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Travailler est un droit, le revendiquer est un crime

D 14 avril 2010     H 14:54     A Luiza Toscane     C 0 messages


Le droit à l’emploi
était la première
revendication des
insurgés du bassin
minier de Gafsa. Pour
l’avoir revendiqué, ils
sont des centaines à
avoir été emprisonnés.
Beaucoup ont été
torturés, certains sont
morts dans les
manifestations. A la
suite d’une
mobilisation locale et
internationale, les
personnes détenues
ont bénéficié d’une libération conditionnelle en novembre 2009.
Mais les ex prisonniers n’ont pas retrouvé leur travail, dont un
certain nombre dans la fonction publique. Et les poursuites n’ont
pas été abandonnées. Plusieurs condamnés par défaut ont fait
opposition à leur jugement et se sont présentés à la justice, au
terme de plus d’un an de clandestinité : Hassan Ben Abdallah,
coordinateur du comité des chômeurs diplômés de Redeyef, a été
incarcéré à la prison de Gafsa le 24 février dans l’attente de son
procès devant le Tribunal de Première Instance (TPI) qui a
examiné le 17 mars son opposition à la peine prononcée en
février 2009 par défaut le condamnant à dix ans
d’emprisonnement et l’a condamné à quatre ans et un mois
d’emprisonnement. Idem pour des jeunes de la ville de M’dhilla
qui ont fait opposition à leur condamnation par défaut et ont,
pour certains d’entre eux, été arrêtés et incarcérés dans l’attente
de leur procès. Quant à Fahem Boukaddous, correspondant de la
chaîne El Hiwar Et Tounsi, condamné en première instance le 13
janvier 2010 par le TPI de Gafsa à quatre ans d’emprisonnement
pour avoir couvert les événements du bassin minier, c’est libre
qu’il attend son procès en appel le 27 avril.
… et sa réplique de La Skhira
La revendication d’un emploi s’était étendue à d’autres
régions et malgré la répression, elle demeure explosive. Le 1er
février 2010, des centaines de jeunes diplômés au chômage se
sont rassemblés dans le complexe industriel de La Skhira, une
ville de dix mille habitants dans le Golfe de Gabès, avant de
déferler dans les rues pour protester contre la politique de
recrutement d’une société (TIFERT) qui n’avait pas attribué le
nombre de postes convenus au préalable aux jeunes de la région,
ceux-ci restant minoritaires. Cette unité de production d’acides
phosphoriques est une société tuniso-indienne (Tunisian Indian
Fertilizers) d’engrais créée dans le cadre d’un partenariat entre la
Compagnie des Phosphates de Gafsa (CPG) le Groupe Chimique
Tunisien (CGT) et deux société indiennes, la Gujarat State
Fertilizers and Chemicals et Coromandel Fertilizers Limited. Elle a
été construite par le groupe para pétrolier français Technip et a
bénéficié d’un prêt de la Banque Européenne d’Investissement.
Toute la production sera exportée en Inde. La population, qui
souffre de la pollution due à cette industrie s’est jointe aux
manifestants. La réponse fut sécuritaire : Bouclage des accès de
la ville, renforts venus de Sfax et Gabès, gaz lacrymogènes,
poursuites des manifestants, et des dizaines d’interpellations qui
se sont soldées par l’enrôlement de jeunes en âge de s’acquitter
du service militaire, tandis qu’une dizaine d’autres étaient déférés
devant la justice, dont quatre en état d’arrestation (Ruchdi
Hamidet, Mohammed Marzougui, Khaled Manaï et Abdelkader
Moubarek ) accusés d’outrage et agression de fonctionnaire en
exercice, d’entrave à la liberté du travail et de projection de
matières solides. Leur procès s’est ouvert le 22 février devant le
TPI de Sfax.
Luttes individuelles et collectives, sociales et
politiques
Les luttes collectives pour l’emploi se doublent de
protestations individuelles : rien qu’en ce début de mars, Samir et
Abdessalam Seddiki manifestaient à Nefta, Ghezala M’Hamdi et
Zakia Dhifaoui ont observé une journée de jeûne le 8 mars à
Gafsa et Abdessalam Trimech se faisait harakiri devant la
municipalité de Monastir. Ses funérailles qui ont réuni des milliers
de personnes le 12 mars, ont tourné à la manifestation contre les
autorités. Le même jour, des jeunes chômeurs de Mdhilla
bloquaient des autocars de la CPG. Quatre d’entre eux, Adel
Amaïdia, Amine Khaldia, Aymen Amaïed et Fethi Amaïed ont été
arrêtés et accusés d’ »entrave à la liberté du travail ». Le 1er
avril, ils ont été condamnés par le Tribunal de Première Instance
de Gafsa à six mois et demi d’emprisonnement.
L’emploi, loin d’être une simple « question sociale » est
devenu une question politique au sens plein du terme. Le
chômage n’est pas seulement structurel : interdit professionnel, il
est également une arme aux mains du régime pour faire taire ses
opposants, le régime allié à la bureaucratie syndicale : des
syndicalistes du bassin minier qui n’ont pas été réintégrés dans
leur emploi à leur sortie de prison sont depuis deux mois, selon
Adnane Hajji (syndicaliste de l’enseignement primaire de Redeyef
ayant bénéficié d’une libération conditionnelle depuis novembre
2009) également privés du pécule mensuel que leur versait
l’Union Générale Tunisienne du Travail au titre de la solidarité. En
février, lui-même ainsi que les syndicalistes Tarek Halaïmi, Taïeb
Ben Othmane, Hafnaoui Ben Othmane, Adel Jayyar et Abid
Khelaïfi ont publié une déclaration qu’ils concluent par des
propositions : « La libération des détenus qui croupissent
toujours en prison et l’arrêt des procès et des poursuites en
cours, la clôture du dossier judiciaire et l’annulation de la mesure
de libération conditionnelle par la promulgation d’une amnistie
qui nous permet de recouvrir nos droits légitimes, la réintégration
des anciens détenus renvoyés de leur travail et la proposition
d’un emploi pour les autres, la création de projets de
développements viables permettant d’alléger le poids de la
misère et du chômage, l’ouverture d’une enquête sérieuse sur les
dossiers de corruption et de malversations financières et la
poursuite des responsables du pourrissement de la situation »

Luiza Toscane