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Afrique du Nord et Moyen-Orient es tâches écosocialistes de la révolution

D 30 mars 2011     H 05:09     A Daniel Tanuro     C 0 messages


Il serait totalement abusif de prétendre que les changements climatiques sont le déclencheur caché de la vague révolutionnaire qui secoue le monde arabe, comme certains observateurs l’ont écrit . En même temps, les effets du réchauffement contribuent indiscutablement à la crise sociale dans la région et posent une série de problèmes pour le futur, principalement la gestion des ressources en eau et la transition énergétique. Cet article ouvre un débat nécessaire.

L’indice des prix alimentaires de la FAO, basé sur les cours des céréales, du sucre et des oléagineux, a grimpé brutalement de 32% au second semestre 2010 Commentant le phénomène, l’économiste en chef de l’organisation onusienne a lancé cet avertissement : « Nous entrons dans une zone dangereuse ». Il faisait allusion aux émeutes de la faim qui ont secoué une série de pays du Sud en 2008, en réaction à la flambée des prix des produits agricoles.

Impact climatique

Ces hausses sont dues en première instance à la spéculation, qui est stimulée et favorisée par les brusques baisses de production provoquées par certains chocs météorologiques extrêmes, eux-mêmes liés au réchauffement climatique . Ces dernières années, sécheresses, inondations, canicules ou vagues de froid ont affecté tour à tour de gros exportateurs tels que l’Argentine, l’Australie, les Etats-Unis et la Russie. Ces « accidents » ont suscité une grande volatilité des prix, liée à de brusques déséquilibres entre offre et demande. Personne ne peut certifier qu’ils sont tous dus au réchauffement, mais leur multiplication est cohérente avec les projections du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
La Russie est le 4e exportateur mondial de blé. La canicule exceptionnelle qui l’a frappée l’été dernier (avec ses gigantesques incendies) a fait chuter sa production annuelle de 90 à 70 millions de tonnes environ. En septembre 2010, pour garantir l’approvisionnement du marché intérieur, Poutine annonçait que les exportations russes seraient suspendues jusqu’en décembre 2011, et proposait à l’Ukraine et Kazakhstan d’en faire de même.
La décision russe a entraîné une forte hausse des prix, créant une situation tendue pour de nombreux pays, dont la Tunisie et l’Egypte. En effet, ces deux pays dépendent du blé de la Mer Noire, et leur propre production est aussi soumise aux aléas climatiques, notamment à la baisse des ressources en eau. La Tunisie a récolté 2,4 millions de tonnes de blé en 2009, contre 1,2 million en 2010. Quant à l’Egypte, elle fait partie depuis 1960 des pays du Sud qui dépendent de l’importation pour satisfaire leurs besoins alimentaires. Avec plus de 80 millions d’habitants, elle est même le plus gros importateur de blé de la planète !
D’une manière générale, le renchérissement du coût de la vie peut provoquer des émeutes, pas des révolutions. (…) L’impact de la hausse des prix alimentaires sur le renversement des dictatures ne doit donc pas être surestimé. Il semble d’ailleurs avoir été différent pour les deux pays. Plus fort en Tunisie, où les couches les plus pauvres ont été en première ligne, et où Ben Ali a tenté trop tard de faire baisser la pression en promettant une réduction des prix. Moins évident en Egypte, où la petite bourgeoisie a joué un rôle important jusqu’aux premières grèves ouvrières, et où le régime avait augmenté les subsides aux produits de base (blé, riz et huile de cuisson) après les émeutes de 2008, ce qui lui a permis de garantir des prix relativement stables à 70% de la population.
L’Egypte a cependant un autre problème : sa production pétrolière a atteint son pic en 1996 et a baissé de 26% depuis, de sorte que le pays est devenu un importateur net de produits énergétiques. Par conséquent, il dispose d’une marge de manœuvre plus étroite pour financer son développement, pour importer des produits alimentaires… et pour les subventionner .
Quoi qu’il en soit, deux choses paraissent évidentes : 1. la hausse des prix a joué un rôle et elle n’est pas due qu’à la spéculation ; 2. le défi climatique/énergétique est réel et confronte les révolutions d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à des tâches nouvelles.

Réchauffement et ressources hydriques

Le bassin méditerranéen est l’une des régions les plus touchées et les plus menacées par le réchauffement au niveau mondial. Les données relevées au Maghreb au cours du 20e siècle montrent qu’on est passé d’une sécheresse tous les 10 ans à une sécheresse tous les 5 à 6 ans. Dans le même temps, les épisodes de pluviosité anormalement forte se sont multipliés. La combinaison des deux phénomènes entraîne une augmentation de l’érosion des sols, due à la dégradation de la couverture végétale .
La gestion des ressources hydriques est le plus grand problème pour le développement, avec des arbitrages à faire entre l’agriculture et les autres secteurs. Les pays les plus touchés sur le plan économique sont et seront ceux qui disposent du secteur agricole le plus important : Syrie, Egypte, Maroc et Tunisie. La situation risque de devenir problématique dans les pays qui sont déjà en situation de stress hydrique (moins de 1000 m3/hab/an) ou de pénurie (moins de 500 m3/hab/an). C’est le cas de la Tunisie, où la baisse des ressources souterraines pourrait atteindre 28% dans les trois décennies à venir.
Notons que l’impact écologique du développement touristique ne doit pas être sous-estimé. Les complexes hôteliers et autres infrastructures (terrains de golf, etc.) sont de gros consommateurs d’eau. De plus, leur développement se fait le plus souvent sans aucune considération pour les équilibres écologiques du littoral.
A titre d’exemple, voici comment une chercheuse résume les impacts possibles du réchauffement (à politique inchangée) dans les régions du centre et du sud de la Tunisie, d’ici 2030-2050 : baisse de 50% du rendement des oliveraies non irriguées (mal compensée par une hausse de 20% en année favorable) ; réduction de moitié des surfaces cultivées ; réduction des effectifs du cheptel allant jusqu’à 80% ; réduction de 20% des superficies céréalières en pluvial et de 13% en cultures irriguées (en cas d’inondations). Et l’auteure de conclure par cette remarque prémonitoire : « Un résultat lourd de risques pour l’économie agricole, et par voie de conséquence pour les équilibre sociaux du pays ».
L’Egypte ne connaît pas de menace de pénurie, mais le Nil traverse pas moins de 9 pays et ses eaux sont utilisées à 95% par l’agriculture. Des accords internationaux ont été conclus pour le partage de l’eau, mais le problème pourrait se compliquer si le changement climatique continue à perturber le régime des pluies aux sources du fleuve. La régulation par les grands barrages n’est pas une solution : Assouan a de nombreux effets pervers, notamment le recul du delta, insuffisamment alimenté en alluvions, qui provoque la salinisation des basses terres. Une multiplication des retenues ou des captages ne ferait qu’aggraver cette tendance.
Moubarak avait l’intention de détourner une partie des eaux du Nil pour les vendre à Israël, qui accapare déjà celles du Jourdain, au détriment du peuple palestinien et des autres peuples de la région . La marchandisation néolibérale de l’eau est en cours, fortement encouragée par l’Union Européenne, serviteur zélé des grands groupes privés du secteur. La privatisation est un axe majeur de l’Union pour la Méditerranée et du Conseil Mondial de l’Eau (CME), un think tank fondé par les multinationales. En Tunisie, le secteur de l’eau potable (la SONEDE) et de l’assainissement ont été parmi les premiers à faire l’objet de partenariats public-privé (nationalisation des pertes et privatisation des bénéfices). Dès la chute de Ben Ali, Ghannouchi a reçu officiellement Loïc Fauchon, président du CME, qui voulait s’assurer que la privatisation ne serait pas mise en cause.
En 2004, l’Egypte de Moubarak annonçait la privatisation complète des services de gestion et d’épuration des eaux des différentes provinces, qui sont maintenant aux mains d’une holding de l’eau, basée au Caire. Elle vise le profit, ce qui implique une forte hausse du prix de l’eau. Le projet de vente d’eau à Israël montre aussi que la gestion néolibérale de la ressource n’a aucune rationalité écologique et accroît les inégalités sociales.

Pétrole, monarchie et transition énergétique

L’approvisionnement énergétique constitue un autre problème majeur. Alors que les masses vivent dans la misère, le Proche et le Moyen Orient disposent d’énormes réserves de combustibles fossiles – mal réparties et accaparées par des classes dominantes très insérées dans le dispositif impérialiste –, ainsi que d’un potentiel solaire colossal – très bien réparti et en voie d’appropriation impérialiste par le biais de mégaprojets tels que Desertec. Les premières doivent céder la place aux secondes dans les quarante années à venir, faute de quoi le dérèglement climatique aggravera la désertification, les phénomènes météorologiques extrêmes et la hausse du niveau de la mer. De tous ces phénomènes, les pauvres sont et seront les principales victimes (à titre d’exemple : 10 millions de personnes devrons quitter le delta du Nil si le niveau des mers monte d’un mètre).
De manière très générale, une stratégie énergétique à moyen et long terme devrait consister à utiliser la rente pétrolière et gazière non seulement pour soulager les besoins sociaux les plus pressants (comme le fait Chávez au Venezuela), mais aussi et surtout pour organiser la transition vers l’énergie solaire. Une telle stratégie ne peut se déployer qu’à l’échelle régionale et implique inévitablement une rupture avec la logique du profit.

Quelques pistes…

Cette évocation très rapide des problèmes écologiques les plus brûlants a pour but d’attirer l’attention sur le fait que les révolutions arabes sont confrontées à de sérieux problèmes environnementaux. La solution de ceux-ci, dans l’intérêt des masses populaires, dépend d’une issue anticapitaliste, anti-impérialiste et internationaliste (à l’échelle de la région). (…) On se contentera ici de proposer quelques pistes :

  • Rompre avec la politique néolibérale de privatisation des ressources hydriques : gestion publique de l’eau.
  • Rompre avec la politique d’appropriation capitaliste des nouvelles ressources énergétiques, notamment de la ressource solaire : mise en œuvre de plans publics de transition énergétique vers les renouvelables.
  • Réappropriation collective des ressources pétrolières et gazières : utilisation de la rente pétrolière dans l’intérêt d’un développement régional social et écologique, dans le cadre d’une planification régionale du développement incluant un « phasing out » des combustibles fossiles.
  • Généralisation du contrôle démocratique sur la gestion et la protection des ressources naturelles par les collectivités locales, les comités populaires, les sections syndicales et les organisations de femmes.
  • Abolition de la dette extérieure et restitution des fortunes des dictateurs aux peuples, mais aussi paiement de la dette écologique de la part des pays capitalistes développés. Transfert gratuit des technologies énergétiques vertes, pour peu qu’elles soient mises en œuvre par le secteur public et/ou les communautés locales.
  • Soutien à une agriculture paysanne organique et réorientation de la production agricole vers le marché intérieur, dans la perspective de la souveraineté alimentaire. Limitation et rationalisation de l’agriculture irriguée.
  • Développement d’une alternative à l’industrie touristique capitaliste.

Daniel Tanuro