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Reconquête et massacres coloniaux

D 4 mai 2007     H 18:38     A Robin Guébois     C 0 messages


Le 8 mai 1945, les Algériens manifestent dans plusieurs villes, pour célébrer l’écrasement de l’Allemagne nazie, auquel les peuples colonisés ont largement contribué, mais aussi pour réclamer l’« Algérie libre » ou l’« Algérie indépendante ». Le 1er mai, ces slogans sont déjà apparus dans les manifestations, de même que le drapeau algérien, et la police a déjà tué. A Sétif, le sous-préfet interdit tout caractère « politique » à la manifestation ainsi que le drapeau algérien, qui apparaît pourtant au cours de la marche. Sétif est la ville natale de Messali Hadj, fondateur du Parti du Peuple Algérien. Le parti est interdit, mais bien vivant, et Messali Hadj a été déporté en Afrique équatoriale quelques jours plus tôt. La manifestation, scouts musulmans en tête, doit être pacifique et les cadres du parti veillent à ce que les manifestants ne soient pas armés Quand ils arrivent dans la ville européenne, le sous-prefet donne l’ordre à la police de faire disparaître les emblèmes séditieux. Un porteur de drapeau qui refuse d’obtempérer est abattu. Une partie du cortège prend la fuite et s’en prend aux Européens rencontrés sur leur route.

A 13 heures, le couvre feu est déclaré et à 20h, l’état de siège est décrété. Les forces de l’ordre sillonnent les quartiers arabes et arment les colons très majoritairement vichystes. A Guelma se déroule un scénario similaire. La manifestation se solde par 4 morts algériens. A Alger, le leader modéré des Amis du Manifeste algérien, Fehrat Abbas est arrêté dans l’antichambre du gouverneur général à qui il était venu présenté ses félicitations pour la victoire des alliés, alors même qu’il ignore tout des événements et que son mouvement n’appelait pas aux manifestations.

Le 8 et le 9 mai, les nouvelles de la répression se répandent dans les campagnes et déclenchent des émeutes paysannes. Des gendarmeries sont assiégées. Le 10, le processus insurrectionnel s’étend encore, mais sera étouffé par une répression particulièrement sanglante menée conjointement pendant deux mois par la police, la gendarmerie, l’armée (dont des « tirailleurs sénégalais ») et ceux qui ne craignent pas de se proclamer « milices », à l’heure où ce terme évoque pour tous, les supplétifs des nazis... Le nombre de victimes fait encore débat (1500 morts selon Tixier, ministre de l’intérieur à l’époque ; 6 à 8000 selon Le Populaire, 40 000 mort selon le consul général américain à Alger ; 45 000 selon les tracts du parti messaliste en 1946, 80 000 selon les Oulémas...), mais ce débat masque souvent des points plus essentiels : la continuité des procédés criminels utilisés depuis les massacres de la conquête coloniale, en passant par la « pacification », mais avec des moyens militaires toujours plus sophistiqués. Foules passées à la mitrailleuse, bombardement par aviation et par bateau, ratissages, chasse à l’homme, villages brûlés, moyens de subsistance détruits, etc.

Cette barbarie ne fut ni un dérapage ni un cas isolé. Il apparaît aujourd’hui plus que vraisemblable qu’il s’agissait d’une provocation organisée, ou au moins opportunément exploitée pour donner une leçon aux forces indépendantistes, et réduire par la violence toute velléité d’insurrection mieux préparée. Avec des variantes, de quelques meurtres à de véritables massacres de masse, le scénario s’est répété entre 1942 et 1955 dans toutes les colonies françaises : au Maroc, en Tunisie, en Guinée, en Côte d’Ivoire, à Madagascar etc. Dans ce dernier cas, qui avait valeur d’exemple dissuasif pour l’ensemble de l’Afrique, les victimes atteindront le nombre de 89000, selon les chiffres militaires de l’époque. Dans tous les cas, il s’agit pour les autorités françaises de saisir ou de créer des occasions de répression « préventives », de manière à décourager les Africains de suivre l’exemple vietnamien, et à éradiquer toute forme de mouvement nationaliste ou « subversif ». A la Libération, l’idée qui domine (chez les Gaullistes comme chez les Pétainistes), c’est que la France ne retrouvera pas son rang de grande puissance sans son Empire colonial, dans lesquels il s’agit donc d’étouffer par tous les moyens le climat pré-insurrectionnel qui est la norme. Quelques années plus tard, à quelques exceptions près, il sera alors possible de « donner l’indépendance » à des hommes de confiances, garants de la préservation des intérêts coloniaux.

Robin Guébois

A lire : Yves Benot, Massacres coloniaux. 1944-1950 : La IVe République et la mise au pas des colonies françaises.