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Le peuple tunisien ne décolère pas.

D 11 janvier 2011     H 04:21     A     C 0 messages


Après 23 jours de mobilisation, non seulement la colère ne tombe pas mais la mobilisation s’amplifie et se généralise à tous le pays. Localisé au départ dans les zones les plus déshéritées du pays, elle s’étend maintenant aux villes relativement plus riches de la côte, qui bénéficient davantage des retombées du tourisme et sont plus développées en termes d’infrastructures.

Le mot d’ordre commun à toutes les manifs : « un travail est un droit, bande de voleurs ». La rentrée scolaire a vu l’entrée en scène des lycéens. Les étudiants, eux, sont en examens cette semaine. La semaine prochaine devrait donc marquer une nouvelle étape dans l’extension du mouvement pour la jeunesse.

La solidarité internationale elle aussi s’organise rapidement et se développe. Et l’Algérie voisine connaît à son tour d’importants affrontements provoqués par de fortes montées des prix des produits de base, ainsi que par une crise du logement, aggravée par le tremblement de terre de 2003, et dont les dégâts n’ont toujours pas été compensés. Un rassemblement est prévu à Rabat le 10 janvier devant l’ambassade de Tunisie.

Revenons sur les événements marquants de ces quatre derniers jours.

Mercredi 05/01/2010

Les tentatives de suicide continuent : 4 pour la seule journée de mercredi dont une en banlieue de Tunis (le jeune lycéen a succombé à ses blessures le vendredi 07 janvier) ; un autre à Gasserine ; à Metaloui, un jeune s’est jeté sur les voies ferrés, et un homme de 52 s’est pendu à el Hamma.

A Sidi Bouzid, une mère de famille a menacé de se suicider avec ses trois enfants. Les autorités ont du couper l’électricité pour l’empêcher de passer à l’acte.

A Sidi Bouzid toujours ont eu lieu les funérailles de Mohammed Bouazizi : 5000 personnes, des "milliers" de personnes ont été empêchées d’y participer, selon aljazeera. Sur la même place, aujourd’hui samedi 8 janvier, un autre marchand ambulant s’est immolé. Il a été transporté à l’hôpital dans un état très grave.

Une manifestation est signalée à Metlaoui.

La répression elle aussi prend de l’ampleur et s’étend dans le sillage des manifestations. L’hôpital de Sousse, où étaient admis des étudiants blessés par les forces de l’ordre lors des manifestations, a été encerclé par celles-ci. Wael Naouar, étudiant de l’UGET, y a été arrêté et ses proches sont sans nouvelle jusqu’à ce jour.

A l’Université du 9 avril de Tunis, tenue d’un rassemblement de protestation. La police entre dans la fac, répandant la violence et les coups de matraque.

Dans la ville de Tala, tous les établissements scolaires sont fermés sur ordre du ministère de l’éducation nationale. Des cafés ont été saccagés par la police.

Jeudi 06/01/2010

A Tunis, un jeune serait décédé après s’être jeté d’un pont (dans le centre du vieux Tunis).

A Bizerte, premières manifestations lycéennes.

Grève des avocats suivie à 95% selon le bâtonnier du conseil de l’ordre, Abderrazak Kilani.

On peut dire que ce n’est pas une surprise dans une profession très en pointe depuis le début de ce mouvement. Par contre, d’autres secteurs se mettent en lutte dans le monde du travail :

• Les ouvriers agricoles de Sidi Bouzid se mettent en grève et se rassemblent au local de l’UGTT pour demander la régularisation de leur situation (titularisations). Le rassemblement s’est poursuivi pendant la nuit.

• A Omm laarayes (bassin minier de Gafsa), les voies ferrées permettant le transport du phosphate sont bloquées pour protester contre le chômage.

Le jeune rappeur tunisien Hamada Ben Amor, qui a sorti sur son compte Facebook deux chansons particulièrement critiques du pouvoir, ainsi qu’un blogueur, ont été arrêtés jeudi par la police, a-t-on appris auprès de leurs familles.
Salaheddine Kchok, militant à l’Union Générale des Etudiants Tunisiens (UGET) a été arrêté chez lui à Bizerte pour avoir participé aux activités de l’UGTT dans sa ville.
La police a de nouveau fait usage de gaz lacrymogènes à l’entrée de l’Université 9 avril à Tunis. A noter que certaines des grenades utilisées sont périmées (date limite dépassée visible sur des photos publiées sur Internet), d’autres portent la mention « à n’utiliser que pour des animaux ». On s’interroge sur les conséquences de ces faits.
A la fac des lettres de Sousse, des étudiants, enseignants et membres du personnel administratif ont été agressés par la police à l’intérieur même de la fac.
A Selyana ont eu lieu des affrontements violents entre les habitants et les forces de l’ordre dans la soirée de jeudi, suivis d’arrestations massives à partir de 21h, y compris au domicile des habitants.
A Tala, les affrontements se sont poursuivis entre les habitants et la police, qui a fini par se retirer vendredi de la ville pour laisser la place à l’armée. Ceci témoigne de la force de la mobilisation mais indique aussi que la répression menace d’être encore plus féroce.

Commentaire d’un internaute : " "نطالب باطلاق سراح العدالة التي نسمع عنها ولم نراها في سليانة وربما لعجزنا عن شرائها
"Nous demandons la libération de la Justice dont nous entendons parler et que nous n’avons jamais rencontrée à Selyana, probablement à cause de notre incapacité à l’acheter".

On observe également une fracture générationnelle, et une certaine déconnexion d’une partie de l’opposition. Face à la révolte des jeunes, étudiants, chômeurs et travailleurs, beaucoup d’anciens militants semblent blasés et n’envisagent que des solutions telles que "le dialogue national" proposé par l’alliance pour la citoyenneté et l’égalité. Pendant ce temps, les manifestants réclament le départ de Ben Ali et des mafieux qui l’entourent.

Le positionnement des islamistes n’est pas encore clair. Certains ont pris position contre la mobilisation au nom de l’interdiction faite aux musulmans de se suicider.

Vendredi 7/01/2010

La révolte gagne les villes côtières : très importante manifestation lycéenne à Ennfidha (près de Sousse), mais également à Kélibia dans le nord-est, à Sfax au Sud-est.

A Jbeniana, 5e jour d’affrontements entre les forces de l’ordre, les jeunes sont empêchés de manifester.
A Tunis, qui reste très en retard, on signale une manifestation des étudiants de la fac de sciences juridiques. Des militants de l’UGTT ont appelé à un rassemblement de contestation qui a finalement eu lieu samedi 8 janvier 2O11 de 14 h à 17h à la place Mohammed Ali El-Hèmmi. Le rassemblement de quelques centaines de personnes était très strictement encadré par des policiers en civil et en uniforme. L’UGTT a exprimé son soutien aux revendications de la population, mais la sono extrêmement forte diffusant de la musique et rendant inaudibles les slogans des manifestants, n’était vraisemblablement pas un simple couac technique. On était là au cœur de l’appareil de l’UGTT.

Manifestations également à Sidi Bourrouiss, Jrissa, Kalaa Khasba, Gasserine, Dougga, manif lycéenne à Tozeur.
Manifestation à Haffouz (près de Kairouan) dénonçant le chômage et la flambée des prix.

Une séquence significative à Selyana. Un certain retour au calme a été assimilé par les autorités à une faiblesse de la population. Elles ont alors renvoyé les travailleurs d’une usine de câbles pour les remplacer par des ouvriers d’une autre ville ; et ont également remplacé des employés de la direction départementale par 40 personnes de Sidi Bouzid. Ils avaient bien mal interprété la situation : ces provocations ont remis le feu aux poudres, déclenchant de nouvelles manifestations.

Les symboles du pouvoir sont régulièrement visés. Ainsi à Sidi Bourouiss, les manifestants ont saccagé le local du RCD, une téléboutique appartenant à un cadre du RCD, les statues du 7 novembre, les locaux municipaux d’un quartier. A Makthar, les manifestants ont mis le feu à la mairie et à la Banque Agricole, ce qui est plus qu’un symbole !

Côté répression, le pouvoir ne relâche pas son effort. La police a encerclé la cité universitaire de Sousse, avec une liste de militants de l’UGET à arrêter.
Des tirs à balles réelles ont eu lieu sur les manifestants à Feryana.
Gasserine, qui a été le théâtre de manifestations et de violences policières, est maintenant encerclée par l’armée.
Et sur Internet, un nombre croissants de comptes d’internautes a été piraté ou censuré, avec l’arrestation de nombreux internautes.

Samedi 8 janvier :

La mobilisation s’amplifie, la répression aussi.
Les étudiants de la fac de Manouba (près de Tunis) ont manifesté et bloqué les transports (métro et bus).
Sous la pression des manifestants, de plus en plus nombreux, le gouvernement et l’UTICA (Medef tunisien) ont été contraints d’annoncer la création de 50 000 emplois et le déploiement de fonds pour les régions pauvres. En parallèle, le régime continue sa répression. Les tirs à balles réelles se multiplient et on compte, pour la seule journée de samedi, au moins 7 morts à Tala (source syndicale) et 6 à Gasserine (annoncés à Al Jazeera, qui annonce aussi la coupure des communications téléphoniques avec Tala depuis l’étranger).

Par ailleurs, une grève nationale accordée depuis dix jours à des syndicats sectoriels vient d’être annulée, la centrale estimant – alors que la situation s’aggrave – que c’est « une ligne rouge à ne pas discuter » ?!

Le journal du Parti Démocrate Progressiste (PDP) est censuré. Les militants de ce parti ont organisé aujourd’hui un rassemblement à Tunis pour exiger la libération des militants Wissem Sghaïer et Wael Naouar.