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Cheikh Anta DIOP : le dernier pharaon

D 8 février 2012     H 05:18     A Moulzo     C 0 messages


L’insulte suprême a été faite le 26 juillet 2007, au sein même
de cette université qui porte son nom, lorsque Nicolas
Sarkozy est venu dire à la jeunesse africaine que « l’homme
africain n’est pas entré dans l’histoire ». Cheikh Anta Diop a dû se
retourner dans sa tombe, lui qui justement, a passé sa vie à
montrer tous les apports du nègre africain à la civilisation
mondiale. La riposte ne s’est d’ailleurs pas fait attendre et 23
intellectuels africains et français ont répondu à Sarkozy[i]. Il
fallait exorciser le mal dans l’immédiat, laver l’affront qui a été
fait au dernier pharaon de l’Afrique ainsi qu’à toute l’Afrique.

Le 7 février 2012 marquera la 26ème année de la mort de Cheikh
Anta Diop (à l’âge de 63 ans), un des plus grands penseurs
nègres si ce n’est le plus grand de tous, par son apport à la
dignité de l’homme noir mais aussi sa vision politique d’une
Afrique fédérale fière et debout. Car Cheikh Anta Diop était tout à
la fois historien, anthropologue que physicien et homme politique
anticolonialiste. L’homme ne se fixait aucune limite intellectuelle
et transcendait par son esprit toutes les activités intellectuelles.
Arrivé en Paris à l’âge de 23 ans pour y étudier la Physique et la
Chimie, il se tourne très rapidement vers l’histoire et les sciences
sociales, développant une vision radicalement différente de
l’Égyptologie pharaonique classique. Cheikh Anita Diop affirme
que l’Égypte antique était peuplée d’africains noirs, ce que
beaucoup d’égyptologue de l’époque ne pouvait simplement pas
entendre. Sa thèse (refusée une première fois en 1951 par
l’université) ne sera acceptée que 9 ans plus tard en 1960.
Publiées cependant en 1954 par Présence africaine sous le titre
de « Nations nègres et cultures : De l’antiquité nègre égyptienne
aux problèmes culturels de l’Afrique noire aujourd’hui », les
thèses de Cheikh Anta Diop rencontrèrent un grand succès dans
les milieux intellectuels africains mais pas seulement.

L’oeuvre de Cheikh Anta Diop contribua à la reconnaissance d’une
Égypte pharaonique nègre, bien que les égyptologues européens
de l’époque aient beaucoup de mal à l’admettre. Il était
effectivement bien difficile d’accepter que les maîtres des
pyramides, des calculs mathématiques si complexes, qui ont
enseigné la géométrie à Pythagore et à Thalès puissent être de la
même couleur noire que ceux là même qu’on domine et colonise,
en prétendant leur apporter la civilisation. Comment admettre en
effet que Ramsès II, Toutankhamon et Akhenaton soient des
nègres…Et pourtant, les démonstrations de Cheikh Anta Diop
sont claires comme l’eau de roche. « Pour nous, écrit Cheikh
Anta Diop, le retour à l’Égypte dans tous les domaines est la
condition nécessaire pour réconcilier les civilisations africaines
avec l’histoire, pour pouvoir bâtir un corps de sciences humaines
modernes, pour rénover la culture africaine. Loin d’être une
délectation sur le passé, un regard vers l’Égypte antique est la
meilleure façon de concevoir et de bâtir notre futur culturel.
L’Égypte jouera, dans la culture africaine repensée et rénovée, le
même rôle que les antiquités gréco-latines dans la culture
occidentale ». Cheikh Anta Diop ira jusqu’à faire des tests de
mélanine sur des momies égyptiennes dans son laboratoire de
datation au carbone 14 créé en 1966 (le premier en Afrique) à
l’université de Dakar (aujourd’hui rebaptisée Université Cheikh
Anta Diop). Sa formation pluridisciplinaire lui aura permis
d’accéder à la vérité que personne ne voulait admettre.

Sa vision politique aussi était
en contradiction avec celles
des hommes politiques de son
temps notamment celles de
Léopold Sédar Senghor,
l’homme de lettres, amoureux
de la langue française. Cheikh
Anta Diop affirmait que c’est
dans les langues locales qu’il
fallait enseigner les sciences et
faire l’éducation des Africains.
Opposant politique à Senghor
dès les indépendances en
1960, il crée dans la
clandestinité le RND (Rassemblement National Démocratique) en
1976, un parti qui se réclame du panafricanisme. Diop défend
l’idée d’une Afrique fédérale tournée vers ses propres valeurs et
son histoire riche et non corrompue par l’Europe (conscience
historique) qui seule permettra l’émergence de l’Afrique et son
développement.
Mais si Cheikh Anta Diop a tenu à défendre la dignité de l’homme
noir, c’est pour contribuer à un idéal bien plus grand encore, celui
de l’homme tout court. Comme il le précise lui-même : « Nous
aspirons tous au triomphe de la notion d’espèce humaine dans
les esprits et dans les consciences, de sorte que l’histoire
particulière de telle ou telle race s’efface devant celle de l’homme
tout court. »

Espérons donc que Sarkozy et son scribe[ii] méditent ces sages
paroles du dernier pharaon noir. L’histoire n’appartient pas à tel
ou tel peuple, elle appartient à l’homme tout court.

Moulzo

[i] L’Afrique répond à sarkozy, collectif, Editions Philippe Ray, 2008

[ii] Henri Guaino la plume de Sarkozy pour son discours de Dakar