Vous êtes ici : Accueil » Afrique du Nord » Egypte » Egypte : Le mouvement syndical et la révolution de la liberté et du pain

Egypte : Le mouvement syndical et la révolution de la liberté et du pain

D 7 mars 2011     H 16:05     A Rafik Rassaa     C 0 messages


Au Café Groppi sur la place Taalit Harb au Caire (Égypte), nous rencontrons ce mardi 22 février un homme tout-sourire aux rides creusées par des années de militantisme syndicalisme mais à l’expression heureuse et riche d’enthousiasme.

Il s’appelle Fath’allah Mahrouss, militant syndical de 75 ans qui depuis son adolescence soutient les combats justes des travailleurs. A 15 ans, il entre au syndicat pour lutter contre les conditions d’exploitation imposées par les colons anglais. Très vite, il nous raconte une bonne petite blague égyptienne sur le travailleur égyptien qui gagnait 0,15 livre sterling alors que l’âne qu’il utilisait gagnait 0,35 livre sterling . A cet âne, le travailleur ne savait dire qu’un seul mot : « Come here ». Le colon lui demande alors comment fait-il pour lui dire de partir une fois l’âne venu. Et le travailleur de répondre : « je vais de l’autre côté et je l’appelle de nouveau, come here. ».

Répression du mouvement syndical

Fath’allah Mahrouss a connu la prison sous Sadate de 1975 à 1978 à la tristement célèbre prison de Wahat. Aujourd’hui, il est actif dans le comité de coordination pour les droits des travailleurs et les droits syndicaux. Ce comité, qui existe depuis 12 ans, a joué un rôle important dans la réanimation du mouvement syndical en Égypte après une période de ressac dominée par la main-mise des structures gouvernementales sur le syndicat et la répression de toute tentative de mise en place de structures indépendantes. Le comité se réunit chaque mois pour discuter des différentes manières d’apporter son soutien : mobilisation pour des grèves et occupations dans les usines, soutien juridique aux travailleurs poursuivis et également soutien financier à travers des collectes de fonds plus ou moins larges et publiques. Le comité, avec l’aide de l’organisation démocratique « Al Hilali », a organisé un tour d’Égypte avec des conférences portant sur les thèmes de l’histoire du mouvement syndical égyptien et surtout sur la manière de construire et la nature d’un syndicat indépendant. Ils ont également produit un projet de loi pour la défense des droits syndicaux. Grâce à ce travail, aujourd’hui existe quatre syndicats indépendants (les collecteurs de l’impôt foncier, les enseignants, les pensionnés, les scientifiques) qui sont en train de constituer une nouvelle fédération et d’élargir le nombre de structures sectorielles représentées.

Pour comprendre ce besoin d’indépendance, notre ami nous explique à quel point le régime avait asservi le syndicat et comment il l’a transformé en une structure policière à l’image des pouvoirs policiers qui se sont succédés en Égypte. Depuis 1959, sous Nasser, et au nom d’une certaine modernité, toutes les structures locales dans les entreprises ont été dissoutes. L’Union Générale est présentée comme une structure plus moderne et plus forte capable d’aider les travailleurs et d’intervenir pour eux auprès du gouvernement. Les 1500 structures syndicales locales – avec leurs locaux – disparaissent. Toute contestation devient alors impossible et certains responsables syndicaux dénoncent leurs camarades à la police. La « campagne de février 1959 » lancée par Nasser avait pour objectif d’éradiquer toute présence communiste dans les usines. Comme le dit Fath’allah : « la stratégie du régime est le bâton dans une main et le pain dans l’autre ». Cet épisode de la vie politique et syndicale égyptienne explique en grande partie l’émiettement de la gauche aujourd’hui en Égypte. Nasser a été le président arabe qui a porté haut et fort les couleurs de l’anti-impérialisme et celui aussi qui a permis des avancées économiques et sociales importantes (Services publics, nationalisation de grands secteurs de l’économie, réforme agraire), mais en même temps, la répression de toute opposition et en particulier les communistes, a laissé des traces qui freinent encore aujourd’hui le développement d’une gauche puissante.

2005 : renaissance du mouvement populaire

A partir de 2005, l’Égypte a connu quasi 1000 actions, occupations ou piquets de grèves par an. La grève des 24.000 travailleurs du textile à Maahalla en 2008 a été également le début d’un élargissement de la contestation sociale. Au fur et à mesure des actions, les demandes salariales, les exigences d’indépendance et les revendications politiques se sont aiguisées. A la veille du mouvement du 25 Janvier qui allait faire tomber Moubarek, de nombreuses occupations, grèves et mouvements sociaux étaient organisés dans le pays.
Une révolution pour la Liberté et ... le Pain

Fath’allah Mahrouss : « Le mouvement syndical a été le premier à dénoncer et entrer en confrontation avec les « investisseurs », ces voleurs en col blanc, ces chiens du régime. Aujourd’hui, le danger principal après l’opération de communication du Haut Conseil Militaire (émission de TV de plusieurs heures avec trois généraux qui ont insisté sur l’importance de la confiance du peuple en l’armée) est la répression des grèves actuelles, celles que les généraux ont appelés des grèves « professionnelles » contre-révolutionnaires liées au NDP (le parti de Moubarek). Le problème est aussi qu’une certaine jeunesse non politisée qui a participé au mouvement reprend aujourd’hui ces insultes du régime. Il faut définitivement considérer que cette révolution est une révolution pour la liberté mais aussi pour le pain, que les travailleurs en grève sont une partie active de cette révolution. »
Fath’allah Mahrouss rappelle les trois revendications principales et générales du mouvement syndical aujourd’hui en Egypte :

1. La formation de syndicats indépendants et la dissolution de l’ancienne Union Générale, le syndicat fantoche du régime

2. La nomination de tous les contrats temporaires et précaires

3. Un salaire minimum de 1200 livres, qui correspond au seuil de pauvreté en Egype.

Notre entretien se termine un peu dans la précipitation et notre ami se lève avec une grosse canne et dit en riant : « je suis vieux, hein... mais faut pas croire c’est pour se défendre contre les truands et les chiens ».

Rafik Rassaa

Source : http://www.ptb.be