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Père du nationalisme révolutionnaire algérien

D 20 juillet 2017     H 05:52     A Selim Nadi     C 0 messages


Selim Nadi revient ici sur la trajectoire et le rôle joué par Hadj-Ali Abdelkader dans le développement du mouvement anticolonialiste algérien au cours de l’entre-deux-guerres. Figure centrale, et pourtant oubliée, du nationalisme révolutionnaire algérien, Hadj-Ali Abdelkader fut membre de la SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière), du Parti communiste naissant, et l’un des fondateurs de l’Étoile Nord-Africaine.

Dans le numéro 158, du 24 décembre 1958, le journal La République Algérienne publia une lettre de l’un de ses lecteurs assidus, revenant sur la création de l’Étoile Nord-Africaine (ENA) :

Vous donnez comme créateur de l’ « Étoile nord-africaine » Messali Hadj. C’est absolument erroné. Ladite association a été créée en 1924, 49 rue de Bretagne, dans un local appartenant à la Coopérative la Famille nouvelle sous l’obédience du Parti communiste.

Nous étions quatre camarades dont j’étais – et c’est moi qui avais rédigé les statuts et proposé le nom qui a été accepté d’emblée. Ensuite, nous avions commencé à travailler. Messali était une recrue comme tous les militants de la première heure. D’ailleurs, il militait en dilettante, il n’était pas assidu à nos réunions et quand il venait, il était toujours en retard. Néanmoins, je le tenais pour un nationaliste sincère, bien que j’ai souvent constaté qu’il ne dédaignait pas le côté matériel. Loin de là[1].

Pourtant, force est de constater que l’auteur de cette lettre qui se désigne comme l’un des fondateurs de l’ENA – Hadj-Ali Abdelkader – est assez largement tombé dans l’oubli quant au rôle clé qu’il occupa dans la dynamisation de la lutte de l’immigration algérienne en France. De ce point de vue, on ne peut que se réjouir que les éditions Casbah aient permis la publication de travaux proposant des lectures alternatives des origines du nationalisme algérien – notamment Hadj Ali Abdelkader. Pionnier du mouvement révolutionnaire algérien d’Abdellah Righi, publié en 2006, mais surtout Aux sources du nationalisme algérien. Les pionniers du populisme révolutionnaire en marche de Kamel Bouguessa, publié en 2000.

Probablement né en 1883 – année de la mort de l’émir Abdelkader – en Oranie, Hadj-Ali Abdelkader verra dès son plus jeune âge – tout comme Messali Hadj d’ailleurs – la spoliation des terres familiales par le colonialisme français. Lorsqu’à l’adolescence, son grand-père le fait embaucher chez un quincaillier de Mascara, le jeune Hadj-Ali verra dans la réussite commerciale une forme de résistance au colonialisme. Comme le souligne Abdellah Righi, c’est surtout en grandissant qu’Hadj-Ali percevra dans son activité commerciale un moyen de « dépasser » les colons européens :

A l’âge où les jeunes gens vont conter fleurette, Hadj-Ali Abdelkader loue un magasin et ouvre sa propre quincaillerie à Mascara. Il se lance un autre défi. Il veut être au niveau, voire même surpasser, ses concurrents européens. Instinctivement, il réagit contre cette tendance coloniale à dénigrer et à diminuer les compétences et le savoir-faire des Algériens. C’était là, bien qu’encore confuse dans son esprit, sa première réaction anticolonialiste[2].
Ce que l’on qualifierait sans doute aujourd’hui de réflexe libéral contre le colon représentait cependant des germes sur lesquels Hadj-Ali allait bâtir sa pensée anticoloniale. Percevant assez rapidement que, peu importe sa fortune, il ne serait pas libre tant que l’Algérie ne le serait pas, Hadj-Ali quitta, en grandissant, ses chimères de libération individuelle. Il serait pourtant erroné de voir dans le jeune Hadj-Ali le futur leader révolutionnaire qu’il allait devenir. Ainsi, si les pages que consacre Abdellah Righi à la jeunesse de Hadj-Ali sont passionnantes, nous nous intéresserons ici surtout à sa « période française ».

Un certain flou historique flottant au-dessus de la figure de Hadj-Ali, nous savons seulement avec certitude qu’il arriva à Paris en 1905 ou il travailla comme marchand ambulant avant de se relancer dans son activité de quincaillier. Finalement Hadj-Ali resta une quarantaine d’années en France et il demanda, sans doute pour des raisons très pragmatiques (le droit de créer des organisations politiques notamment) et obtint la nationalité française en 1912 et fut même mobilisé pour la Première Guerre mondiale, pendant laquelle il fut blessé.

Dès son arrivée en métropole, Hadj-Ali se lança dans des activités philanthropiques (des associations de bienfaisance pour les Algériens par exemple), syndicales (CGT puis CGTU) et politiques (surtout aux côtés de la SFIO puis du PCF) – les années de Hadj-Ali à la SFIO se sont avérées primordiales, puisque c’est notamment là qu’il rencontrât et se lia d’amitié avec le futur Hô Chi Minh ainsi qu’avec Samuel Stéphany. Dès ses débuts en tant que militant syndical et politique, Hadj-Ali poussa les organisations dont il était membre à organiser politiquement les Algériens vivant en France. Dans son ouvrage sur les origines du nationalisme algérien, Kamel Bouguessa écrit que

[l]a syndicalisation des Algériens devra compter avec les multiples difficultés et l’indifférence qui accueilleront la question coloniale au sein du P.C.F. On peut considérer que le commencement du travail colonial au sein de l’émigration algérienne et au niveau syndical ne s’opérera qu’après le congrès de Lyon (janvier 1924)[3].

S’il est vrai, comme le rappelle K. Bouguessa, que les travailleurs algériens furent associés au travail syndical suite à une certaine « bolchévisation organisationnelle » et à des évolutions stratégiques importantes, Hadj-Ali – qui avait rejoint la SFIC (Section française de l’Internationale communiste), futur Parti communiste français (PCF), dès sa fondation au Congrès de Tours – joua tout de même un rôle essentiel dans cette prise en compte des travailleurs issus des colonies. Ainsi, les premières tentatives d’organisations des indigènes vivant en métropole se firent sous l’égide du PCF – au niveau politique – et de la CGTU – au niveau syndical.

Mais c’est surtout l’adhésion de Hadj-Ali à l’Union Intercoloniale (UIC) qui lui fera prendre une nouvelle dimension en tant que révolutionnaire anticolonialiste. Selon K. Bouguessa,

[l]a tentative de politisation des Algériens au sein d’un vaste rassemblement colonial, l’Union Intercoloniale, fut beaucoup plus indicative et plus importante que celle qui fut amorcée par le biais du Syndicalisme Unitaire sous les auspices du Parti Communiste Français[4].
C’est d’ailleurs une critique qu’oppose Bouguessa au livre de Righi – qu’il a préfacé –, à savoir le fait que les archives indiquent que Hadj-Ali aurait été beaucoup plus actif dans l’UIC que dans les activités syndicales. Hadj-Ali fut ainsi élu membre du bureau de l’UIC dès 1922 et présida, à partir de 1924, la sous-commission nord-africaine de la commission centrale coloniale dirigée par Jacques Doriot. C’est également durant ces années que Hadj-Ali pris une part active – avec son ami Nguyen Tat Than (futur Hô Chi Minh) – à la publication du Paria[5] – auprès de Max Clainville-Bloncourt, Samuel Stéphany, Joseph Monnerville, Gouttenoire de Toury, Ralemongo, Founiret et Honorien – véritable organisateur collectif de l’anticolonialisme en métropole.

Cependant, les responsabilités acquises par Hadj-Ali au sein d’appareils créés par le PCF furent source de conflits avec la direction du Parti. Le désaccord portait notamment sur la création d’une organisation communiste autonome des indigènes vivant en métropole ainsi que d’un parti nationaliste révolutionnaire en Algérie – ce que préconisait Hadj-Ali. Ce dernier profitera ainsi de la place prépondérante qu’il avait acquise au sein du PCF pour créer l’Étoile Nord-Africaine.

Ceci dit, afin d’acquérir une place prépondérante au sein du parti, et ce malgré les conflits avec certains de ses membres les plus importants, Hadj-Ali ne pouvait quitter le PCF et mettre l’ENA sur pieds sans soutien politique ou financier. Hadj-Ali se présenta donc aux élections législatives de 1924 sous les couleurs communistes. Les raisons de la candidature de Hadj-Ali – qui était sceptique quant à la représentation d’Algériens au parlement français, celle-ci représentant selon lui une négation de la nation algérienne – à ces élections restent encore obscures.

Bien que l’on sache que l’Internationale Communiste (IC) – qui remontait souvent les bretelles à sa section française sur la question coloniale – avait sans doute imposé la candidature de Hadj-Ali, A. Righi émet quant à lui l’hypothèse que les instances dirigeantes du Parti avaient promis à Hadj-Ali de l’aider à monter une organisation politique autonome pour l’immigration algérienne après ces législatives, en échange de se candidature. Cette hypothèse est loin d’être absurde et la candidature de Hadj-Ali à ces élections, importante à plus d’un titre, lui a surtout permis de rencontrer un autre artisan majeur de l’anticolonialisme algérien.

Début Mai 1924, Hadj-Ali prit la parole lors d’un meeting électoral, rue de la Réunion à Paris. À la fin de ce meeting, un jeune ouvrier originaire de Tlemcen aborda Hadj-Ali en arabe et entama la discussion avec lui. Ils décidèrent de se revoir. Trois semaines plus tard, Messali Ahmed Hadj (puisque c’est de lui qu’il s’agit) se rendit chez Hadj-Ali, rue de l’Arbre sec à Paris. Ils passèrent la matinée ensemble. Ce fut le début d’une longue amitié politique qui allait (hélas) se briser pour effacer – au fur et à mesure – presque totalement la figure de Hadj-Ali de l’historiographie de l’anticolonialisme.

Pourtant, Hadj-Ali joua un rôle essentiel dans le parcours de Messali. C’est Hadj-Ali qui poussa notamment Messali – en qui il percevait des qualités politiques certaines – à se former politiquement (notamment en le poussant à adhérer au PCF, ce que Messali fit) mais surtout en lui confiant la responsabilité de représenter (avec Hadj-Ali et Chadly Kheïrallah, du Destour tunisien) l’ENA lors du congrès de la Ligue internationale contre l’impérialisme qui se tint en 1927 à Bruxelles. Lors de ce congrès, Messali lut une intervention, sans doute écrite par Hadj-Ali, et participa à la plupart des discussions politiques qui avaient cours.

Hélas, comme c’est souvent le cas pour de telles amitiés politiques, la relation entre les deux révolutionnaires algériens se détériora. Si aujourd’hui on connaît surtout Messali Hadj, il est essentiel de se rappeler cet immense révolutionnaire que fut Hadj-Ali Abdelkader. Sans pour autant nier l’importance de Messali Hadj dans la lutte de libération du peuple algérien, il est essentiel de rappeler le rôle de Hadj-Ali dans la formation de Messali.

La question, notamment soulevée par A. Righi, est celle de savoir quel est le noyau fondateur de l’ENA. Selon A. Righi – qui expose les différentes hypothèses de l’historiographie de l’anticolonialisme avant de défendre la sienne – l’ENA a été fondé en 1924 (bien que son annonce publique ne date que de 1926), tout d’abord dans l’illégalité (Hadj-Ali utilisant l’UIC comme couverture pour l’ENA), par Hadj-Ali Abdelkader, Mahmoud Ben Lekhal, Mohamed Marouf et Si Djilani Mohamed Saïd. Bien qu’il semble que Messali ait été présent à la fondation de l’ENA, son rôle n’aurait pas été aussi central que le laisse entendre une certaine mythologie messaliste.

C’est plus tard que le rôle de Messali Hadj deviendra essentiel à l’Étoile Nord-Africaine. La première intervention majeure de Messali en tant que futur cadre de l’ENA eut lieu lors du congrès de la Ligue internationale contre l’impérialisme de 1927 (à Bruxelles). Cette expérience fut essentielle, non seulement pour le mouvement nationaliste algérien naissant, mais plus largement pour les mouvements anticoloniaux d’entre-deux guerres. Comme le disait Fredrik Petersson dans un entretien pour la revue Période, la Ligue contre l’impérialisme, et son congrès fondateur de 1927, ont représenté :

(…) une période d’apprentissage, d’accumulation d’expérience, et une époque de nouvelles relations et connections qui durèrent ou évoluèrent pendant l’entre-deux guerres[6].
L’intervention lue par Messali Hadj – et rédigée par Hadj-Ali – à ce congrès, qui fut publiée dans La Lutte Sociale du 11 Mars 1927, réclamait notamment : l’indépendance de l’Algérie et le retrait des troupes françaises d’occupation, la remise de la terre confisquée aux paysans, l’abolition immédiate du Code de l’Indigénat et des mesures d’exception, la création d’écoles en langue arabe, etc. Il terminait cette déclaration en affirmant :

Ces revendications n’ont de chances d’aboutir que si les Algériens prennent conscience de leurs droits et de leur force, s’unissent et se groupent dans leurs organisations pour les imposer au gouvernement français[7].
Par la suite, les relations entre les deux révolutionnaires se dégradèrent peu à peu et Hadj-Ali quitta l’ENA en 1932. Pour autant, il ne délaissa aucunement le militantisme politique et fut notamment présent lors de la création du Parti du peuple algérien (1937) à Nanterre – ainsi qu’au sein de la Ligue de défense des musulmans nord-africains. De la même façon, il resta profondément engagé dans son activité de journaliste politique puisqu’il devint directeur d’El Ouma en 1933 et du journal Le Peuple Algérien à partir de 1934. Finalement, c’est la Seconde Guerre mondiale et la maladie qui freinèrent les activités politiques de Hadj-Ali – qui s’éteignit au sanatorium de Champrosay en 1957.

Bien qu’il y ait de nombreuses zones d’ombre sur le parcours de Hadj-Ali Abdelkader, on doit espérer que des historiens s’attellent à lui redonner la place qui lui revient dans la constitution de l’anticolonialisme algérien de l’entre-deux guerres. Voyant dans l’Internationale Communiste une alliée de poids, Hadj-Ali représente la figure du leader révolutionnaire indigène qui ne renia jamais son éducation profondément religieuse : selon lui, plutôt que de polémiquer sur l’Islam, les communistes devaient bien plutôt l’aborder politiquement.

Cela ne l’empêcha nullement d’avoir une orientation communiste assez explicite – ce qui marqua d’ailleurs Messali Hadj lors de leur première rencontre – tout en prônant l’organisation autonome de l’indigénat vivant en métropole, afin non seulement de pouvoir organiser politiquement ses compatriotes et coreligionnaires mais d’effectuer un travail sur les appareils et les instances du PCF qui ne semblaient alors pas réellement concernés par la question coloniale[8].

Notes

[1] Cité dans Abdellah Righi, Hadj Ali Abdelkader. Pionnier du mouvement révolutionnaire algérien, Casbah éditions, Alger, 2006, p. 130-131.

[2] Ibid, p. 41.

[3] Kamel Bouguessa, Aux sources du nationalisme algérien. Les pionniers du populisme révolutionnaire en marche, Casbah éditions, Alger, 2000, p. 181.

[4] Ibid, p. 221.

[5] Sur le journal Le Paria, voir : Ian Birchall, « ‘’Le Paria’’. Le Parti communiste français, les travailleurs immigrés, et l’anti-impérialisme (1920-24) », Contretemps, https://www.contretemps.eu/le-paria-le-parti-communiste-francais-les-travailleurs-immigres-et-lanti-imperialisme-1920-24/.

[6] « Willi Münzenberg, la Ligue contre l’Impérialisme et le Comintern : entretien avec Fredrik Petersson », Période, http://revueperiode.net/willi-munzenberg-la-ligue-contre-limperialisme-et-le-comintern-entretien-avec-fredrik-petersson/.

[7] Cité dans : Abdellah Righi, Ibid, p. 208.

[8] Voir notamment : Selim Nadi, « The Front Populaire and the making of the French Communist Party (1920-1962) », International Socialist Review, n°104, printemps 2017, pp. 110-121.

Source : http://www.contretemps.eu/