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Mauritanie : "Une absence totale de vision et de cohérence très inquiétante"

D 22 octobre 2010     H 04:14     A     C 0 messages


Mohamed Ould Mouloud est président de l’Union des Forces du Progrès. Il préside, en même temps, la Coalition de l’opposition démocratique (COD). Très occupé, mais toujours égal à lui-même, serein et courtois, il a accepté de répondre aux questions de Biladi. Nous avons évoqué avec lui certaines questions brûlantes de l’actualité : la position du gouvernement par rapport à la guerre avec Al Qaeda, les relations de la Mauritanie et la France, la situation de la COD, son bilan à la tête de ce syndicat des partis d’opposition, ses rapports avec Ahmed Ould Daddah…

Biladi : Le président de la République a déclaré sur les ondes d’Al Jazira que la Mauritanie n’est pas en guerre contre Al Qaeda. Qu’est-ce que vous inspire cette position ?

Mohamed Ould Maouloud : La Mauritanie est quand même en guerre ! Depuis presque trois mois, avec des troupes engagées sur un théâtre d’opération à l’extérieur de nos frontières, des combats, et malheureusement de nombreuses pertes en vie humaines. Il est maintenant très inquiétant de constater, d’après ces propos du Président, que la décision de « déclarer » et d’engager la guerre contre Al Qaeda, solennellement annoncée le 26 juillet dernier par la conférence de presse conjointe du Ministre porte-parole du gouvernement et du Ministre de l’Intérieur, n’avait pas été mûrement réfléchie, que notre pays a été engagé à la légère. Tout comme avait été provoquée à la légère une crise avec le Mali, coupable aux yeux du gouvernement mauritanien d’avoir négocié avec Al Qaeda et libéré un détenu salafiste, puisque le même gouvernement s’est permis récemment de libérer Omar le Sahraoui en contrepartie de la libération des otages espagnols dont il avait organisé le rapt. Tout comme avec légèreté il a impliqué des militaires français, le 25 juillet avant de le renier contre l’évidence et les déclarations officielles des autorités françaises. Aujourd’hui on a l’impression que c’est avec la même légèreté qu’il change de cible : Al Qaeda n’est plus visée mais plutôt « les groupes de criminels trafiquants de drogue etc. » Cela au moment précis où il libère par un non-lieu les 20 détenus de Lemzereb, pourtant convaincus de flagrant délit de trafic de drogue (escorte d’un convoi d’importantes quantités de drogue, incinérée publiquement à Nouakchott). Cette propension à dire et à faire une chose un jour et à dire et à faire le contraire le lendemain, traduit une absence totale de vision et de cohérence très inquiétante. Pas pour le peuple mauritanien mais certainement pour les partenaires du pouvoir dans la guerre contre Al Qaeda. Bien sûr, il est inacceptable, lorsqu’il est question de guerre et de pertes en vies humaines, que le pouvoir continue de se livrer à son jeu de mots favoris (« ça ce n’est pas un coup d’état », « ça c’est pas une guerre », « ça c’est pas Al Qaeda ») pour cacher la réalité ou se tirer d’affaires. D’ailleurs il ne trompe personne. Pour tout vous dire, le cafouillage à la fois tragique et lamentable auquel nous assistons, même s’il exprime un certain désarroi, révèle surtout une triste réalité : la Mauritanie n’est pas maîtresse de son destin, le pouvoir est manipulé, c’est pourquoi il n’a pas de stratégie de guerre murie ni de cible précise et n’éprouve nul besoin de s’expliquer à son opinion publique. Mais la COD est déterminée à exiger qu’il rende compte de tous ses errements.

Biladi : Certains organes de presse rapportent que vous vous êtes attaqués à la France, lors d’une sortie vendredi devant la jeunesse de votre parti. Est-ce que cela est vrai et quelle est votre position par rapport à l’attitude de la France dans la lutte contre AQMI au Sahel ?

M.O.M : En vérité, nous sommes réalistes et la France est avant tout un pays ami, un partenaire stratégique au plan économique, culturel etc. De surcroît, ce n’est pas un bloc monolithique, on le constate tous les jours. Il y a la France des droits de l’homme, de la liberté, de l’humanisme et du bon sens, la France des affairistes et des nostalgiques du colonialisme et peut-être même une troisième France entre les deux. Nous ne sommes pas d’accord avec certaines politiques et positions du gouvernement français actuel. J’ai l’impression que le gouvernement du Président Sarkozy a commis trois erreurs dont la Mauritanie et la France risquent de payer le prix fort : le soutien à la déstabilisation du régime démocratique issu des élections de 2007 et à la légitimation du pouvoir des généraux, l’encouragement du courant d’extrême droite islamophobe à travers la stigmatisation officielle des signes identitaires de la musulmane (hijab puis niqab) et enfin la déclaration de guerre à Al Qaeda au Sahel, comme si on était toujours à l’époque coloniale et que cette zone n’était pas désormais soumise à la souveraineté d’Etats indépendants, seuls responsables des questions de paix et de guerre sur leurs territoires. En imitant l’ex-président Georges Bush, le président français a commis les mêmes erreurs et préconise la même stratégie, qui au Pakistan et au Yemen a plongé ces deux pays dans la guerre civile. Le peuple mauritanien est prêt à combattre le terrorisme qu’il soit d’obédience religieuse, ethnique ou mafieuse. A défendre les hôtes et intérêts étrangers légalement établis chez nous. Mais pas sous le drapeau français. Pour nous, il n’y a de lutte contre le terrorisme qui vaille que si elle est conduite en fonction de nos intérêts propres et selon une stratégie fixée en toute indépendance. Sans présence militaire étrangère et de manière défensive, c’est-à-dire à l’intérieur de nos frontières. Autre chose est d’accepter de devenir un nouveau théâtre de confrontation entre l’Occident et la nébuleuse Al Qaeda. La lutte contre le terrorisme est vouée à l’échec si elle devient une cause étrangère. Cela ne veut pas dire évidemment de renoncer à la coopération régionale ou internationale en la matière. Au contraire. Simplement, nous ne voulons pas que la lutte contre le terrorisme qui a servi, hier, pour déstabiliser la démocratie, ne soit utilisée, aujourd’hui, pour nous ravir notre souveraineté et mettre en cause notre stabilité. Et nous sommes aussi conscients de l’extrême vulnérabilité d’une société en crise qui ne peut se frotter impunément à l’aventure guerrière sans risquer de mettre en péril son existence. Pourquoi le Président français n’a-t-il pas déclaré la guerre au terrorisme corse en France ? Sans doute parce qu’une telle approche, une telle dramatisation paraissait inappropriée. A plus forte raison sa déclaration de mener la guerre chez nous ! Dans l’arène sahélienne, la présence militaire française risque d’être plutôt le chiffon rouge qui attire et excite la taureau que le torrero qui en triomphe. Sans solution à la crise de légitimité du pouvoir en Mauritanie, sans réforme des forces armées et de sécurité sur des bases républicaines et professionnelles, comme envisagé dans l’Accord de Dakar, sans une stratégie de résorption des frustrations sociales, culturelles, politiques ressenties par la jeunesse, l’approche étroitement sécuritaire et militaire ne sera qu’un remède pire que le mal. En Europe, l’Islam fait peur. C’est pourquoi, la priorité est donnée à la lutte contre le terrorisme islamiste. Mais dans notre région où il y a à l’œuvre plusieurs types de menaces terroristes, et où le terrorisme mafieux est le seul aujourd’hui à même de prendre le pouvoir dans nos Etats relativement fragiles, l’ordre de priorité peut-il être le même ?

Biladi : Vous présidez actuellement la Coordination de l’opposition démocratique. Est-il vrai qu’elle traverse actuellement une crise entre ses membres et comment vous voyez l’avenir des rapports au sein de l’opposition ?

M.O.M : Nous n’avons rien à cacher à ce sujet. La COD est une coalition de partis et il est normal que de temps à autre des divergences apparaissent sur certaines questions. Vous avez observé que les réactions de nos parti ne sont pas les même au sujet de la guerre menée par le pouvoir contre Al-Qaeda. Une controverse à ce sujet existe actuellement au sein de la COD. Ce qui est à l’origine d’un certain immobilisme (le mode de prise de décision est le consensus). Mis à part cette question, certes fondamentale, nous partageons presque les mêmes opinions et positions sur tous les autres sujets qui intéressent l’opposition.

Biladi : On soutient dans l’opinion que le courant passe assez bien entre vous et Ahmed Ould Daddah. A-t-il coordonné avec vous sa position par rapport à la guerre contre Al Qaeda ?

M.O.M : Dieu merci, j’entretiens les meilleures relations personnelles et de confiance avec Ahmed, comme d’ailleurs avec les autres leaders de la COD. Mais cela ne veut pas dire que nos partis ne peuvent pas parfois être divergents sur certaines questions. En l’occurrence, nous n’avons pas le même point de vue sur la question de la guerre.

Biladi : Quel bilan faites-vous de votre mandat à la COD ? Quels obstacles avez-vous rencontré durant cette période ?

M.O.M : Notre parti a pris le témoin de la présidence tournante le 17 août dernier et son mandat expire le 17 octobre. Il faut dire que cela a coïncidé avec une période creuse (Ramadan, vacances et hivernage). La COD s’est prononcée sur le problème crucial de la guerre et d’autres questions d’intérêt national. Nous considérons comme un succès d’avoir réussi par nos pressions à amener le chef d l’Etat à respecter la loi sur la transparence financière puisqu’il vient de déclarer ses biens. Cette décision est trop tardive pour avoir l’intérêt pratique voulu par le législateur. Mais symboliquement, il est important que le Président de la République se résigne à accepter qu’il n’est pas au-dessus de la loi. Enfin, les divergences au sein de la COD ont pu être géré, grâce à la bonne volonté de chacun, de manière à préserver l’unité. L’opposition reste soumise à l’embargo imposé par le pouvoir : pas d’accès libre aux médias publics et blocage de la mise en œuvre de la loi sur la libéralisation de l’audio-visuel, discrimination politique dans la fonction publique, blocage du maigre financement accordé par la loi. Vous voyez bien que le vrai problème de la démocratie actuellement est bien le déni du droit à l’opposition.

Propos recueillis par Moussa Ould Hamed

Source : http://fr.ufpweb.org