadet du chef de l’Etat, dans un article sur le trafic de drogue au Togo.

Ce même jour du 25 août, L’Indépendant Express était devant les tribunaux pour une plainte déposée par le chef de l’Etat sur une affaire de femme. Il réclame 100 millions de FCFA à titre de dommages et intérêts, la destruction des exemplaires mis en circulation et la publication dans des journaux de large diffusion de la décision rendue. A l’ouverture de l’audience de l’affaire « L’Indépendant Express »/ Faure Gnassingbé », le Procureur de la République a demandé la jonction de ce dossier à celui d’une autre affaire similaire dans laquelle les mêmes parutions de cet hebdomadaire sont incriminées. Le président de séance a renvoyé l’affaire au 29 septembre 2010.

Le lundi 30 août 2010, l’hebdomadaire l’Indépendant Express a reçu une nouvelle plainte du chef de l’Etat suite à la publication d’un article dans lequel le journal critique les voyages intempestifs et la gouvernance du chef de l’Etat. Dans cette nouvelle affaire, le plaignant réclame 150 millions FCFA et le journal comparaîtra le 29 septembre prochain.
Ce même jour du 25 août 2010, la direction du quotidien Liberté a reçu deux citations directes suite à une requête de Faure Gnassingbé, Président de la République. La première pour laquelle le journal comparaît le mercredi 08 septembre 2010, a trait à un article dans lequel le journal critique la gestion qui est faite du pays, l’ingérence du pouvoir exécutif dans les affaires du judiciaire… La seconde plainte est relative à un article sur la gestion des affaires de l’Etat au Togo et la prédominance du sexe sur celle-ci. La première audience au cours de laquelle cette seconde affaire sera évoquée est fixée au 29 septembre 2010.
L’hebdomadaire La Lanterne n’est pas du reste. Il est également cité à comparaître le 08 septembre 2010 suite à une autre plainte de Monsieur Faure Gnassingbé. Le journal critique aussi la misère qui sévit dans le pays alors que les tenants du pouvoir mènent un train de vie inimaginable. Comme dans le cas des deux plaintes reçues par Liberté, le chef d’Etat demande que les requis soient solidairement condamnés « à lui payer la somme dont le montant sera précisé au moment opportun à titre de dommages et intérêts ».

Le mardi 31 août 2010, le journaliste Augustin Koffi Amégah de l’hebdomadaire le Canard Indépendant a été invité par le Procureur de la République, Robert Bakai pour échanges suite à un article sur les conditions de l’assassinat du Commandant Paul Atta Comlan. Le journaliste a, dans sa parution, déclaré que cet article est le début d’une série de publication sur l’assassinat de plusieurs officiers des FAT. Si les échanges se sont déroulés dans une ambiance de courtoisie, il n’en demeure pas moins que c’est une façon insidieuse de pression sur le journaliste.
Il est à noter que depuis un certain temps, les forces de sécurité déployées pour réprimer les manifestations du FRAC et alliés, s’emploient à lancer systématiquement des grenades lacrymogènes sur les journalistes alors que ces derniers sont facilement identifiables par leurs chasubles.

Il est certes du devoir d’un citoyen qui se sent diffamé par un article de presse de saisir les institutions avérées pour la réparation du préjudice. Dans ce cas on ne s’en tient qu’au code de la presse et de la communication qui prévoit les sanctions requises pour les différents délits. L’usage du code pénal est une preuve que le pouvoir est décidé d’en finir avec les organes de presse jugés critiques. C’est dans ce sens que s’inscrit les plaintes actuelles participent d’un vaste projet de musellement et de bâillonnement de la presse critique en vue d’asseoir définitivement un pouvoir autoritaire. Les déclarations du ministre de la communication qui traitaient récemment sur une radio locale les journalistes de « manipulés », de « bandits » manifestant sa ferme volonté à mettre de l’ordre dans la corporation en sont une preuve. Il en est de même du procès contre le journal « Tribune d’Afrique » qui n’a duré que 15 minutes sans avocat de défense nonobstant la demande de report exigé par le directeur de publication afin de pourvoir constituer son conseil.

Malgré les milliards investis par les partenaires pour sa modernisation, il est regrettable de constater que la Justice togolaise est devenue un instrument aux mains de l’exécutif qui s’en sert pour régler des comptes à la presse.

La gravité de la situation à travers les entraves au libre exercice de la liberté de la presse appelle de la part des journalistes une prise de conscience pour la défense de la liberté de presse au Togo. La mise sur les fonts baptismaux du Collectif « SOS Journalistes en Danger » répond aux soucis de protéger les journalistes contre les menaces et autres entraves d’où qu’ils viennent.

C’est donc pour éviter que le Togo ne retombe dans les pages sombres de son histoire faite de menaces, d’agressions, de harcèlements, d’intimidations, d’assassinats, de plasticages des sièges de journaux ou de toute autre forme de bâillonnement de la presse que ce collectif a vu le jour.

Nous invitons pour ce faire, les organisations des droits de l’homme, les associations de défense des journalistes sur le plan national et international, les chancelleries et tous ceux qui sont attachés à la liberté de presse de prendre la mesure de la gravité de la situation afin d’inviter les autorités togolaises à cesser dans les plus brefs délais les manœuvres rétrogrades de caporalisation de la presse privée// Fait à Lomé, le 3 septembre 2010 //FIN

Source : http://www.ouestaf.com