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Libye : Ce que disent les analystes

D 23 mars 2012     H 05:32     A IRIN     C 0 messages


DUBAI - Un an après le soulèvement populaire qui a permis de renverser l’ancien dictateur, le gouvernement transitoire de la Libye n’a pas encore réussi à offrir un leadership cohérent et à exercer un véritable contrôle de l’État, selon les analystes.

La lutte de pouvoir qui oppose des centaines de milices [ http://www.irinnews.org/Report/94559/Analysis-Libya-s-long-road-to-disarmament ] menace la transition de la Libye vers un État démocratique sécuritaire. En l’absence d’institutions nationales, les rebelles qui ont contribué à renverser l’ancien leader Mouammar Kadhafi gèrent maintenant tous les établissements, des centres de détention aux hôpitaux, mais ils se sont également engagés dans des affrontements meurtriers et font l’objet d’accusations de violations des droits de l’homme.

On a rapporté, au cours des dernières semaines, une augmentation de la violence entre les milices [ http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-16570594 ] ; l’assassinat d’un membre de l’ancien régime [ http://www.hrw.org/news/2012/02/02/libya-diplomat-dies-militia-custody ] ; et des affrontements tribaux meurtriers [ http://reliefweb.int/node/478161 ] dans le sud du pays. Les attaques de représailles [ http://reliefweb.int/node/475039 ] menées contre l’ensemble de la communauté tawergha [ http://www.irinnews.org/fr/Report/94475/LIBYE-Une-route-semée-d-embûches-pour-la-minorité-tawergha-en-Libye ] auraient, selon certaines informations, été répétées contre d’autres [ http://www.hrw.org/news/2012/02/21/libya-displaced-people-barred-homes ] accusés d’avoir combattu aux côtés du colonel Kadhafi pendant la guerre.

Si le gouvernement de transition ne parvient pas à ramener la stabilité dans les institutions de l’État au cours des prochains mois, les observateurs craignent que l’élection nationale, qui doit se tenir en juin 2012, n’entraîne une nouvelle escalade du conflit.

Voici un tour d’horizon des récentes publications par des groupes de réflexion, des analystes et des organisations des droits de l’homme :

Dans un rapport publié le 16 février [ http://www.amnesty.org.uk/news_details.asp?NewsID=19948 ] , Amnesty International accuse le Conseil national de transition (CNT) de manquer à la fois de l’autorité et de la volonté politique nécessaires pour mater les milices, que l’organisation décrit comme « hors de contrôle ». Selon le rapport, les milices commettent des violations généralisées des droits de l’homme, notamment en torturant certains détenus, parfois jusqu’à la mort, pendant les interrogatoires. Des détenus ont dit à Amnesty qu’ils avaient avoué des viols et des meurtres qu’ils n’avaient pas commis pour faire cesser la torture. Le rapport d’Amnesty indique par ailleurs que les milices jouissent d’une « impunité totale » et que les autorités n’ont « rien » fait pour enquêter sur les crimes de guerre et engager des poursuites.

Médecins Sans Frontières (MSF) a suspendu ses opérations médicales [ http://www.doctorswithoutborders.org/press/release.cfm?id=5744&cat=press-release ] dans la ville côtière de Misrata à la fin janvier. L’organisation a indiqué qu’elle traitait de plus en plus de patients qui avaient été torturés lors d’interrogatoires. Les milices demandaient à MSF de soigner les détenus pour qu’elles puissent les interroger et les torturer à nouveau, une pratique qualifiée d’« inacceptable » par les responsables de MSF.

À la fin novembre, le rapport [ http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=S/2011/727&referer=/english/&Lang=F ] du Secrétaire général des Nations Unies au Conseil de sécurité sur la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (MANUL) a abordé le problème de la discrimination contre les ressortissants d’États tiers et cité des cas d’individus ayant été ciblés à cause de la couleur de leur peau. La rapport indique par ailleurs que les milices auraient placé des enfants en détention avec des adultes et des femmes sous la supervision d’hommes et qu’elles auraient contraint des membres de la minorité ethnique tawergha, qui ont été nombreux à se battre aux côtés de Kadhafi pendant la guerre, à quitter leur foyer pour les battre ou les exécuter en détention.

Les milices sont désormais bien établies ; elles sont bien organisées et ont mis en place leurs propres procédures pour l’enregistrement des membres et des armes, a indiqué l’International Crisis Group (ICG) en décembre, dans son plus récent rapport sur la Libye [ http://www.crisisgroup.org/en/regions/middle-east-north-africa/north-africa/libya/115-holding-libya-together-security-challenges-after-qadhafi.aspx ] . Leurs membres sont cependant unis par une quête de pouvoir et de sécurité territoriale plutôt que par un véritable agenda politique. « Les milices imitent l’organisation de l’armée... Elles émettent des mandats, arrêtent et détiennent des suspects... ce qui a parfois des conséquences graves pour les communautés qui font l’objet de discrimination et de sanctions collectives ». Si les inégalités géographiques, les jeux de pouvoir et la fragmentation des chaînes de commandement ont entraîné des affrontements armés entre les différentes milices et affecté la capacité du pays à se développer, les milices ne devraient pas, néanmoins, être contraintes de rendre les armes avant que leurs intérêts ne soient considérés et leurs craintes sécuritaires, apaisées, indique le rapport de l’ICG. « Si la reconstruction de la Libye exige qu’on décide de leur sort [des milices], la précipitation serait tout aussi dangereuse que l’apathie dans ce domaine. ».

Un désarmement trop rapide ou trop brutal pourrait avoir un effet contraire à celui qui est attendu et provoquer un mouvement de résistance, a reconnu [ http://www.inegma.com/?navigation=reports&page=2 ] l’Institut pour l’analyse militaire du Moyen-Orient et du Golfe (INEGMA) en novembre 2011. « Certaines personnes évaluent à près de 50 pour cent les risques d’un nouveau conflit. » Ash Rossiter, chargé de recherche à l’INEGMA, estime que le CNT devrait, pour l’éviter, prendre tous les moyens nécessaires pour renforcer sa propre légitimité et mettre progressivement en place une force de sécurité nationale.

En l’absence de contrôle, les violences commises par les milices pourraient replonger le pays dans la guerre civile, a mis en garde [ http://news.yahoo.com/libya-names-head-armed-forces-militias-clash-001332609.html ] Moustafa Abdel Jalil, le président du CNT, en janvier.

Les ministères de la Défense et de l’Intérieur devront renforcer leurs capacités de manière significative pour parvenir à transformer ces groupes disparates en une armée nationale et une force de police, a écrit, début février [ http://www.usip.org/publications/reforming-the-security-sector-in-tunisia-and-libya ] , Bob Perito, directeur du Centre d’innovation pour la gouvernance du secteur sécuritaire (Security Sector Governance Center of Innovation) de l’Institut américain pour la paix (USIP), après avoir rencontré des responsables de la police, de l’armée et du gouvernement en Libye.

Alina Menocal, chercheuse pour le programme « politiques et gouvernance » de l’Institut de développement d’outre-mer (Overseas Development Institute, ODI), a dit que la transition vers une nouvelle Libye exigerait plus que l’abolition pure et simple des milices. Elle a souligné la nécessité d’engager un dialogue sur la façon de parvenir à un consensus politique qui permettrait aux miliciens de se sentir suffisamment en sécurité pour renoncer à leurs armes et au pouvoir. « Un règlement politique de base fait défaut », a-t-elle écrit dans un billet publié le 2 février sur un blogue de l’ODI [ http://www.odi.org.uk/opinion/details.asp?id=6290&title=libya-transition-state-building-security-elections-strategic-patience ] .

Selon le directeur adjoint du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord de l’ICG Joost Hiltermann, qui a participé à un débat public [ http://www.odi.org.uk/events/report.asp?id=2785&title=libya-transition-options-future ] sur la Libye organisé par l’ODI à la fin janvier, le pays est confronté à un cercle vicieux. Le vide sécuritaire qui règne ralentit les efforts pour renforcer l’État de droit, car les citoyens se tournent vers les milices et les seigneurs de guerre pour les défendre. « Les milices régionales resteront donc en place dans l’ensemble du pays et il n’y aura aucune possibilité de démobilisation tant qu’un gouvernement légitime ne sera pas élu. »

Les élections en Libye seront « difficiles à organiser » dans les délais serrés qui ont été convenus, selon Sean Delly, directeur adjoint du département de développement et de reconstruction post-conflit (Post-war Reconstruction and Development Unit, PRDU) de l’université d’York et ancien conseiller principal pour le relèvement auprès du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), qui a également participé à l’événement.

En décembre 2011, Ibrahim Sharqieh, spécialiste de la politique étrangère auprès de la Brookings Institution et directeur adjoint du Centre Brookings de Doha, a insisté [ http://www.brookings.edu/articles/2011/1231_libya_sharqieh.aspx ] sur le fait que la victoire ne devait pas être confondue avec la légitimité dans la Libye post-révolutionnaire. D’après cet expert en résolution des conflits dans le monde arabe, les rebelles devront, en l’absence d’une idée fédératrice comme la lutte contre le régime de Kadhafi, apprendre à travailler ensemble pour atteindre des objectifs nationaux. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrons espérer la fin des violences. L’appropriation [du processus démocratique], la légitimité, l’inclusion, la réconciliation et la mise à profit du tribalisme et des compétences des rebelles sont essentielles pour aller de l’avant, a-t-il dit. « La reconstruction de la Libye bénéficiera certainement de la diversité des expériences des rebelles, car le processus lui-même comporte de multiples facettes. »

Selon Thomas Hüsken, de l’université allemande de Bayreuth, toute mesure destinée à assurer la stabilité devra prendre en compte la culture politique tribale de la Libye, car les milices sont souvent étroitement liées aux tribus. Elles ont par ailleurs permis aux leaders tribaux d’acquérir du pouvoir et d’exercer une profonde influence sur le CNT et l’ordre actuel, a-t-il écrit dans un article [ ] publié en janvier par le Centre libyen d’études et de recherche (Libyan Centre for Studies and Research). Or, la structure tribale n’est pas compatible avec les modèles occidentaux de démocratie et sa relation avec les jeunes et la société civile urbaine est « hautement problématique », a-t-il dit. « Au cours des derniers mois, des hommes politiques tribaux n’ont pas hésité à exclure les groupes progressistes, les jeunes citadins éduqués et, en particulier, les femmes de la sphère politique afin d’acquérir davantage de pouvoir. » Cette tendance risque de continuer à se manifester pendant la période de transition.

Les divisions qui règnent entre les milices et le gouvernement et entre la structure tribale et les éléments de la société civile ne sont que deux éléments parmi de nombreux autres. Si les Libyens se sont approprié leur révolution, la complexité de ce processus d’appropriation pourrait affaiblir le sentiment d’unité que la révolution a permis de développer, a indiqué l’Institut américain pour la paix (USIP) dans un rapport spécial [ http://www.usip.org/publications/stakeholders-libya-s-february-17-revolution ] publié en janvier 2012. Les divisions entre le mouvement de la jeunesse et le CNT ; entre les Libyens qui sont restés et ceux de la diaspora ; entre les groupes laïques et religieux ; entre les tribus et les groupes ethniques ; et, bien entendu, entre les différentes milices ont alimenté les tensions existantes et pourraient atteindre un point de non-retour si on ne parvient pas à les désamorcer. « La nature changeante des allégeances entre les groupes rebelles » risque de compliquer encore plus le retour à la normalité, indique le rapport.

Dans une série de deux articles [ http://www.jamestown.org/programs/gta/single/?tx_ttnews%5btt_news%5d=38988&cHash=e0ab882c08ff25f8fe362be5f6a8ba04 ] publiée en février, la Fondation Jamestown a dit que l’instabilité en Libye avait dépassé les frontières et qu’elle avait entraîné des problèmes sécuritaires en Afrique du Nord et de l’Ouest. La disponibilité des armes pillées en Libye a encouragé une rébellion touarègue au Mali et pourrait faciliter la création de nouveaux groupes armés en Afrique de l’Ouest, a indiqué le groupe de réflexion. « Le soutien inapproprié accordé par l’Occident à une rébellion libyenne spontanée qui n’avait ni idéologie, ni objectifs communs, ni réelle organisation a donné lieu à la réalité actuelle. »

La Fondation Jamestown a également souligné que des appels au renversement [ http://www.jamestown.org/single/?no_cache=1&tx_ttnews%5btt_news%5d=38987&tx_ttnews%5bbackPid%5d=7&cHash=988c9e497bbd23263d7e3ab058ee89eb ] du CNT avaient été publiés sur les médias sociaux. On accuse en effet le CNT d’ouvrer pour le « retour de la dictature de Kadhafi ». Ses responsables ont reçu des insultes et fait l’objet de violentes attaques de la part de manifestants ou de milices armées. « La capacité [du CNT] à envisager ou à promouvoir la conciliation semble diminuer plutôt qu’augmenter », indique l’auteur des articles.

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le résumé moins récent mais complet de diverses analyses intitulé Stability in post-Gaddafi Libya [La stabilité en Libye dans l’ère post-Kadhafi] et préparé par le Centre de fusion de données civilo-militaires [ ] (Civil-Military Fusion Centre, CFC) de l’OTAN.

Source : http://www.irinnews.org