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EGYPTE : Les élections présidentielles

D 15 juillet 2012     H 12:53     A Mamdouh Habashi     C 0 messages


Etonnamment, c’est le candidat soutenu par le Conseil
suprême des forces armées (CSFA), Ahmed Shafik, qui arrive
en deuxième position. Un quart des électeurs se sont
prononcés pour lui, malgré les poursuites dont il fait l’objet pour
corruption, et bien qu’il soit perçu comme le représentant de
l’ancien régime chassé l’année dernière par la révolution.
Presque personne n’avait prévu que nombre d’électeurs
souhaiteraient le retour de « conditions stables », même au prix
des libertés personnelles et politiques.

Dans les mois qui ont suivi la révolution, les contrerévolutionnaires
ont mené des mouvements qui ont conduit à une
insécurité croissante dans toutes les couches de la population, ce
qui a conduit celle-ci à chercher un homme fort. Ainsi, le CSFA,
sans grande résistance de l’opinion publique, a-t-il pu réhabiliter
et mettre en orbite l’ancien prévenu Ahmed Shafiq, comme
candidat à la présidence.

Avec seulement un point de plus, c’est le candidat des Frères
musulmans, Mohamed Mursi, qui, sans surprise, compte tenu de
la forte influence des Frères musulmans dans la population, est
devenu le candidat « majoritaire ». Avec une appareil aussi
discipliné, comme l’a dit le président du Parlement, Mohamed al
Katatni : « Ils auraient également pu faire élire un chien mort
comme président. »

Personnage falot et peu charismatique, Mursi fut investi à la
dernière minute comme candidat des Frères musulmans, après
que le candidat prévu, Khairat Shater fut disqualifié de la course
à la présidentielle à cause d’un sursis judiciaire encore en vigueur.
Après avoir obtenu la majorité au Parlement, les Frères avaient
promis de ne présenter personne à la présidence. Ils ont changé
d’orientation à quelques semaines de cette élection et manifesté
ainsi sans détours leur volonté de de s’emparer du pouvoir.
La plus grande surprise de cette élection fut cependant
qu’Hamdin Sabbahi bénéficie de l’engouement de tant d’électeurs
et se retrouve à la troisième place. [1]

Sans avoir le soutien d’une machinerie médiatique rodée, ni d’une
source inépuisable de subsides, ce nassérien que l’on dit laïque et
de gauche modérée, avait convaincu de nombreux électeurs : ils
voyaient en lui le seul capable de réaliser les objectifs de la
révolution. Il semble que Sabbahi ait obtenu les suffrages de
nombreuses personnes modestes et peu politisées qui se sont
rendu compte pendant la campagne que tant les Frères que ceux
qui soutiennent les candidats ayant l’aval des militaires ne se
privent pas pour acheter les voix, et influencer les votes par des
faveurs. Ces gens-là ont vu en Sabbahi un « homme propre ».

Avant les élections, les forces du camp révolutionnaire auraient
dû faire d’Hamdin Sabahi leur candidat unique. Mais les voix de la
gauche et des forces progressistes ont été dispersées entre
quatre candidats. C’est ainsi que ces voix, réparties entre les
différents courants révolutionnaires ont manqué à Sabahi, qui
rate de très peu la possibilité d’être présent au second tour.

Beaucoup ne lui donnait aucune chance et ont utilisé leur voix de
manière tactique pour un candidat d’une autre couleur politique.
C’est ainsi que, par exemple, Aboul Fotouh a reçu une partie des
voix du camp révolutionnaire croyant avoir vu en lui un adversaire
crédible face à Mursi, qu’ils voulaient éviter à tout prix. Cette
erreur d’appréciation de la gauche a coûté à Sabahi les voix
précieuses qui auraient pu l’emmener au second tour.
Beaucoup d’électeurs ont été trompés parce que cette élection a
été présentée au public comme un choix entre un État laïc et un
État religieux. De ce fait, l’ancien régime et les islamistes ont été
vus comme deux pôles présentant les candidats les plus à même
d’être élus. Par conséquent, beaucoup de chrétiens et de laïcs ont
voté pour Shafiq par peur des islamistes.

Beaucoup de révolutionnaires ont voté Fotouh comme étant le
moindre mal à leurs yeux, car ils étaient persuadés que, de toute
façon, ce serait un candidat islamiste qui gagnerait l’élection. Ils
ont fini par prendre conscience que ce qui l’emportait dans la
population, c’est que, dans cette élection, il s’agissait de choisir
entre le régime établi et les revendications révolutionnaires, et le
succès de Sabahi ne peut s’expliquer autrement.

Malheureusement, cette prise de conscience est arrivée trop tard
pour de nombreux membres de la gauche, qui auraient aussi bien
pu voter pour lui s’ils mieux estimé ses chances de succès.
Avec le second tour à la mi-juin entre Ahmed Shafiq et Mohamed
Mursi, les espoirs de la révolution se sont définitivement envolés.
Beaucoup la considèrent comme une élection « pour le meilleur
des pires ».

La différenciation entre les deux candidats arrivés en tête, entre
forces laïques et forces religieuses n’est qu’un affichage public.
Les deux candidats représentent le retour de l’ancien régime,
voire même sa perpétuation. L’orientation personnelle des
candidats ne témoigne que de l’opposition d’ailes différentes à
l’intérieur de la classe dirigeante. Nombre de citoyens n’ont pas
estimé devoir se mêler de trancher une telle situation par leur
voix, et ont montré leur déception par leur non-participation au
scrutin. La commission électorale a annoncé une participation
51 %, ce qui montre que seuls les deux camps en présence ont
mobilisés leurs partisans respectifs.

Le résultat des élections montre les deux candidats au coude à
coude. Bien que les Frères musulmans aient, dès le départ,
catégoriquement revendiqué la majorité, les partisans de Shafiq
s’y sont opposés en sortant d’autres chiffres. La commission
électorale s’est laissée une semaine de délai pour trancher et
déclarer le vainqueur. Plus de 400 plaintes pour des irrégularités
dans le scrutin ont été déposées devant la Cour suprême, et ce
n’est qu’après de longues journées d’attente pendant lesquelles le
pays fut comme paralysé, que Mursi a été déclaré vainqueur.
Ses supporteurs sont descendus dans la rue afin de fêter
frénétiquement la « victoire », malgré le faible soutien apparent
de l’ensemble de la population. Finalement, dans les prochaines
années, c’est eux qui influeront sur la politique de l’Égypte.
En tout cas, le rôle de direction de lu CSFA n’a en rien été mis en
danger par cette élection. Dans le courant de l’année qui a suivi
la révolution, il était clair pour les Égyptiens que c’était le CSFA
qui prenait les décisions, et qu’il avait l’intention de continuer à
les prendre.

Qu’après la révolution le CSFA eût repris les commandes était
évident du fait du manque d’alternative à la conduite du pouvoir,
et cela ne fut qu’à peine remis en cause par la population. Mais
au cours des mois il apparut évident que le CSFA voulait annihiler
les effets de la révolution à travers certains décrets et lois et
ainsi, et voulait bloquer le libre développement de la démocratie.
Il ne s’agissait pas non plus d’un « coup d’État » lorsque dans les
jours précédents, la Cour suprême décida de lever les poursuites
contre Shafiq, et de donner suite aux recours contre la légalité du
Parlement en dissolvant un tiers du parlement, entraînant de
nouvelles élections législatives. Il ne s’agissait que de la suite
logique des politiques antérieures menées par les militaires, dont
l’implication dans la reprise en main du pouvoir n’avait laissé
aucun doute sur leurs intentions de prendre une part importante
au pouvoir en Égypte.

La paralysie préventive du pouvoir des Frères musulmans au
Parlement n’avait d’autre but que d’assurer la suprématie du
pouvoir militaire en prévision de l’élection possible de Mursi à la
présidence. Les irrégularités dans les élections législatives sont
donc intervenues à propos, permettant au CSFA de prétendre que
cette mesure arbitraire permettait même de préserver la
démocratie.

Aussi longtemps que le processus démocratique ne sera pas
adossé à une nouvelle constitution, il ne pourra de toute façon
pas être question de démocratie en Égypte. Pour le moment, les
modifications apportées par le CSFA à la Constitution de 1971
restent en vigueur.

Les quelques tentatives de mise en place d’une commission
constitutionnelle qui prendrait en compte les intérêts hétérogènes
représentés dans le peuple ont jusqu’à présent échoué. Donc, il
n’y a pas eu de changement dans la Constitution et le CSFA
projette maintenant de nommer lui-même les membres de la
commission constitutionnelle. On verra si les réformes
démocratiques voulues par le peuple pour renverser le pouvoir
actuel mais oubliées dans cette réécriture dominée par le CSFA,
seront acceptées sans plainte ou contrariées par de la résistance.
Même si la révolution a temporairement perdu, quelque chose a
changé par rapport au passé : les Égyptiens n’ont plus peur et
considèrent qu’ils ont le droit d’élever la voix. Les prochaines
années en Égypte seront le théâtre d’une lutte acharnée entre les
camps, et les révolutionnaires devront montrer, malgré le
renforcement du système établi, leur opposition à la politique
visant à maintenir le pouvoir des militaires et des Frères
musulmans. Les temps à venir seront agités.

Malgré leurs orientations différentes, les groupes et partis de
gauche doivent, dans les années à venir, se rassembler dans un
front crédible, qui devra proposer une alternative politique claire.
Les problèmes urgents auxquels le pays doit faire face ne seront
pas résolus par le pouvoir des islamistes, ni par la mainmise des
militaires ou des tenants de l’ancien système. Quand la gauche
leur proposera une autre perspective, les citoyens pourront se
prononcer autrement lors des prochaines élections.

Mamdouh Habashi*

* Mamdouh Habashi est militant du Parti socialiste égyptien.
Contrairement à ce pourrait laisser penser son nom, ce parti
regroupe essentiellement des militants issus de différents
courants de la gauche marxiste. Une de ses figures
emblématiques est le vétéran communiste Fath Allah Mahrous,
qui représentait ce parti aux rencontres anticapitalistes de
Marseille organisées par le NPA en mai 2011.

Le PSE, qui a vu le jour après le départ de Moubarak, est peu présent dans la
jeunesse. Il a par contre une influence dans le monde du travail
par le biais de militants participant depuis les années 1990 à la
construction d’un syndicalisme indépendant du pouvoir.

(Traduit de l’allemand par Max Hoeltz et Pierre Vandevoorde)

Premier tour
 Mohamed Morsi (Frères musulmans) 24,78 % ou 25,31 %
 Ahmed Shafik (ancien régime) 23,66 % ou 23,75 %
 Hamdeen Sabahi (Karama, nassériens de gauche) 20,72 % ou
21,75 %
 Abdel Moneim Aboul Fotouh (Frères musulmans dissidents) 17,47
% ou 17,94 %
 AmrMoussa(Ancien régime) 11,13 % ou 10,97 %

Deuxième tour

 MohamedMorsi 51,73 %
 AhmedShafik 48,27 %

La première source pour le premier tour se trouve sur Wikipedia,
la seconde sur
http://www.electoralgeography.com/new/en/countries/e/egypt/e
gypt-presidential-election-2012.html

Lecture

http://forumdesdemocrates.over-blog.com/article-les-egyptienstentes-
par-une-troisieme-voie-105861890.html

[1] Hamdeen Sabahi a été un opposant résolu aux présidents
précédents et a connu 17 fois la prison. Se réclamant de Nasser,
il avait notamment participé à la fondation du parti Karama et de
la coalition Kifaya. Impliqué dans la révolution de janvier 2011, il
se bat pour le départ des militaires du pouvoir et des mesures de
justice sociale.

http://english.ahram.org.eg/NewsContent/36/124/36856/
Presidential-elections-/Meet-the-candidates/Hamdeen-
Sabbahi.aspx