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Libye : « plaque tournante du trafic humain »

D 3 janvier 2017     H 05:05     A Régis Marzin     C 0 messages


A l’Hôtel de l’Industrie, place Saint-Germain-des-Près, du 25 octobre au 13 novembre 2016, est exposé le travail du photojournaliste Narciso Contreras sur le trafic d’êtres humains en Libye. La Fondation Carmignac lui a décerné le Prix Carmignac du photojournalisme. Sont exposé-e-s les photographies et une présentation de l’enquête.

Ce vendredi, en fin d’après-midi, a lieu un débat improvisé avec le reporter et le responsable du prix à la Fondation Carmignac, qui traduit pour lui la discussion en anglais. Après avoir lu les explications accompagnant les photos, ce court débat d’une demi-heure permet de mieux comprendre « la réalité du trafic d’êtres humains en Libye ».

Comme Narciso Contreras l’a indiqué au journal Télérama, « le prix Carmignac (lui) a offert les moyens de pouvoir faire un pas de côté, de (s)’échapper des canaux officiels ». Le Prix Carmignac l’a choisi en 2015 sur le thème de l’édition de 2016, la Libye et les migrants, l’a financé d’une bourse de 50 000 euros, et, il parti en février 2016. Seul photographe sur le terrain, il a travaillé avec une dizaine de personnes en Libye. D’autres personnes en France, en lien avec l’AFP, ont vérifié certaines données de l’enquête.

Les migrants arrivent en Libye par deux villes, par Koufra à l’Est, du Soudan et de l’Erythrée, et par les villes de l’Ouest de la Libye, du Niger ou du sud de l’Algérie, en provenance du Nigéria, de la Gambie, de la Guinée Conakry, etc.. Ils et elles traversent ensuite des zones contrôlées par des milices et ont peu de chance de leur échapper. Maintenant, les personnes qui arrivent ‘libres’ au Nord de la Libye et peuvent chercher à passer la Méditerranée en payant des passeurs sont peu nombreuses. Piégé-e-s par les milices, les migrants restent prisonniers dans des ‘centres de transit’, puis sont vendus bateau par bateau à des trafiquants, comme des esclaves. Les migrant-e-s ne payent plus, car ils sont vendu-e-s.

Le trafic se fait sous le vol des avions de l’Otan. Parfois, si le bateau de Médecins sans frontière est dans les parages, les miliciens envoient le bateau vers celui de MSF. Dans de nombreux cas, les personnes vendues reçoivent un numéro de téléphone à appeler en Italie, sans savoir qu’il s’agit de celui des trafiquants.

Selon le photographe, les migrants savent qu’il y a ces trafics mais acceptent le risque. Sans doute, que les proportions des pays d’origines changent, que plus cela empire, plus la proportion d’Erythréens augmente. Il y a toujours de l’extorsion d’agent des familles. Il y a quelques années, les miliciens demandaient 300 euros et demandent maintenant 700 euros.

Entre juin 2014 et mars 2016, deux gouvernements, l’un se revendiquant du Congrès général national installé à Tripoli et l’autre de la Chambre des représentants basé à Tobrouk dans l’Est se sont disputés le pouvoir. En 2016, pour tenter de sortir de la guerre civile, un gouvernement d’union nationale (GNA), basé à Tripoli, dirigé par Fayez el-Sarraj et soutenu par l’ONU, essaye de reprendre le contrôle du territoire. Avec le soutien d’une partie des milices, il se bat pour reprendre Syrte à l’Etat islamique. A l’Est, soutenu entre autres par l’Égypte, le général Khalifa Haftar et l’armée nationale libyenne (ANL) se sont, en septembre « emparés des principaux terminaux pétroliers », ’défiant’ le GNA.

Selon le reporter, il existe des Centres de rétention ‘officiels’ gouvernementaux, « les mieux entretenus et seulement dans le but de documenter la crise des migrants en Libye afin d’obtenir une aide internationale » (Télérama), qui sont cependant difficiles à bien visiter. En 2016, près de 1200 personnes ont été rapatriées vers le Sénégal par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), l’« agence de la migration des Nations unies » depuis le 19 septembre 2016. L’OIM rapatrie aussi des gens au Niger. Il y a donc un espace officiel des ‘migrants’ accessible à l’OIM et à l’ONU.

Narciso Contreras n’a pas eu d’information que le GNA ait prévu de prendre le contrôle de Centres de transit des milices pour arrêter les trafics. Quelles sont exactement les milices qui trafiquent et quelles sont leurs relations avec le GNA ? Selon le photographe, dans Télérama, « les centres de rétention, notamment dans le Nord-Ouest, servent en réalité de points de distribution ou de ravitaillement pour les trafiquants ». Les panneaux de l’exposition indiquent « trafic d’êtres humains et commerce d’esclaves organisés par les milices au pouvoir et liés au réseaux mafieux ».

Le GNA, suite aux accords de Skhirat du 17 décembre 2015 entre le Congrès général national et la Chambre des représentants n’a pas eu le soutien de la Chambre des représentants. Il s’est appuyé sur des « alliés » pour arriver à contrôler la partie Nord-Ouest de la Libye, « plusieurs brigades de la capitale et de Misrata », dont « des katibas (unités combattantes) de Misrata ».

Il y a un discours « officiel » sur la Libye « victime des migrations » que conteste le photographe, qui parle lui de « profit » dans les trafics.

Le trafic se poursuit en Europe. L’OIM a confirmé l’existence d’un trafic de prostitution depuis le Nigéria vers l’Italie, la France, l’Espagne, l’Autriche, etc.., alors que 3600 femmes sont arrivées de ces pays en Italie au premier semestre 2016, 80% d’entre elles pour devenir prostituées. Luca Pianese, expert de l’OIM a expliqué à Jeune Afrique ce 11 novembre que « le trafic a explosé : 433 Nigérianes sont arrivées sur les côtes italiennes en 2013, 1454 en 2014, 5653 en 2015, 7768 au 30 septembre de cette année. Sans compter depuis deux ans des centaines de mineures, parfois âgées de 12-14 ans. »

Ces femmes se sont engagées à rembourser une soi-disant ‘dette’ « le plus souvent entre 20 000 et 50 000 euros » selon le procureur adjoint à Palerme, Maurizio Scalia, cité par l’AFP. Que deviennent les hommes plus nombreux ? Sont-ils aussi victimes d’un endettement forcé ? Vers quelles activités économiques lucratives sont-ils dirigés pour payer les trafiquants, dans quels pays ? Comment va évoluer la relation entre les milices et le GNA ? Que prévoit de faire l’ONU et l’OIM ? Beaucoup d’informations manquent encore et Narciso Contreras n’a pour l’instant travaillé que sur un bout de la chaîne.

Régis Marzin

Paris, Article écrit et publié le 13 novembre 2016, à partir de données de l’exposition et du débat comme de données extraites d’articles de presse.

Source : http://regismarzin.blogspot.fr