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Elections législatives au Maroc : Rivalités autour d’une politique décidée à l’avance

D 17 novembre 2016     H 05:26     A Al mounadil-a, Chawqui Lotfi     C 0 messages


Editorial du numéro 65 du journal Al Mounadhil-a

Une réponse se trouve en bas de cet article

Les élections législatives du 7 octobre 2016 ont confirmé :

 que le mécanisme politique du régime (ses pseudo conseils « représentatifs » et ses différentes institutions, …) semble bien efficace dans son rôle de maquiller le despotisme, et concrétiser l’alliance de la monarchie avec des forces politiques représentant les classes dominantes ;
 que l’expérience acquise du régime en matière d’intervention dans l’arène politique a donné son efficience, que ce soit à travers ses anciens instruments (Union constitutionnelle (UC), Rassemblement national des indépendants (RNI), Mouvement populaire (MP)…) ou nouveaux (le PAM, Parti authenticité et modernité) qui ont raflé, réunis, 48% des sièges du Parlement. Alors que les partis descendant du mouvement national bourgeois ont récolté environ 20% des sièges, et le parti de Benkirane environ 32%.

Les partis du mouvement national (qui ont constitué l’opposition historique, dont sa dernière configuration était la « Koutla » (Alliance démocratique) au début des années 1990), ont capitulé et dégénéré. Leurs lignes de démarcation des autres partis créés par le régime ne cessent de disparaitre, ce qui donne au régime une majorité de 68%. De son côté, le Parti de la justice et du développement (PJD) a démontré son attachement aux constantes du régime, et sa prédisposition à se résigner et à mettre en œuvre la politique qu’on lui dicte. Ceci donne au régime une majorité de près de 100% dans la Chambre des représentants.

Il est clair que le Parti de la justice et du développement représente une partie de cette vague d’islamisation qui a déferlé sur la région, et s’est développée sur les ruines de la gauche historique. Une vague qui même si elle entre en conflit, ou plus se heurte, avec le régime, elle n’est pas porteuse d’alternative au capitalisme dépendant, et sur le plan politique, ne peut aboutir qu’à une autre forme de tyrannie.

Le constat le plus flagrant est cependant l’absence totale d’une voix qui représente la classe ouvrière. Les travailleur.s.es, et les autres couches laborieuses sont alors divisées, soit en votants hébétés qui soutiennent tel ou tel parti de la bourgeoisie, ou en individus enfermés chez eux, désintéressés de la politique, mais qui bouillonnent de rage d’impuissance.

Le régime a bien huilé sa machine politique et y a changé certaines pièces pour poursuivre ses attaques violentes contre les quelques acquis qui nous restent et resserrer l’étau autour des libertés démocratiques.

Après le renouvellement de sa façade gouvernementale, le régime ne tardera pas à attaquer sur d’autres fronts :
 la restriction du droit de grève au point de le rendre impossible ;
 le démantèlement du système de la Fonction publique ;
 la généralisation de la flexibilité et de la précarité en recourant au système contractuel à durée déterminée dans la fonction publique ;
 la révision du droit du travail pour le rendre encore plus flexible répondant aux intérêts du capital local et étranger ;
 la réduction des dépenses sociales ;
 le paiement de la dette en vue de la ramener à un niveau qui satisfait les institutions financières mondiales.

En bref, une politique d’austérité rigoureuse dont la lourde facture devra être payée par ceux d’en-bas, à savoir les masses de travailleurs, de chômeurs et de petits producteurs…

La classe ouvrière et les classes populaires opprimées ne sont pour la plupart pas du tout organisées ou sont très mal organisées avec une conscience politique très faible et des formes de résistance fragmentées et isolées. C’est la conséquence d’une domination historique de forces bourgeoises non conséquentes dans leur revendication de démocratie, de l’anéantissement de la gauche révolutionnaire et ses difficultés subjectives

Cette situation impose des tâches colossales pour la gauche socialiste révolutionnaire. A commencer par l’engagement dans la lutte quotidienne des travailleurs, et dans les mobilisations populaires, pour les enrichir de l’expérience historique du mouvement ouvrier, que ce soit en termes de formulation des revendications, ou de construction des divers outils de lutte, l’organisation démocratique des luttes, ou la liaison des tâches immédiates aux tâches stratégiques. Au centre de cet engagement quotidien s’exerce la majestueuse tâche d’organiser les meilleures forces de lutte dans un parti politique totalement indépendant, avec une base programmatique et une bannière révolutionnaire exprimant les intérêts historiques de la classe ouvrière.

Ce sont des tâches pour sortir de l’abîme, de nager à contre-courant, qui nécessitent une forte détermination, et un travail patient et de longue haleine. Quoiqu’elles apparaissent immenses ses tâches sont le seul moyen pour se libérer complètement de la tyrannie, de l’exploitation et de toutes les formes d’oppression.

P.-S.

Traduction de l’arabe par Rafik Khalfaoui

XXX X

Maroc : La position d’Al Mounadil-a sur les élections, erreur de constat et perspectives.

Un débat a été porté par les camarades d’Al Mounadil-a visant à disqualifier la position de boycott adoptée par la quasi-totalité des courants de la gauche radicale, y compris de la part de camarades issus de la même tradition politique marxiste révolutionnaire.

Dans leurs argumentations, les camarades mélangent plusieurs questions : certaines ont trait à l’appréciation de la situation politique générale, du degré de crise (ou non) de la façade démocratique, des processus de construction politique d’une conscience de classe, de la compréhension des institutions en vigueur et de la place des élections. Sans prétendre aborder tous les aspects, allons aux idées essentielles développées par les camarades :

 Le boycott, loin de traduire une conscience politique, participerait au maintien de la situation. Il délèguerait de fait au régime la possibilité de se réajuster, car il s’agit d’un boycott passif sans impact sur la politique générale. Les masses qui boycottent sont arriérées politiquement et leur action n’a aucune signification collective, ni de poids politique, contrairement à ceux qui participent. L’action politique réelle est dans l’activité indépendante des masses, or les masses qui boycottent, ne font pas pour autant grève, ne renforcent pas les syndicats ou les partis de gauche. Appeler au boycott, c’est encourager les masses à rester dans la passivité politique. Il s’agit en fait d’un appel à une forme d’abstentionnisme ou d’indifférentisme politique. Le fait que de larges fractions boycottent spontanément ne signifie pas que nous devons défendre cette forme de réaction de masse ou lui trouver des qualités.

 Il peut y avoir une défiance vis-à-vis des partis mais cela ne signifie pas une défiance vis-à-vis de la monarchie. Celle-ci, sait réussir toutes les échéances électorales donnant une certaine légitimité aux institutions élues qui continuent à remplir leurs fonctions, y compris en terme de mécanismes de cooptation de nouvelles élites ou générations. Le boycott n’a aucune portée et utilité politique tant que les fonctions des élections et des institutions sont remplies. Seule la participation peut permettre de mener les batailles nécessaires au dépassement de la conscience retardataire des masses qui est une tendance lourde dans la situation. En l’absence d’un parti, de traditions politiques permettant aux masses d’apprendre de leurs défaites, de se préparer dans les meilleures conditions pour les prochaines étapes de la lutte, le boycott n’est qu’une manifestation de la perte de confiance dans l’action politique, y compris révolutionnaire, et d’un repli.

 Le niveau de participation montre qu’un secteur de masse croie en la possibilité de voir sa situation s’améliorer par le biais « des institutions » et cherchent à voir qui peut représenter le mieux ses intérêts. Les élections aujourd’hui (depuis 2002) sont moins entachées de corruption. La mainmise directe du ministère de l’intérieur s’est, dans certaines proportions relâchée, conférant une légitimité relative, locale et internationale, au processus électoral. Il ne s’agit pas d’opposer le boycott à la participation mais le boycott passif (le seul en cours actuellement) au boycott révolutionnaire (possible dans certaines circonstances exceptionnelles de crise révolutionnaire). De même, il faut différencier la participation « opportuniste « et la participation« révolutionnaire » visant à utiliser les institutions de la démocratie bourgeoise et le parlement comme une tribune révolutionnaire.

 La question des obstacles légaux et constitutionnels ; ou de ce qu’est le parlement dans sa réalité, n’a pas d’importance décisive, car il ne s’agit pas de mener des batailles visant à faire adopter des lois ou d’avoir une action parlementaire visant à faire changer le système de l’intérieur, mais de faire de l’agitation, afin d’aider les masses à se hisser à la compréhension nécessaire du dépassement des institutions actuelles. Une telle perspective, si elle devait être empêchée par le pouvoir, en empêchant la possibilité de candidatures révolutionnaires, leur exclusion de l’enceinte parlementaire ou même leur emprisonnement, ne ferait que montrer aux masses qui sont leurs vrais représentants. Ce serait une démonstration plus forte et plus productive que le boycott.

La logique marxiste est claire et ne souffre d’aucune ambiguïté : tant que nous sommes dans l’incapacité à faire tomber le parlement et à le remplacer par des institutions représentatives des travailleurs et classes populaires, nous devons l’utiliser pour toucher les couches les plus arriérées.

 Dans l’histoire du Maroc, on a vu comment certaines forces ont pu s’appuyer sur leur présence parlementaire pour toucher des couches plus larges qui croient encore en les institutions et renforcer leur légitimité sociale et politique. La logique marxiste est claire et ne souffre d’aucune ambiguïté : tant que nous sommes dans l’incapacité à faire tomber le parlement et à le remplacer par des institutions représentatives des travailleurs et classes populaires, nous devons l’utiliser pour toucher les couches les plus arriérées. La position générale est donc la défense du principe de la participation révolutionnaire et non le boycott qui ne peut être qu’une position exceptionnelle.

 L’obstacle principal à la participation des révolutionnaires n’est ni dans la nature du régime politique ou des règles électorales imposées car elles seront en vigueur tant que le despotisme n’est pas tombé mais dans la faiblesse de la gauche radicale qui n’a pas d’implantation de masse et a hérité d’une conception étroite et gauchiste sur cette question. Le boycott est une prise de position visant à masquer la faiblesse de la gauche radicale qui, si elle participait, mettrait à nue ses maigres forces. Elle ne vise qu’à conforter une image de refus du système et de ses règles du jeu, tout en confortant la conscience retardataire des masses.

 La position d’al mounadil-a serait en conformité avec la tactique des bolcheviks, des résolutions de l’IC et des écrits de Lénine sur le gauchisme et des leçons historiques. Cependant, L’essentiel est de construire l’avant-garde consciente, seule capable, d’orienter le mouvement de masse vers les batailles décisives et de combattre les formes d’arriération politique aujourd’hui dominantes.

En vue d’une discussion critique :

Comme de nombreux autres courants de la gauche radicale au Maroc, nous partons d’une appréciation différente des tâches et de la manière d’aborder la question électorale.

 Un courant révolutionnaire même petit, ne peut se contenter d’un positionnement abstrait dans une conjoncture politique déterminée. Il ne peut se contenter de dire, que compte tenu des conditions objectives et subjectives (situation de reflux, absence d’un parti influent), la seule position à défendre est la nécessité de construire un parti qui pourra résoudre les taches qu’il ne peut faire aujourd’hui. Le parti (hypothétique ) à venir se substitue aux réponses concrètes dans une situation déterminée. Cette méthode revient fondamentalement à ne pas se positionner, et là très clairement en ne soutenant ni le boycott, ni la participation, tout en critiquant spécifiquement la première position considérée comme la plus erronée. Tout en expliquant aux autres, ce qu’ils devraient faire ou défendre. Cette démarche est typique d’une politique de différenciation loin des enjeux concrets de la situation et qui ne saisit pas l’enjeu politique de la position de boycott dans le contexte actuel.

 Chez les camarades, La masse qui ne vote pas est considérée d’une manière homogène et le boycott, la traduction d’un spontanéisme régressif, une expression figée de l’arriération politique. Au-delà des bases sociales directes des partis largement encastrés dans des processus matériels d’intégration clientéliste ( et pas seulement véhiculant des illusions politiques sur le possible usage des institutions ) , ceux qui votent, sont « rabattus » vers les urnes par l’achat des voix, les promesses à tout va, les pressions exercées par les agents d’autorité, l’allégeance évoquée à la fidélité royale, les ressorts tribaux etc…qui ne sont pas, très précisément, des signes de conscience politique plus avancée. Ce sont en partie les couches les plus arriérées politiquement pour reprendre l’expression des camarades qui sont canalisés dans le processus électoral. Et ceux qui se mobilisent dans les résistances quotidiennes ne sont pas nécessairement ceux qui votent.

Il est d’ailleurs étrange que les camarades évoquent la nécessité de la participation pour combattre les illusions parlementaires, comme si au Maroc le problème clef qui bloque les avancées de la lutte des classes est la prégnance de cette illusion, alors que le sentiment général est plutôt la désillusion de ce qu’est cette chambre de guignols et de corrompus. L’illusion parlementaire est surtout le fait d’une couche très restreinte liée à la petite bourgeoisie urbaine/ classes moyennes intellectuelles.

 Personne n’affirme que le boycott est l’expression achevée d’une conscience de classe. Les motivations sont diverses : du rejet conscient à l’abstentionnisme passif en passant par une palette de raisons intermédiaires. Motivations qui ne recoupent pas d’ailleurs nécessairement les distinctions entre ceux en âge de vote mais qui ne sont pas inscrits ou ceux, qui inscrits, ne vont pas voter. Par contre donner un contenu unilatéral à un fait qui concerne quasiment 75-80% de la population concernée est pour le moins hasardeux. Pas plus qu’à l’inverse, on ne peut faire l’impasse des votes nuls ou des votes sanctions mêmes s’ils restent peu significatifs. Le boycott traduit une défiance de masse de la façade démocratique et des institutions avec des contenus politiques multiples et traduit, à des degrés divers, le fait de ne pas être représentés par les partis et les élus. Pas seulement non représentés par eux mais considérés comme les amis des puissants et des élites qui ne pensent qu’à s’enrichir. La question n’est pas de déplorer cet état de fait solidement installé mais de voir comment le politiser et quels sont les mots d’ordre et tactiques de luttes, dans une conjoncture déterminée, qui peuvent faire avancer, même un petit peu, le combat démocratique général.

 De ce point de vue, il y a sans doute une différence d’appréciation. Les camarades insistent sur le fait qu’il n’ ya pas de crise du projet makhzenien et que le boycott ne permet pas de peser dans la situation politique. Que la vraie politique, c’est quand des millions de personnes sont dans la rue, que dans le contexte actuel, rien n’empêche le pouvoir de réajuster sa façade démocratique et de continuer sereinement à mettre en place ses politiques. Certes, mais le rôle des élections, des institutions dites représentatives, de la façade démocratique, c’est de tester la légitimité des médiations que le pouvoir construit dans son rapport à la société. Que ces médiations qui servent de rôle de tampon et de pare feux bénéficient d’un appui stable ou non, n’est pas une question secondaire pour le pouvoir qui a mis en œuvre une propagande effrénée et dépensé des milliards de DH pour organiser la farce électorale. Le degré de légitimité , la nature de la répartition des rapports de forces à l’intérieur de l’establishment, les formes d’alliance entre le pouvoir s’appuyant sur une couche maffieuse très étroite et une base sociale d’appui plus large, sont des éléments essentiels pour maintenir l’apparence d’une monarchie au-dessus des partis et des institutions. Avec un taux de participation inferieur à 25%, il apparait clairement que ceux d’en haut ne nous représentent pas. Sans doute les camarades, quand ils pensent à la crise du projet makhzenien ont l’image d’une crise de sa capacité de gouverner, une crise ouverte de domination, et si elle n’a pas lieu c’est que par définition, le régime est stable. Encore une vision où la réalité n’a que deux couleurs : noire ou blanche. Il ne vient pas à l’idée des camarades que pour le régime, les élections sont aussi un baromètre même déformée de l’adhésion de la population aux institutions ou d’une instabilité latente, de sa capacité ou non, dans le contexte actuel, à reconstruire sur la durée une carte politique qui remplace celle, discréditée, héritée de Hassan II. L’appel au boycott n’est pas seulement un appel à ne pas voter mais aussi, à travers une campagne active, une politisation de son sens. Celui de ne pas faire confiance aux partis du système, celui de la nécessite d’un changement démocratique radical qui ne viendra pas des élections, celui du combat nécessaire à mener 5 ans après le M20F parce que rien n’a changé pour ceux d’en bas. Il y avait un enjeu à se positionner clairement pour organiser la défiance politique vis-à-vis du système. Le boycott n’est pas par essence, même dans une période non révolutionnaire, un acte apolitique. La répression qui s’est abattue sur les camarades défendant cette position indique que le pouvoir a une plus nette conscience de sa signification politique qu’ Almounadil-a.

Les camarades qui théorisent le principe de participation révolutionnaire cherchent des appuis théoriques dans l’expérience du mouvement ouvrier international. Ils le font en isolant le contexte et les questions concrètes auxquelles répondait une tactique de participation. Comparer la Douma au parlement du Makhzen implique une incompréhension des deux. Il y a une abstraction faite des dispositifs institutionnels, des règles électorales, des possibilités légales qui sont incomparables. Sans doute, les camardes ne voient pas la variété concrète des régimes politiques au delà des apparences formelles (tsarisme et monarchie). Mais surtout, l’appel à la participation de Lenine, dans le contexte russe, n’était pas considérée comme une règle générale et était en lien avec l’appréciation, à un moment donné, que le lien du parti aux masses était désorganisé et les possibilités d’un travail politique de masses direct conjoncturellement restreint. En faisant référence aux écrits de Lénine sur le gauchisme ou les résolutions de l’IC, ils ne voient pas que la question traitée renvoie, non pas à des conditions universelles, mais aux pays d’Europe occidentale, où non seulement existent des traditions parlementaires installées, avec y compris une social démocratie forte dans les institutions et possédant une base ouvrière significative. Les transpositions abstraites sont inopérantes. Cela apparait très clairement car les camarades analysent ou défendent la participation dans le parlement makhzenien comme s’il s’agissait d’une institution démocratique bourgeoise.

 Le parlement makhzenien n’est pas une institution de la démocratie bourgeoisie mais une chambre d’enregistrement sans la moindre autonomie de fonctionnement. La représentation parlementaire n’est pas l’expression, même déformée des intérêts des forces sociales, mais un circuit fermé de cooptation et renouvellement de l’allégeance des élites sociales et politiques au pouvoir central. Il n’ y a pas de place pour un parti d’opposition dans l’enceinte parlementaire, ni les moyens matériels, juridiques, politiques d’en faire une tribune. Tout au plus est accordée la possibilité de poser une question…et encore si l’ordre du jour le permet et si l’on dispose d’un groupe parlementaire. On ne peut être élu que si le pouvoir central y voit un intérêt et le poids institutionnel est fonction des objectifs que se donne le pouvoir dans une conjoncture donnée.

 Les obstacles légaux ou « de fait » sont considérés comme un problème secondaire alors que toute l’architecture makhzenienne vise à produire et réajuster un champ politique contrôlé où toute contestation est désamorcée, et la possibilité de construire une force concurrente ou autonome, exclue. Les camarades évoquent la possibilité, sur la base d’un rapport de force différent et d’un parti plus enraciné et influent, de contourner ces obstacles. On peut se demander, si l’adversaire restera spectateur devant cette possibilité si elle devenait effective, mais surtout cette approche traduit une compréhension mécanique des processus de confrontation politique. Une telle situation signifierait que le climat social et politique aurait significativement évolué, que la façade démocratique aurait implosé ainsi que sa routine parlementaire et électorale, et que peut être bien d’autres questions et taches se poseraient autre que la participation électorale. Il nous semble d’ailleurs que les événements récents dans la région ont laissé entrevoir la possibilité d’une action indépendante des masses, des soulèvements populaires, la construction d’un processus populaire sans passer par la case préalable de la lutte électorale ou de l’agitation des révolutionnaires dans une quelconque enceinte parlementaire. …..

Il y a d’ailleurs une incompréhension de la dynamique électorale du côté des masses. En générale, celle-ci ne votent jamais pour des candidats qui annoncent que leur objectif n’est pas de peser sur la politique générale, de faire des propositions de loi qui vont dans le sens de leur intérêts, qui seraient élus seulement pour dénoncer le système. Un tel profil ne correspond pas à la nature des élections et aucune force radicale n’a pu accéder au parlement sans la défense, non pas seulement propagandiste mais concrète et reconnue, dans des secteurs sociaux, d’un programme d’urgence sociale et démocratique. Or il est assez significatif que la critique du boycott ou la défense de la participation n’est jamais abordée en rapport avec une perspective politique concrète qui articule la défense des intérêts des classes populaires et la nécessite d’aborder la question du gouvernement/pouvoir.

 Penser qu’une participation parlementaire permettra d’élargir l’influence des révolutionnaires est une illusion totale. Il est d’ailleurs faux que les partis ( de l’USFP au PJD ) ont construit leur influence par ce biais là. Leur force relative tenait ou tient à leur insertion sociale : pour le premier comme cristallisation d’une position spécifique dans la combat démocratique et national et de ses liens avec des organisations de masse, le deuxième en raison de sa capacité à développer une orientation spécifique dans le champ de l’islam politique, de la préservation d’une autonomie relative comme parti avec des relais dans le tissu associatif, les quartiers populaires et les mosquées avant même son existence parlementaire . A contrario des formations, comme « Justice et Bienfaisance » ( islamiste ) qui boycotte les élections depuis 1973 n’en conservent pas moins une assise de masse. Nous ne savons pas si l’appréciation des camarades est hâtivement tirée de leur lecture particulière des approches marxistes de la question électorale. Ou si elle traduit une orientation plus profonde : puisque nous sommes dans une situation de reflux généralisée et marquée par l’arriération politique historique des masses, que les luttes sont systématiquement défaites, que n’existe pas une avant garde révolutionnaire implantée et qu’en tout état de cause, les luttes politiques ou le travail de masse ne permette pas sa cristallisation, il ne reste plus que la voie parlementaire pour faire exister durablement une option révolutionnaire crédible ?. Cette approche ressemble étonnement aux options défendues par une partie de l’extrême gauche marocaine des années 70 qui a fait l’option de la participation démocratique une perspective stratégique avec les conséquences que l’on connait….

Il y a reflux et reflux. Certes, les résistances actuelles n’arrivent pas à converger autour d’une perspective politique commune, ni même, à de rares exceptions, à enregistrer des victoires partielles significatives. Mais en même temps, les fronts de luttes se sont élargis, nombre de combats ne sont plus organisés par les appareils de collaboration de classe et ont un caractère de masse et, fait significatif, lors de la séquence électorale, il n’y a pas eu de paix sociale. De la manifestation nationale contre le projet de retraite aux affrontements de sidi bibi alors que le nouveau gouvernement n’est même pas constitué, en passant par l’appel à une remobilisation de la coordination nationale des instituteurs en formation ou dans certaines villes contre la hausse des factures d’eau et d’électricité , montrent bien que le divorce entre le pays réel et le pays légal est énorme et que des secteurs de masses ne comptent pas sur les élections pour se battre pour leurs intérêts. Ou chercher à être représentés dans le cadre du système existant. Que la gauche radicale soit capable ou non d’intervenir dans ce processus réel est une chose mais justifier la participation électorale par ce que le niveau de défaite ne permettrait pas de faire de la politique dans les luttes est une autre….

Les camarades ont une vision particulière des processus de radicalisation. Pour eux, l’état de l’avant garde politique (font ils référence à leur propre réalité concrète ?) est signe de l’état des rapports de forces. De même le fait que n’existe pas un renforcement des partis et organisations réformistes (qui correspondrait selon eux à une première étape de radicalisation !) est un signe supplémentaire. Dés lors il n’y a pas de politique seulement de l’arriération ? Pourtant depuis le 20 Février s’est constituée une couche militante, y compris dans le cadre des processus divers de lutte qui s’en est suivi, sans pour autant que se stabilise une avant garde, ce qui renvoie, non pas à des données intemporelles mais aux limites des orientations et choix de construction de la gauche radicale et à la difficulté de construire une perspective politique commune qui cimente les différentes résistances. Mais cette difficulté ne sera pas résolue par une conception propagandiste de la construction du parti, ni par des positions en surplomb sans impact sur une partie du mouvement réel.

Le positionnement par rapport aux élections ne résout pas les questions de la construction de l’alternative. Pas plus évidemment qu’il ne change les rapports de force. Mais Il n’y avait que deux options possibles aujourd’hui et non pas demain dont on ignore de quoi il sera fait : celui d’un boycott actif tournée vers l’action ou d’une participation aux conditions imposées par le régime. C’est pourquoi, il est assez problématique d’expliquer la position de boycott prise par les courants de la gauche radicale comme une manœuvre irresponsable pour ne pas étaler leur faiblesse ou en raison de leur prétendue gauchisme. C’est ne pas prendre au sérieux les élaborations et la cohérence politique de ce choix en lien avec une analyse de la situation et des tâches. Que cette analyse fasse l’objet de désaccord est une chose mais l’ignorer en faisant un procès d’intention ne permet pas d’ouvrir une discussion politique réelle. Ce type de pratique clive a plus forte raison quand il ne débouche sur aucune proposition constructive.

 Si les camarades voulaient être cohérent avec leur position, ils auraient dû appeler à voter « blanc », une façon à la fois de défendre le principe de participation et le rejet des forces en « compétition » en raisons de leur programme ou caractère de classe. Ils auraient proposé une démarche unitaire visant à surmonter les différences de consignes de votes en insistant sur la nécessité d’une politique indépendante articulée à des mesures d’urgences et insistant sur le fait que ceux qui tiennent les règles du jeu ne nous représentent pas. Or le positionnement des camarades non seulement les met à la marge de la gauche radicale mais aussi la base des secteurs « réformistes » qui utilisent le vote pour changer/reformer le système ou sanctionner le gouvernement.

A son tour la défense de la participation comme une règle générale sauf dans une situation explicitement révolutionnaire en fait un principe unilatéral, absolu, quelque soit les circonstances concrètes, aboutit à ériger une tactique en quasiment un élément programmatique et un point de délimitation. Ce n’est pas une critique polémique faite par des secteurs de la gauche radicale que de de noter une incapacité à produire des « analyses concrètes de la situation concrètes », se contentant de justifier sur la base de citations et de « leçons historiques « (qui ne sont pas l’objet d’interprétations ?) décontextualisées, telle ou telle orientation. Cette approche n’est pas seulement dogmatique, elle est abusivement simplificatrice et mécaniste. Nous ne doutons pas de la sincérité des convictions révolutionnaire des camarades, ni de leur implication militante, mais nous doutons de leur approche du réel. Nombre de groupes ont parcouru l’histoire du mouvement ouvrier théorisant leur propre repli et difficultés politiques en s’attachant à une orthodoxie formelle sans pour autant sortir de leur marginalité, voire en cultivant leurs « spécificités » ou « silhouette particulière » interdisant tout processus de recomposition /refondation en profondeur de la gauche radicale et où les débats sont déconnectées du « mouvement réel ».

Ces remarques ne signifient en aucun cas s’absoudre de faire une évaluation critique de la campagne de boycott et des conditions pour que ce dernier devienne actif et populaire. Ici, ce sont d’autres questions qui se posent. La façon de porter cette question dans le mouvement social et syndical, la nécessite de s’adresser également à ceux qui votent blanc ou qui votent pour des candidats identifiés comme de gauche, le type d’initiatives nécessaires pour que la campagne débouche sur des actions de masses, les formes possibles d’un travail de masse politique direct etc…Mais Le débat avec les camarades d’Al mounadila est d’une autre nature.

Chawqui Lotfi est militant de Tahadi (Emancipation Démocratique ).