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La gauche marocaine : des défis nombreux

D 31 janvier 2017     H 05:33     A Amin Saber     C 0 messages


Le M20F a dévoilé l’incapacité de la gauche à peser dans la construction d’un rapport de forces, dans un contexte marqué par un aiguisement des contradictions sociales sur tous les terrains, le grippage des mécanismes de la façade démocratique, une crise des médiations traditionnelles et l’amorce de nouvelles dynamiques sociales.

La stratégie de construction d’un rapport de forces à l’intérieur des institutions a mené la principale opposition historique « de la réforme à la gestion subordonnée ». Le vide crée a facilité la formation d’une coalition de différents courants, la Fédération de la gauche démocratique (FGD), qui défend la perspective d’une monarchie parlementaire par une stratégie pacifique combinant mobilisations sociales et participation institutionnelle. Dans les faits, cela est revenu à autolimiter l’action collective, à la subordonner aux stratégies électorales et à éviter toute perspective d’affrontement social et politique. Aux dernières élections, la FGD a obtenu deux députés.

La gauche radicale connait également des difficultés considérables. Le poids donné aux traditions idéologiques spécifiques l’emportent sur la définition de tâches politiques communes, les pratiques différentes dans le travail de masse, en particulier mais pas seulement syndical, conduisent à des lignes de différenciation importantes. La faiblesse du débat trans-courants entretient les clivages. Au-delà, il y a des différences sur des questions majeures.

Il en est ainsi de l’idée d’un « front populaire » incluant la gauche non gouvernementale (le FGD) et, à un deuxième niveau, un front civil plus large associant des courants de l’islam politique opposés au système, qui permettrait d’isoler l’adversaire principal, autour d’une tache immédiate : la chute du makhzen. Cette approche sous-estime les possibles et nécessaires radicalisations politiques d’en-bas et la nécessité d’une nouvelle représentation politique, liée organiquement à de nouveaux cycles de mobilisations/expériences de luttes de masses. Le « débouché politique » ne peut être une recomposition, dans le cadre d’un front, de forces issues d’un autre cycle historique, dont les limites et impasses ont été éprouvées.

La question des mouvements islamistes oppositionnels est complexe. S’il est juste de pas les considérer comme l’ennemi principal, de ne pas faire abstraction de leur base populaire, il faut comprendre les raisons de leur retrait du M20F et la nature de classe de leurs directions. La contradiction principale n’efface pas la contradiction fondamentale, dans un contexte où c’est la question sociale qui tend à être le coeur de la lutte démocratique. Les mobilisations d’en-bas, comme terrains potentiels de confrontation politique, donnant un contenu social et sa base réelle à la lutte démocratique, doivent être le fondement d’alliances réelles.

La question de l’unification des résistances est le problème clé de la situation. Elle ne peut être résolue par les formes actuelles du travail de masse, qui sont sans efficacité par rapport à la tâche posée, ni par rapport à l’enjeu de refonder un nouveau mouvement ouvrier et populaire. Il ne s’agit pas seulement de se « distinguer », dans une « guerre de positions » structurellement inégale face aux bureaucraties et forces liées au système , dans des cadres discrédités et en crise. Il s’agit de comprendre les raisons profondes pour lesquelles le mouvement syndical, les organisations traditionnelles ne permettent plus la reconstruction des capacités collectives d’action, mais aussi pourquoi les secteurs populaires, les salariés, ne les considèrent pas comme des référents « naturels » et n’y adhérent pas, ou seulement conjoncturellement. Il s‘agit bien de rebâtir des cadres d’action collectifs ancrés dans la défense organique des urgences sociales et démocratiques, rompant avec les formes bureaucratiques du travail de masse et les conceptions étroites du travail syndical.

Les mobilisations sont l’expression sur différents terrains de la contradiction entre la logique d’ensemble de la reproduction et prédation du capital local et international, et la satisfaction des besoins élémentaires des classes populaires et des travailleurs. Elles prennent la forme concrète d’une opposition aux politiques d’austérité et répressives. Malgré leur caractère spécifique ou sectoriel, elles s’affrontent à une logique globale qui nécessite de puissants mouvements populaires, un processus de convergence des luttes, autour d’exigences communes contre la répression et l’austérité.

Cette dynamique nécessite une compréhension que le moteur d’une lutte démocratique radicale est la question sociale et la rupture avec les stratégies de « dialogue social » et les formes d’action qui n’ont pas d’impact concret sur la puissance des dominants. La question de l’unité d’action populaire, sous des formes qui permettent l’auto-organisation et le développement d’un mouvement de masse autonome, s’érigeant comme force sociale et politique et disputant au pouvoir sa légitimité à diriger, est centrale dans la construction d’un rapport de forces. La construction de réponses globales et unifiantes contre l’austérité, les discriminations et la répression peut à cette étape en être le socle politique. Le climat social indique la possibilité d’une reconstruction politique de références et formes d’organisation, ainsi que d’un espace de la gauche démocratique révolutionnaire, à condition qu’elle sache articuler une politique indépendante dans les luttes, une pratique unitaire et une perspective anti-institutionnelle radicale.

Le réveil social actuel peut s’élargir et avoir une portée globale s’il est sous-tendu par une perspective politique posant les jalons d’un parti de classe pluraliste, indépendant, unifié sur la base de tâches politiques centrales et non sur le bilan du passé ou la prédominance de telle ou telle tradition politique. Cela implique aussi une redéfinition, ouverte aux ajustements et débats, des formes et contenus d’intervention dans les organisations de masse, un dépassement des formes verticalistes de combat politique et d’organisation, qui font l’objet d’une méfiance et d’un rejet au sein des nouvelles générations. Cela implique une rupture avec les approches visant à faire de tel ou tel courant le noyau exclusif, principal ou hégémonique du parti se construisant par ses propres forces, ainsi qu’avec celles qui ne dépassent pas un rapport activiste et propagandiste aux luttes.

Au-delà, une partie des difficultés tient à des faiblesses combinées :

a) l’absence d’un projet global qui nourrisse un horizon émancipateur dont le fil conducteur, y compris pour les luttes d’aujourd’hui, soit une démocratie radicale fondée sur le contrôle populaire, une répartition égalitaire des richesses, une gestion écologique des biens communs, l’égalité des droits pour tous et toutes ;

b) une difficulté à penser les stratégies de luttes en dehors des marges concédées par la façade démocratique ;

c) une difficulté à porter une perspective politique offensive et des mots d’ordres capables d’incarner, au-delà du rejet ou de la chute du makhzen, l’exigence d’une réappropriation démocratique du pouvoir et de la richesse ;

d) une difficulté à penser les conditions actuelles de la construction d’une alternative, les différents courants estimant qu’il y a déjà une « offre politique » qu’il suffit de renforcer, au détriment de l’ouverture d’un nouveau cycle politique dépassant l’éparpillement des forces révolutionnaires et rassemblant, dans une nouvelle force, les nouvelles générations dont la satisfaction des aspirations nécessite une révolution sociale et démocratique.

Amin Saber (Tahadi)