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Dakar : somme toute, une étape riche de promesses pour le FSM

D 8 mars 2011     H 04:56     A Jean Michel Coulomb     C 0 messages


I - Un contexte difficile …

Tenir une session du FSM à Dakar comportait trois risques principaux :

 une certaine faiblesse en infrastructure (électricité, internet notamment) d’un pays du Sud hors G20, de surcroît sous l’empire des inégalités charriées par le néolibéralisme (les coupures d’électricité peuvent affecter un campus mais évidemment jamais le palais présidentiel …)

 un contexte politique incertain avec une élection présidentielle en point de mire avec une opposition politique entre le sortant néolibéral Wade et le maire de Dakar,

 au-delà des discours de circonstance, un manque de bienveillance prévisible de Wade.

A cela s’ajoutait le choix d’un budget réduit : contrairement à Nairobi, par exemple, il avait été décidé de se passer des transnationales (et de n’accepter le financement privé que sans contrepartie).

De fait, le forum a du affronter la conjonction effective de ces trois risques et de ce choix : le nouveau recteur nommé peu avant l’évènement FSM a renié les engagements passés avec le Comité d’Organisation (CO) du forum, Wade se gardant bien évidemment d’intervenir … La grande majorité des salles promises occupées, le CO a du procéder à une reconfiguration permanente, ce sur un déficit certain en infrastructure. Il s’en est ensuivi une proportion conséquente d’activités annulées, et pour celles maintenues une assistance moindre que celle qui aurait été obtenue dans des conditions normales, diminuant d’autant le « rendement » de l’évènement (rendement qui consiste en grande partie à la création de nouvelles connexions, dont certaines peuvent être aléatoires, entre réseaux, organisations, personnes).

Le deuxième choix principiel du CO, tout aussi justifié que le premier, de tenir – pour la première fois – un forum ouvert (c’est-à-dire sans contrôle à l’entrée) a toutefois permis de « limiter la casse » en permettant à de nombreux sénégalais (à commencer par les étudiants) d’assister et de participer aux activités et … à certains d’entre eux de s’investir dans l’altermondialisme (création d’Attac Sénégal avec 800 déclarations d’intention d’adhésions, Attac n’étant d’ailleurs sûrement pas un cas isolé).

II- … Mais une réussite globale

En dépit du rendement amoindri, le bilan est cependant globalement positif avec :

 une participation plus forte et plus représentative que prévue : compte tenu des conditions géopolitiques et de niveau de vie, 40.000 personnes au mieux étaient attendues : il y a en eu 75.000 … Cela s’est manifesté par une manifestation d’ouverture de 70.000 personnes[1] (selon la police), extrêmement vivante et dynamique avec une présence massive des femmes et des jeunes de la région, en général à travers les mouvements de base,

 l’affirmation des caravanes en tant que vecteur de popularisation du FSM : la douzaine de caravanes qui ont sillonné préalablement l’Afrique de l’Ouest sont une des causes de ce succès populaire,

 l’entrée donc « en altermondialisme » de nouvelles couches et mouvements de la région, notamment les mouvements de femmes, ce qui a fait dire à certains que « elles s’étaient accaparé le forum », participant d’autant dans l’avancée de la fédération de la société civile progressiste africaine (de ce point de vue, il convient aussi de noter la présence des syndicats et, dans une moindre mesure, des mouvements de paysans),

 l’entrée (ou une meilleure présence et affirmation de leur acuité) de nouvelles thématiques dans les champs de réflexion et d’action du mouvement altermondialiste, notamment celles de l’accaparement des terres, de l’extractivisme, des migrations,

 la constitution de nouveaux réseaux ou le changement d’échelle d’autres réseaux ; ainsi par exemple celui du Forum Mondial Alternatif de l’Eau (FAME 2012) avec plus de 200 organisations entrantes !,

 la production des forums et activités adjacents (qui ont d’ailleurs su porter leurs problématiques au sein même de l’évènement FSM) : le forum mondial Sciences & Démocratie qui a poursuivi son extension (géographique et de contenu), le forum mondial des habitants, l’adoption et la proclamation de la Charte des Migrants, le forum syndical, etc.,

 l’affirmation du format de Belém : alors que le niveau de débat des activités auto-organisées s’est globalement élevé, 38 assemblées de convergence pour l’action se sont tenues, au contenu pour la plupart très consistant[2] et proposant des initiatives qui seront mises en visibilité par la logistique du FSM (elles seront notamment inscrites dans l’agenda du FSM)[3],

 l’extension des activités se déroulant à Dakar à d’autres points dans le monde (« Dakar étendu ») : par rapport à son précurseur « Belém étendu », et malgré des conditions matérielles plus que difficiles, Dakar étendu a pratiquement triplé sa voilure : 25 pays, près d’une centaine de rencontres à distance (via en général des visioconférences skype), plus d’une trentaine de participations à distance (une nouveauté de Dakar) à des activités centrées à Dakar. En France, environ 70 localités ont porté 150 activités, en local ou à distance (un bon tiers d’activités à distance dont un quart de participation à distance). Dakar étendu a notamment permis d’intégrer des mouvements des diasporas africaines au processus du FSM et d’y intéresser en nombre assez remarquable des groupes de lycéens.

III- Des réflexions à mener - Perspectives

Si les attendus fonctionnels du forum ont ainsi été atteints – faire entrer dans le mouvement altermondialiste de nouvelles forces (avant tout dans la région de l’évènement), avancer dans la fédération plurielle de la société civile progressiste, faire prendre en compte de nouveaux items, faire émerger de l’action - il convient toutefois de réfléchir à limiter[4] à l’avenir les couacs de Dakar, notamment :

 si l’implosion logistique (40 salles au lieu des 130 promises) a été à peu près surmontée par les réseaux déjà constitués, elle a fait pas mal de dégâts pour les réseaux moins organisés et les petites organisations, et elle a diminué le taux de connexions aléatoires, constituant ainsi de vrais dommages par rapport au possible,

 le CO a commis quelques écarts par rapport à l’esprit du forum : 1) alors que toutes les activités avaient été auto-organisées lors des précédentes éditions, cette fois-ci des conférences leur ont fait concurrence (aspect d’autant plus malheureux dans la pénurie logistique) ; 2) la présence parlée de chefs d’état a eu lieu dans l’espace même du forum (à Belém les chefs d’état avaient tenu meeting hors de l’enceinte du forum),

 l’import inadmissible de la violence, verbale et même physique, agencée pour l’essentiel par des suppôts de l’état marocain[5].

Avancer dans la maîtrise de ces aspects (mieux intégrer aussi les éléments d’extension tels que les caravanes, et le forum étendu qui ont parfois eu l’impression d’être traités comme parents pauvres par le CO) est vraiment à travailler pour les prochaines éditions de l’évènement. Pour le premier de ces aspects, une piste, duale mais non contradictoire, est peut-être de plus centraliser la mise sur pied de la logistique[6] et de plus décentrer la mise en œuvre de son utilisation celle-ci une fois constituée (ce qui s’est passé à Dakar, mais à l’arrache donc par ceux seulement qui avaient les forces pour improviser efficacement), le CO se focalisant plus sur l’accompagnement des « petits », outre la communication et la mobilisation locale et régionale.

Quoiqu’il en soit, la tenue de cet évènement de Dakar – qui sans ces problèmes logistiques « aurait été le forum le plus réussi de l’histoire » en reprenant les termes d’une intervenante lors du Conseil International qui a suivi – a mis en exergue les pistes pour aller de l’avant :

 l’année globale d’action qui a précédé avec environ une cinquantaine de forums régionaux, nationaux ou thématiques a en quelque sorte préparé l’évènement de Dakar[7] : ce schéma, qui accentue d’ailleurs la nature permanente du processus qui alors ne se limite pas à un évènement centré tous les deux ans, semble à reconduire pour le prochain évènement centré,

 les extensions du forum en vue ou lors de la tenue de l’évènement : les caravanes qui participent dans la région de l’indispensable participation populaire à l’évènement et les extensions partout dans le monde (forum étendu) qui cherchent à lui associer, en écoute mais aussi en participation active, le cœur des populations (à tout le moins, à l’étape actuelle de développement du mouvement altermondialiste, la société civile progressiste locale).

Pousser à constituer et développer partout dans le monde les forums sociaux locaux combine ces deux fonctions de préparation et d’extension. La proposition de l’assemblée de convergence pour l‘action « articuler localement processus du Forum Social et développement des alternatives » d’une semaine internationale de forums sociaux locaux vers le printemps/été 2012 va dans ce sens[8].

L’intégration sous la bannière du FSM de toutes les manifestations altermondialistes, à quelque échelle qu’elles se situent dès lors qu’elles sont compatibles de la Charte de Porto Alegre (indépendance par rapport au Politique, pas de déclaration au nom de l’évènement) doit compléter ce dispositif qui, doit permettre au processus du FSM, cœur du mouvement altermondialiste, de passer le seuil critique qu’impose la crise de civilisation auquel le monde et la planète sont confrontés.

Jean Michel Coulomb, Paris le 25 février 2111.


[1] Dans une ville où théoriquement les rassemblements ne doivent pas dépasser plus de 1.000 personnes …

[2] On peut cependant émettre de fortes réserves sur le texte de l’Assemblée des Mouvements Sociaux ; hormis se faire plaisir entre soi, difficile de voir à quoi peut bien servir pour l’action auprès des populations à conquérir ce qui s’apparente à un manifeste aussi incantatoire et « désincarné ». De ce point de vue, le texte lui aussi à portée généraliste de l’assemblée des femmes, partant du concret d’une « « minorité » » (double parenthèse) est bien plus intéressant (il est tout à fait regrettable que la pression d’un groupe de (et non des) femmes marocaines ait finalement réussi, au motif qu’il mentionnait les femmes sahraouies, à le faire retirer de la production officielle des assemblées de convergence pour l’action).

[3] Faisant ainsi un sort à l’affirmation absurde comme quoi le Forum Social ne servirait à rien (rappelons qu’outre les actions et textes émergeant des assemblées, un évènement forum est en soi une manifestation visible donc influante, incube de nouvelles organisations et réseaux qui créeront de l’action, etc.).

[4] En sachant que si le forum se situe dans « la vie » - ce qui est souhaitable ! -, il est illusoire qu’aucun couac ne se produise lors d’un tel évènement.

[5] Contrairement à une confusion qui a couru, cette présence inopportune n’a rien à voir avec le financement de l’évènement (le financement par un Etat du déplacement de perturbateurs antidémocratiques est évidemment indépendant de son financement putatif de l’évènement).

[6] Défaillante à Dakar mais Belém avait aussi posé des problèmes.

[7] Et palier en amont le retard à l’agglutination des propositions d’activités.

[8] Cette assemblée constate que le forum social est l’outil pertinent pour articuler entre elles et, ce faisant, favoriser le développement et faire passer un seuil critique aux alternatives de terrain ; elle constate aussi que l’intérêt de la forme « forum social » permet justement d’y intégrer les autres problématiques posées à l’altermondialisme.