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Afrique : Permettre à toutes les filles d’accéder à l’éducation Il faut mettre fin à l’exclusion des élèves mariées ou enceintes

D 25 juin 2017     H 05:59     A Human Rights Watch     C 0 messages


Dans de nombreux pays du continent africain, des millions d’adolescentes enceintes et mariées se voient refuser l’accès à l’éducation à cause de politiques et de pratiques discriminatoires, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui, à l’occasion de la Journée de l’enfant africain. Plus de 49 millions de filles sont privées de l’enseignement primaire et secondaire en Afrique subsaharienne, dont 31 millions pour le secondaire, ce qui porte atteinte à leurs droits et restreint leurs opportunités.

Le mariage précoce et la grossesse des adolescentes font partie des causes principales de ce problème. En Afrique subsaharienne, 40 % des filles se marient avant leurs 18 ans. Parmi les 20 pays du monde ayant le plus fort taux de mariage des enfants, 15 se trouvent sur le continent africain. La région est aussi celle où on compte le plus de grossesses à l’adolescence. Dans 14 pays subsahariens, on dénombre entre 30 et 51 % des filles qui enfantent avant d’atteindre 18 ans. Des croyances culturelles ou religieuses stigmatisent souvent les filles célibataires enceintes, ce qui fait que beaucoup de filles enceintes sont forcées de se marier précocement.

« Le continent africain affiche l’un des taux de grossesse adolescente les plus élevés du monde, pourtant de nombreux gouvernements persistent à traiter ce problème de société et de santé publique en punissant les filles et en compromettant leur avenir », a déclaré Elin Martínez, chercheuse auprès de la division Droits des enfants de Human Rights Watch. « Les gouvernements devraient au contraire tout faire pour aider les filles à éviter les grossesses non désirées et encourager leurs efforts pour continuer à étudier. »

Bien que la plupart des pays d’Afrique subsaharienne se soient engagés à garantir que tous les enfants soient scolarisés jusqu’au collège, beaucoup excluent ou expulsent des établissements les filles enceintes ou les jeunes mères.

La Tanzanie et la Sierra Leone font partie des pays africains subsahariens qui ont en place des politiques et des pratiques nocives qui discriminent les filles enceintes et mariées, comme le montrent les recherches de Human Rights Watch. En Tanzanie, Human Rights Watch s’est rendu compte que les responsables des écoles effectuaient des tests de grossesse afin d’expulser les élèves enceintes. Ainsi une jeune fille du Nord de la Tanzanie, Rita (19 ans), a expliqué qu’elle avait été expulsée à 17 ans, lorsqu’elle était tombée enceinte. « Les professeurs se sont rendu compte de ma grossesse », a-t-elle déclaré. « J’ai appris qu’aucune élève n’avait le droit de rester dans l’établissement après une grossesse... Je n’avais eu aucune d’information sur la grossesse [aucune éducation sexuelle] ni sur ce qui arriverait. »

Certains pays, dont le Cameroun, l’Afrique du Sud et la Zambie, ont adopté des politiques de « réadmission » pour que les mères adolescentes puissent retourner étudier après avoir enfanté. Pourtant, même si les gouvernements ont décidé de ces mesures, souvent la direction des établissements ne les met pas en œuvre correctement, ou pas du tout. En général, les jeunes mères sont très peu soutenues si elles veulent se réinscrire, à cause des frais de scolarité et annexes, du faible soutien de leur famille, de la stigmatisation en classe et du manque de garderies et d’autres services pour la petite enfance abordables.

De nombreuses filles adolescentes tombent enceintes car elles n’ont pas reçu les informations qu’il leur fallait pour prendre des décisions avisées relevant de leur sexualité, du planning familial ou de leur santé reproductrice. D’autres ont été forcées d’avoir des relations sexuelles et ont besoin de protection, de services médicaux et d’assistance. D’après les Nations Unies, 80 % de toutes les femmes du monde âgées de 15 à 24 ans qui sont porteuses du VIH vivent en Afrique subsaharienne. Sur l’ensemble du continent, les filles de 15 à 19 ans ont cinq fois plus de chances que les garçons d’être infectées par le VIH.

Souvent l’éducation sexuelle et reproductive ne figure pas dans les programmes scolaires nationaux. Pour les quelques pays où elle y figure, dans des programmes ou des thèmes de sensibilisation au VIH ou de « compétences de vie », les enseignants sont souvent réticents à aborder ces sujets, soit à cause du contenu sexuel et reproductif, soit à cause de contraintes de temps et de ressources d’enseignement.

Tous les gouvernements d’Afrique se sont engagés à atteindre les Objectifs de développement durable de l’ONU en termes d’ égalité des genres et d’ accès gratuit à l’enseignement primaire et secondaire pour tous les enfants d’ici 2030. L’Union africaine a d’ailleurs reconnu à quel point il était important de mettre fin au mariage des enfants, en constatant que c’était un obstacle majeur de développement et de prospérité dans la région, ainsi que d’éliminer toutes les formes de violence et de discrimination fondée sur le genre.

Les gouvernements d’Afrique devraient garantir aux filles le même accès que les garçons à un enseignement primaire et secondaire gratuit et de qualité, mais aussi un soutien pour continuer à étudier, a déclaré Human Rights Watch. Les gouvernements doivent faire marche arrière en ce qui concerne les politiques et pratiques dangereuses qui stigmatisent les filles, notamment les tests de grossesse forcés et les règlements qui autorisent à expulser les filles enceintes ou mariées. Les gouvernements devraient aussi adopter des lois qui fixent sans ambiguïté l’âge minimum du mariage à 18 ans aussi bien pour les garçons que pour les filles.

Il faut également qu’ils adoptent des directives claires ordonnant aux établissements de réadmettre les jeunes mères, qu’ils leur proposent une assistance et qu’ils veillent à ce qu’elles aient accès à des services pour la petite enfance. Enfin les gouvernements doivent veiller à ce que tous les enfants bénéficient d’une éducation sexuelle et reproductive complète et adaptée à leur âge. Dans la mesure du possible, ces enseignements scolaires devraient coopérer avec des centres d’éducation à la santé orientés vers la jeunesse afin que les adolescents reçoivent des informations impartiales et sans jugement de valeur.

« Ce sont avant tout les gouvernements qui ont la responsabilité de veiller à ce que les filles aient librement accès à l’enseignement primaire et secondaire, sans être stigmatisées ou discriminées », a conclu Elin Martínez. « Tous les gouvernements doivent bannir les politiques excluant les filles enceintes ou mariées et mettre en place des mesures qui garantissent que toutes les adolescentes puissent étudier. »

Témoignages de filles africaines

Malawi
Au Malawi, environ la moitié des filles se marient avant 18 ans. Entre 2010 et 2013, 27 612 élèves du primaire et 4 053 du secondaire sont sorties du système scolaire à cause de leur mariage. Sur la même période, 14 051 autres filles du primaire et 5 597 du secondaire ont arrêté les cours pour cause de grossesse.

Les filles ont expliqué à Human Rights Watch que le mariage avait interrompu ou mis fin à leur éducation, et avec elle, à leurs rêves de devenir médecins, enseignantes ou avocates. Beaucoup ont dit qu’elles ne pouvaient pas retourner à l’école, une fois mariées, parce qu’elles n’avaient pas d’argent pour payer les frais de scolarité ou de garde des enfants, qu’il n’existait pas de programmes de formation flexibles, tels que des cours du soir, et parce qu’elles devaient effectuer des tâches ménagères. D’autres ont déclaré que leur mari ou leur belle-famille ne leur permettrait pas de rester à l’école.

Kabwila N., 17 ans, a relaté avoir quitté l’école à 15 ans, alors qu’elle était en dernière année de l’enseignement primaire (« Standard 8 »), à cause de la pauvreté. Elle a expliqué qu’elle ne pouvait pas retourner au collège parce qu’elle avait honte de sa grossesse : « Je n’oserais pas retourner étudier car j’ai commencé à coucher avec mon petit ami lorsque j’étais scolarisée. Je ne suis pas digne d’y retourner. »

Soudan du Sud
Au Soudan du Sud, 52 % des filles se marient avant leur 18è anniversaire. D’après l’UNESCO, plus de 1,3 million d’enfants en âge d’aller à l’école primaire ne sont pas scolarisés. Le pays a le taux d’inscription en secondaire le plus faible du monde : 4 %.

La jeune Mary K., du comté de Yambio, nous a déclaré : « Mon père a refusé de me laisser aller à l’école. Selon lui, éduquer une fille, c’est gaspiller de l’argent. Il a dit que ce serait le mariage qui m’apporterait le respect de la communauté. Maintenant que j’ai grandi, je sais que ce n’est pas vrai. Je ne peux pas trouver de travail pour aider mes enfants, alors que je vois des filles instruites qui en trouvent. »

Anyier D., 18 ans, a expliqué que ses oncles l’avaient forcée à quitter l’école en 2008, à 14 ans, pour se marier à homme âgé qu’elle ne connaissait pas : « Je voudrais retourner étudier, même si j’ai des enfants. Les gens pensent que je suis heureuse, mais je ne le suis pas, car je ne suis pas instruite. Je n’ai rien à moi et tout ce que je peux faire, c’est nettoyer des bureaux. Si j’étais allée au collège, je pourrais trouver un bon travail. »

Tanzanie
En Tanzanie, moins d’un tiers des filles sorties de l’école primaire finissent le collège. Plus de 15 000 filles sortent du système scolaire chaque année pour cause de grossesse. Human Rights Watch a constaté que dans certains cas, les adolescentes cessaient d’aller au collège à cause d’abus et de violence sexuelle de la part des enseignants.

Ainsi Joyce, 17 ans, de Shinyanga, a déclaré : « Il y a des professeurs qui entament des liaisons sexuelles avec des élèves – je connais beaucoup [de filles] à qui c’est arrivé... Si une élève refuse, elle est sanctionnée... Je me sens mal... Même si on dénonce les faits, on n’est pas prise au sérieux. À cause ça, nous ne nous sentons pas en sécurité. En 2015, trois filles ont arrêté à cause de problèmes liés au sexe avec des professeurs. »