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CINEMA : A la rencontre d’un cinéaste antiraciste

D 30 octobre 2013     H 05:51     A Gisèle Felhendler     C 0 messages


Excellente idée que ce livre-DVD édité par la coopérative les Mutins de Pangée en septembre : voir et revoir Afrique 50, de René Vautier à travers de nombreux documents originaux (textes, photos, lettres, vidéos), complété et nourri par de passionnants bonus, dont une interview d’Alain Ruscio, historien de la colonisation, qui éclaire la pérennité des pratiques et représentations coloniales.

Afrique 50 est le premier film anticolonialiste français, en butte à la censure d’un État qui pendant plus de 40 ans le frappe d’une interdiction toute politique. A l’origine commande de la Ligue Française de l’Enseignement destinée à montrer aux élèves la mission éducative menée dans les colonies françaises d’Afrique Occidentale, en d’autres termes à accréditer le fantasme des aspects positifs de la colonisation, ce film deviendra la référence du cinéma militant.

Car sur place, René Vautier, tout jeune réalisateur de 21 ans, décide de témoigner de la brutalité criante de la réalité.
La présence française en Afrique est celle d’une domination autoritaire. Derrière les images convenues, Vautier dit la réalité de l’oppression : travail forcé, occupations, crimes commis par l’armée.
Paroles terribles de René Vautier sur ces images clandestines. La voix de ce résistant antinazi révolté par la barbarie coloniale, tremblante de colère et d’émotion lorsqu’il énonce les noms des bourreaux et des entreprises qui pillent et détruisent l’Afrique.
Le livre qui accompagne ce double DVD raconte avec un humour grinçant les anecdotes et aventures du tournage qui vaudront à Vautier treize inculpations et une condamnation à un an de prison.

A la rencontre d’un cinéaste profondément antiraciste, anticolonialiste engagé dans les luttes d’émancipation des colonies françaises. Vautier sera d’ailleurs poursuivi pour « atteinte à la sûreté de l’État » pour avoir déclaré : « l’Algérie sera de toute façon indépendante, et il conviendrait de discuter dès maintenant de cette indépendance avec ceux qui se battent, avant que des flots de sang ne viennent séparer nos deux peuples. »
Montrer que l’histoire de France est aussi une histoire coloniale, tel est le sens de ce film militant, ou plus précisément des bobines qu’il parviendra à sauver de la censure.

Le DVD propose aussi De sable et de sang, tragique écho d’une actualité révoltante au large du cimetière migratoire qu’est devenu Lampedusa. Dans le film de Michel Le Thomas, René Vautier raconte l’histoire d’Hamid, jeune Mauritanien rencontré à la fin des années 80. Un questionnement sur la permanence des pratiques coloniales. Il lui donne sa caméra pour qu’il filme sa ville autrefois prospère, avant la fermeture des mines. Et c’est l’exil qui entraîne les jeunes sur les routes dangereuses de l’exil, vers une Europe rêvée, une Europe qu’Hamid n’atteindra jamais. La caméra sera retrouvée sur une plage du Sud de l’Espagne après le naufrage d’une embarcation de migrants.

Ce coffret, à la fois témoignage historique et vision du rôle et de la puissance du cinéma, nous interpelle sur ces mécanismes odieux et pervers qui organisent et maintiennent la domination des peuples du Sud. A quelques mois du sommet élyséen annoncé, il est urgent de dénoncer l’arrogance et le cynisme d’une Françafrique toujours triomphante.

Gisèle Felhendler