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2004-2009 : le mandat de l’ « antiterrorisme » en Tunisie

D 10 septembre 2009     H 11:53     A Luiza Toscane     C 0 messages


Le 25 octobre prochain auront lieu les élections
présidentielles et législatives en Tunisie, à l’issue desquelles
le président et le parti au pouvoir seront reconduits à
l’écrasante majorité des « voix », réitérant les scores des
mandats précédents. En vertu d’un amendement de la
Constitution en 2002, le président est inamovible. La pérennité
présidentielle s’est doublée de l’entrée en vigueur d’une nouvelle
loi, promulguée le 10 décembre 2003, dite « de soutien à l’effort
international de lutte contre le terrorisme et contre le
blanchiment d’argent », qui a été appliquée dès 2004. Elle a été
adoptée alors qu’en dehors de l’attentat contre la synagogue de
Djerba le 11 avril 2002 – que les autorités refuseront dans un
premier temps de reconnaître comme acte de terrorisme –,
aucun événement particulier n’était à signaler. Les attentats du
11 septembre restent la justification pour le régime de la
promulgation de ce texte, qui allait fabriquer en cinq ans, exnihilo,
des terroristes par centaines, grâce à une définition
extensive du terrorisme.

La promulgation de ce texte contredit implicitement la
propagande du régime dont le refrain connu, destiné aux
investisseurs étrangers et aux touristes, conjuguait la publicité
sur la Tunisie, « terre de sérénité » et la dénonciation des
« démocraties » occidentales laxistes, refuges des terroristes.
L’application de la loi va conduire à l’arrestation et aux procès de
plus d’un millier de jeunes Tunisiens en Tunisie cette fois-ci
(chiffre avancé par les ONG de défense des droits de l’Homme
en 2008), et à leur incarcération. Elle va transformer de facto le
Tribunal de Première Instance de Tunis en juridiction d’exception
car il est le seul compétent pour déférer les prévenus, à
proximité des centres de décision, et d’ « instruction » dans les
salles de torture du ministère de l’Intérieur tandis que des
entorses sont prévues par rapport au code de procédure pénale
en vigueur. La prison de Tunis va devenir leur lieu de détention le
temps de la procédure.

En 2004, le couperet ne s’abat pas uniformément sur la
jeunesse. La promulgation de la loi coïncide avec l’intervention
impérialiste en Irak, cette dernière déclenchant des aspirations à
la solidarité, y compris militaire, avec la résistance irakienne, sur
fonds de retour à une pratique massive des rites musulmans au
sein de la jeunesse des deux sexes. Aussi, le pouvoir laisse une
partie de ces jeunes voyager et pratique une intense activité de
renseignement. Les années suivantes sont celles de la répression
massive, violente, obscène. Ces jeunes gens – car il s’agit
d’hommes –, sont arrêtés de façon illégale, torturés lors de
détention au secret, puis déférés devant le juge d’instruction qui
les fait écrouer à la prison de Tunis sur la base d’aveux extorqués
ou de procès verbaux signés sous la torture.
En prison, les mauvais traitements continuent. Lors de procès
inéquitables, de lourdes peines sont distribuées, parfois plusieurs
peines pour les mêmes faits. Les familles des accusés sont
terrorisées par tout un arsenal d’intimidations, de menaces et de
violences. Les jeunes, une fois libérés, sont soumis à un régime
d’apartheid, les empêchant de travailler, de circuler et les privant
de leurs droits. Ouvriers, lycéens, chômeurs, parfois étudiants ou
artisans, c’est toute une génération aux intentions méconnues qui
a été réduite au silence par la torture et ses séquelles. Et dire que
certains rêvaient d’en découdre avec la répression vécue par leurs
aînés : mieux vaut mourir en Irak que sous la torture en Tunisie.
Au final bien peu auront gagné l’Irak, et la majorité d’entre eux,
dont l’engagement n’a pas dépassé le stade de la fréquentation
assidue de la mosquée locale et d’un respect scrupuleux des
obligations religieuses, auront connu, comme leurs aînés,
arrestations, tortures et emprisonnement. Puis viendra la
répression déclenchée à la suite des affrontements armés de
Slimane, fin 2006.

A la différence des prisonniers des décennies précédentes,
aucun parti, aucune organisation ne les revendiquera et ne les
soutiendra en prison. Ils sont atomisés, seuls pour se défendre
face au système. L’absence de structuration préalable aura pour
effet la multiplication des luttes individuelles en prison au début
du quinquennat, dépassée depuis peu par des tentatives d’actions
collectives (prières ou grèves de la faim). Cette répression qui a
laissé des jeunes handicapés, meurtris, blessés et silencieux a eu
pour corollaire imprévu l’entrée en lutte de leurs parents indignés.
Ces derniers ont spontanément exprimé leur révolte et beaucoup
d’entre eux ont pris des risques, créé des structures de solidarité,
même informelles et plus ou moins ponctuelles. Des centaines de
femmes que rien ne prédisposait à l’action politique ont tenté de
s’organiser pour défendre leurs « enfants ».

De l’Italie à la Syrie en passant par les Etats-Unis, l’Irlande ou
la France, bien des pays ont prêté main forte au régime tunisien
en lui livrant pieds et poings liés des « terroristes » qui
croupissent à leur tour en prison puisque la loi punit les actes
terroristes commis à l’étranger ou depuis l’étranger. L’Italie s’est
distinguée récemment en passant outre les injonctions de la Cour
européenne des Droits de l’Homme lui recommandant de surseoir
à l’exécution de renvois, et ce, à plusieurs reprises. Le 25 octobre,
en refusant de jeter leur bulletin dans l’urne, quelque soit la
couleur de ce dernier, les électeurs diront non à la massification
de la torture, à l’anéantissement d’une génération, à
l’institutionnalisation de l’impunité, et partant, à la pérennité de la
dictature.

Luiza Toscane