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50 ans après - La « Bataille d’Alger »

D 19 janvier 2006     H 18:51     A Afriques en Lutte     C 0 messages


L’anniversaire du début de la « Bataille d’Alger » est l’occasion de rappeler ce que fut cet épisode sanglant de la guerre d’Algérie, qui a permis à l’armée française d’éradiquer l’influence du FLN dans la capitale, mais en recourant à des méthodes révélatrices de la nature de cette guerre coloniale.

Le 8 octobre 1957, dans une maison de la Casbah d’Alger, Ali La Pointe, ancien voyou devenu militant et responsable du FLN, est réfugié dans une cache. Il refuse de se rendre alors que la demeure est encerclée par les parachutistes français. Ces derniers font alors exploser la maison qui s’effondre, ainsi que sa voisine, causant la mort de plusieurs personnes en plus du dirigeant indépendantiste. Cet épisode, un des plus célèbres de la « Bataille d’Alger », témoigne de la violence de la répression pendant la guerre d’Algérie. L’historien Gilbert Meynier préfère d’ailleurs parler de « grande répression d’Alger » plutôt que de bataille au vu de la disproportion des moyens militaires et compte tenu des tâches plus policières que militaires qui ont été mises en œuvre1. Une répression qui a eu des conséquences militaires mais aussi politiques...
Démanteler le FLN à Alger
Le 7 janvier 1957, alors que le cadre juridique avait été ouvert par le vote des pouvoirs spéciaux pour l’armée en Algérie (décidé en 1956 par le gouvernement du socialiste Guy Mollet et voté par les députés communistes à l’Assemblée), le préfet d’Alger fait appel au général Massu pour faire régner l’ordre à Alger. Le garde des Sceaux, François Mitterrand, ne s’oppose pas à cette attribution à l’armée des pouvoirs de police dans la ville. Il s’agit, pour le gouvernement français, de mettre un terme aux attentats spectaculaires organisés par le FLN à Alger. Ainsi, le 30 septembre 1956, les attentats du Milk Bar et de la Cafétéria, des lieux fréquentés par la jeunesse européenne d’Alger donnaient la preuve de la capacité de l’organisation nationaliste à frapper en plein cœur de la ville. Le FLN, contrairement aux affirmations du gouvernement, ne limitait pas son influence à quelques zones montagneuses et aux campagnes.
Dès lors, ce sont les parachutistes qui sont chargés de démanteler le FLN à Alger, en utilisant les moyens les plus violents. Les 6 000 hommes de la dixième division parachutiste commandée par Massu, assisté du colonel Bigeard, disposent des pouvoirs de police et les utilisent de la manière la plus expéditive : tortures, viols, exécutions sommaires, centres de détention clandestins. Les militaires appliquent une stratégie de guerre contre-révolutionnaire en tentant d’isoler les militants du FLN du reste de la population, en frappant à l’aveugle les Algériens pour multiplier les chances d’obtenir des renseignements. Les parachutistes brisent aussi la grève générale de huit jours proclamée par le FLN le 8 janvier 1957, à l’ouverture de la onzième session des Nations unies à New York, consacrée à la question algérienne. Ils intimident la population, ouvrent de force les rideaux de fer des commerçants et arrêtent les récalcitrants.
Le FLN est encore en mesure d’organiser de nouveaux attentats, en février au stade municipal d’Alger et au stade El Biar (dix morts et trente-quatre blessés), en juin au Casino de la Corniche (huit morts, une centaine de blessés). Mais, dès le 27 février, Larbi Ben M’Hidi, dirigeant du secteur d’Alger, avait été arrêté par l’armée et déclaré « suicidé ». Yacef Saadi, organisateurs des actions terroristes, est pris le 24 septembre. Ali La Pointe, son adjoint, meurt quelques jours plus tard. Le FLN a été frappé durement et n’est plus en mesure de poursuivre des actions à Alger. Plus de trois mille « suspects » ont disparu, qu’ils soient militants ou non de l’organisation nationaliste.

La torture dévoilée

Le général Massu et l’armée transforment une opération de basse police en action militaire et héroïsent leur action en se vantant d’avoir gagné la « Bataille d’Alger ». Pourtant, le prix politique payé par le gouvernement français est élevé. Dès mars 1957, ouvrages et articles se multiplient pour dénoncer la pratique de la torture et des exécutions sommaires. Le prétendu suicide de Larbi Ben M’Hidi, notamment, choque alors qu’il avait été présenté bien vivant et enchaîné lors de son arrestation. Il en est de même pour un autre « suicide », celui de l’avocat Ali Boumendjel. Le rapport accablant d’une commission d’enquête sur l’usage de la torture, publié par le journal Le Monde, lui vaut d’être interdit en juillet 1957. Le général Jacques Pâris de Bollardière, issu d’un milieu catholique, démissionne pour protester contre l’usage de la torture. Les affaires Alleg et Audin, qui touchent des Européens, font scandale. Les deux hommes, militants communistes, ont été arrêtés durant l’été 1957, dans le cadre des opérations d’intimidation et de recherche de renseignements de l’armée. Henri Alleg est l’ancien directeur d’Alger républicain, journal communiste, Maurice Audin est un jeune et brillant mathématicien. Le premier est soumis à la torture tandis que le dernier n’est jamais retrouvé. Les milieux universitaires se mobilisent autour de cette affaire et, le 2 décembre 1957, la soutenance du doctorat d’État de Maurice Audin est organisée en son absence à la Sorbonne. C’est à cette époque, et suite à ces affaires que naissent, dans les milieux chrétiens et de gauche, les premiers réseaux de soutien au FLN autres que ceux de l’extrême gauche. Ainsi, si les attentats du FLN ont cessé à Alger, l’image du gouvernement français a été atteinte par ce qui ne pouvait plus passer pour une simple entreprise de « pacification ».

Au-delà de la guerre d’Algérie, la « Bataille d’Alger [marque], entre combat et répression, [l’élaboration d’un] nouveau système répressif », selon l’expression de l’historienne Sylvie Thénault2. Il n’est pas anodin de savoir que le film La Bataille d’Alger3, réalisé en 1966 par le cinéaste Gilles Pontecorvo, longtemps interdit en France, a été utilisé par l’armée américaine pour la formation de ses officiers envoyés en Irak. Le film, qui avait pourtant une visée anticolonialiste, est révélateur de la manière dont l’armée française a tenté de régler la question du FLN par la répression, et constitue un modèle pour les tacticiens de la guérilla urbaine antiterroriste. La « Bataille d’Alger » est ainsi un bon exemple des méthodes d’une guerre colonialiste et impérialiste menée par une grande puissance. Elle constitue enfin encore un enjeu de mémoire, notamment entre l’Algérie et la France, qui a été récemment un sujet de controverse. Utilisée par le pouvoir algérien pour se légitimer en célébrant les martyrs de la bataille d’Alger, elle représente un fait d’armes peu glorieux pour une France qui a longtemps nié même qu’il y ait eu une guerre en Algérie.

Sylvain Pattieu 1. Gilbert Meynier, Histoire intérieure du FLN (1954-1962), Fayard, 2002. 2. Sylvie Thénault, Histoire de la guerre d’indépendance algérienne, Flammarion, 2005. 3. Disponible en dvd, éditeur : Studio Canal, 19 euros environ.

2007-01-19