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A propos de la Grèce : un regard « africain »

Christian Darceaux

D 3 octobre 2015     H 10:47     A Christian Darceaux     C 0 messages


La faiblesse des mobilisations solidaires contre les « mécanismes néocoloniaux » dans l’« occupation financière de la Grèce » est un des traits marquants de ce qui vient de se passer. Et une préoccupation principale pour ceux qui se réclament de la gauche radicale.

Ce qui suit tente d’exprimer un regard « africain » à ce sujet. Cela fait déjà de longues années qu’après l’esclavagisme et la colonisation, les pays du Sud et, pour ce qui concerne plus directement la France, les pays d’Afrique sont pressurés par le capitalisme prédateur.

La dette, les PAS (plans d’ajustement structurels, ce que, sous le nom de memoranda, subit la Grèce aujourd’hui) ont joué un rôle clé dans ce dispositif d’asservissement.

Force est de constater que la dénonciation des dangers que recelait cette politique, pour les travailleurs de notre pays, même s’ils en retiraient quelques avantages en profitant de quelques miettes de ce gâteau, et peut être à cause de cela, a été plus que discrète, au sein même de la gauche radicale et les mobilisations bien timides, et cela depuis des décennies. Cette discrétion favorisait l’inoculation du poison distillé : « s’ils sont dans cette situation, c’est qu’ils l’ont bien cherché ». Et d’évoquer la corruption, l’incapacité des dirigeants, la paresse des peuples. C’est exactement l’argumentation employée jusqu’à plus soif par les chiens de garde de la bourgeoisie à propos de la Grèce. Tandis que dans l’inconscient collectif, l’enracinement de ces préjugés rend difficile l’émergence d’un internationalisme conséquent. On a ainsi pu constater la faiblesse des mobilisations et le refuge dans l’ « humanitaire », y compris pour la Grèce aujourd’hui.

Dans un texte au demeurant bien intéressant de Catherine paru sur notre site, à propos de la Grèce et de l’Europe, au même titre que l’interview de E.Balibar auquel il sera fait référence par la suite, une question est posée dans l’introduction : « Où sont les périphéries dans le capitalisme mondialisé et son vieux cœur européen en crise ? » Là se trouve peut-être une des ambigüités ?

Le capitalisme mondialisé a une forme d’existence complexe et sa crise n’est pas seulement européenne.

Il y a des impérialismes dominants : ceux de la Triade (USA, Europe, Japon) évoquée dans une contribution précédente, sous domination états-unienne ; des états vassaux ; des états à vassaliser davantage ! L’UE est, dans ce dispositif, un instrument, oh combien efficace, pour réduire, gérer les contradictions ! Balibar le souligne : « Certes, toute la construction européenne est conçue pour faciliter la transnationalisation des intérêts dominants et pour empêcher celle des résistances populaires. »

Créée dans la période des Trente Glorieuses, l’UE apparaissait comme un plus pour la croissance économique dont les travailleurs percevaient quand même une part. C’est sans doute pour cette raison que l’opposition à cette machine de guerre n’a pas été très nette, ni très importante. Son attractivité était forte et les dangers peu visibles. Comme le néo colonialisme, cela faisait parti du relatif « consensus » qui caractérisait la lutte de classes.

Dans la contribution de Catherine, on peut lire encore : « Les réponses à ce sujet s’inscrivent dans les résistances à la guerre sociale planétaire qui caractérise le capitalisme mondialisé depuis le tournant des années 1980. »

Cette guerre sociale planétaire est bien réelle. Mais elle ne fait pas les mêmes dégâts et les blessures ne sont pas de la même gravité selon l’endroit de la planète où l’on se trouve. L’extraction d’une plus value à peu près satisfaisante pour satisfaire la rapacité des actionnaires, exige la surexploitation de certains quand d’autres sont « seulement » exploités. Cela ramène à l’interrogation sur l’insuffisance de solidarité, y compris au sein de la gauche radicale, avec les peuples des pays néo colonisés du pré carré français, premières et principales victimes de cette guerre sociale. Pour la cinquième année consécutive, l’Aide Publique au Développement a encore baissé, de façon deux fois plus importante que celle de l’année précédente, dans une indifférence quasi générale. C’est une baisse de 21% depuis 2011, soit 700 millions d’euros.

Dans la même contribution on peut lire : « un axe stratégique unifiant – la nécessaire émergence d’un “bloc hégémonique” politico-social « pour une autre Europe » ; (il) doit se construire dans/hors/contre/l’UE et ses politiques, en défense des droits nationaux et sociaux à échelle européenne, avec ou sans euro, contre toutes les xénophobies et contre ses guerres « civilisatrices », internes et externes ». Cette réflexion sur la construction d’un bloc hégémonique est essentielle. Il semble dommage que soit évoquée une « défense des droits nationaux et sociaux » limitée à l’Europe.

L’axe stratégique unifiant, doit inclure l’idée d’un nécessaire partage des richesses à l’échelle mondiale et celle de la fin du pillage des pays dominés. C’est en englobant l’ensemble de ces dimensions que l’axe stratégique pourra peut-être devenir « bloc hégémonique » politico social. Il doit inclure l’objection de croissance, une véritable politique écologique, pour stopper l’incroyable gaspillage des pays du Nord. L’antimilitarisme doit figurer aussi clairement dans ses objectifs.

Nous ne devons jamais cesser de rappeler que si l’ensemble de la population mondiale consommait autant que nous, ce sont sept ou huit terres qui seraient nécessaires. Questions politiques essentielles, ce sont aussi des questions de morale, d’éthique. Si les « monstres providentiels » pour les dominants que sont les terroristes de tout poil trouvent à recruter si facilement malgré leurs crimes abominables, c’est que la dimension morale de l’Occident n’apparait peut-être pas aussi clairement que nous semblons le penser, quand nous nous gargarisons d « Universalisme ».

Toujours dans l’idée de construction d’un « bloc hégémonique » on peut lire « Qu’il s’agisse des luttes antiracistes et contre toutes les oppressions, ou de la défense des droits nationaux, leur cohérence serait bien plus large et efficace (contre toutes les instrumentalisations hypocrites à géométrie variable) à l’échelle européenne, dans/contre l’UE, que de façon isolée. » Il est permis de penser que les actions pour un alter mondialisme rigoureux, sans concessions lui ajouterait encore de la cohérence. Il suffit de dire Poutine ou Russie pour que des réflexes quasi pavloviens d’hostilité, d’appels à manifester, de qualifications de dictature et autres amabilités apparaissent dans une partie de la gauche radicale. On souhaiterait la même passion quant aux aventures militaires de la France ou son colonialisme bien réel. Il est bon de se rappeler que la France est le pays le plus condamné, après Israël, par l’assemblée générale des Nations Unies !

L’interview de Balibar apporte des éclairages très intéressants. Le débat semble mériter d’être approfondi sur certains d’entre eux.

On peut de demander pourquoi cette affirmation ? … L’autre, celle de l’alternative à ce néolibéralisme, est dans une large mesure virtuelle. En outre elle est difficile à définir : on ne peut la dire socialiste,…. Si comme certain(e)s d’entre nous le pensent, le communisme, le socialisme, désignent certes l’objectif, mais surtout, peut-être, les moyens pour y parvenir, cette précaution de langage n’apparaît pas très productive.

Plus loin et probablement plus essentiel, un long passage qu’il faut citer in extenso, car il mérite le débat aussi chez nous : « Sans considérer que la bataille est perdue, il faut admettre qu’existent des racines profondes à la coupure qui s’est créée au sein des classes populaires françaises. La classe ouvrière, non pas « française » au sens des origines ethniques, mais telle qu’issue de l’industrialisation et des conquêtes sociales du 20ème siècle, est confrontée à une dégradation continue de ses conditions de vie, des perspectives d’avenir pour les jeunes générations, et qui de surcroît se sent mise en cause dans sa dignité. Les ouvriers des régions désindustrialisées ont le sentiment qu’on les juge comme devenus inutiles : un sentiment qui ne peut que produire une grande amertume. Cela ne conduit pas automatiquement à voir dans les immigrés des ennemis, car pèsent toujours les très fortes solidarités de classe liées à un mode d’organisation du mouvement ouvrier, mais celui-ci aujourd’hui perd pied, alors que le capitalisme néolibéral travaille à démanteler systématiquement ces solidarités. Du coup le peuple français, au sens des classes populaires, est divisé et travaillé par des conflits internes qui tendent à se porter sur le terrain de l’identité, de la culture, voire de la religion dans un sens très approximatif. C’est une pente qu’il sera difficile de remonter. Il y a, semble-t-il, un point aveugle dans cette description, c’est le fait qu’il y avait une classe ouvrière « blanche », quelques soient ses origines étrangères et une classe ouvrière des pays ex coloniaux pour la plupart. Si l’on ne peut nier l’existence de solidarités, leur force était toute relative. Elles étaient souvent épisodiques, fragiles, superficielles, parfois carrément bafouées. Les discriminations de toute sorte ne mobilisaient pas les foules, les foyers d’ouvriers immigrés étaient loin des préoccupations, quand ils ne gênaient pas (Ivry, Montreuil…). Ces ruptures de solidarité recoupaient l’existence de plus en plus prégnante de deux classes ouvrières : celle des OP dont l’immense majorité était issue des pays européens, celle des OS pour la plupart venant des pays « ex » colonisés.

Il nous faut aller « jusqu’au bout » de ces analyses. Il est bien de réfléchir aux responsabilités grecques, à ce qu’il aurait peut-être fallu faire. Mais nous ne pouvons, sans nous exposer à d’autres déceptions, d’autres causes de découragement, retarder les remises en cause sans concessions autour des conditions à remplir pour la construction réelle d’un bloc hégémonique.

Christian Darceaux

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