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COP21 : Protéger les écosystèmes pour réguler le climat

D 11 décembre 2015     H 05:43     A Benjamin Bibas, Jean-Marc Pasquet     C 0 messages


A la veille de la COP21, Novo-Idéo s’intéresse à la question de la justice climatique en se tournant vers l’Afrique. Ce continent, le moins émetteur de gaz à effet de serre, est en effet celui qui subit le plus les conséquences du changement climatique. Comment réparer cette situation inéquitable ? Et comment enclencher en Afrique la transition vers un développement non carboné, sans lequel la régulation climatique mondiale sera impossible à long terme ? Telles sont les questions posées par une note que vient de publier la Fondation de l’Ecologie Politique, sous la coordination du journaliste africaniste Benjamin Bibas.

Vous publiez avec le le collectif Wangari Maathai (1), une note intitulée COP21 : réparer l’injustice climatique en Afrique. Pourquoi une telle réflexion ?

Benjamin Bibas : Parce que l’Afrique est le continent qui souffre le plus du changement climatique, alors qu’il en est le moins responsable. Selon l’institut Verisk Mapplecroft, basé au Royaume-Uni, six des dix pays les plus vulnérables aux conséquences du changement climatique sont situés en Afrique : Guinée-Bissau, Sierra Leone, Soudan du Sud, Nigeria, République démocratique du Congo, Ethiopie. Cela se traduit déjà par des sécheresses plus fréquentes, des saisons des pluies plus tardives, des inondations côtières géantes comme celle de 2012 dans le delta du Niger, enfin et surtout des chaleurs incomparables. La température moyenne a ainsi augmenté de 1,3°C au Bénin entre 1960 et 2010. Et dans les scénarios médians de son dernier rapport, le GIEC estime qu’à l’horizon 2050, une hausse globale des températures 2,0°C depuis le début de l’ère industrielle se traduirait par une hausse moyenne de 3,0°C sur le continent africain, qui est déjà le plus chaud de la planète. Tout cela met l’Afrique dans une situation préoccupante sur le plan de la sécurité hydrique et alimentaire. Or ce continent n’a quasiment aucune responsabilité dans le changement climatique : hormis l’Afrique du Sud, aucun pays africain ne dépasse aujourd’hui la limite mondialement soutenable de 2,0 t/hab/an d’émission de gaz à effet de serre (GES).

Comment est-il possible de réparer cette injustice ?

Nous avons interviewé six personnalités écologistes africaines pour leur poser la question (2). Elles y répondent de façons diverses. Pour l’ancien ministre sénégalais de l’Environnement Haïdar El Ali, il n’y a pas grand-chose à attendre de la COP21 : l’économie et la diplomatie sont pour lui trop centrées sur les enjeux financiers et ce sera le cas jusqu’à ce qu’une grande catastrophe naturelle vienne remettre les écosystèmes au centre des échanges humains. La journaliste kenyane Mildred Barasa fonde au contraire beaucoup d’espoirs sur le Fonds vert pour le climat (« Fonds vert ») : outre les engagements de réduction d’émissions de GES par pays, l’enjeu principal de la COP21 est que ce fonds créé à la COP15 de Copenhague en 2009 puisse réunir 100 milliards de dollars par an à partir de 2020, afin de financer notamment des actions d’adaptation au changement climatique dans les pays les plus vulnérables. Surtout, ce fonds vise à permettre à ces pays d’enclencher un développement économique non carboné… car il n’y aura pas de limitation de la hausse des températures mondiales à 2,0°C si l’Afrique, qui comptera 25 % de la population planétaire en 2050, suit en la matière l’exemple funeste des économies développées et émergentes. Entre ces deux points de vue, le militant environnementaliste gabonais Marc Ona Essangui pointe surtout la nécessité de réformes financières et juridiques, aux plans national et international, pour que les écosystèmes puissent être effectivement protégés dans tous les pays du monde, à commencer par le sien.

Quelles conclusions tirez-vous de ces réponses plurielles ?

Les entretiens que nous avons menés avec ces écologistes africains nous ont permis d’analyser la dégradation de divers écosystèmes locaux, nourrissant la grande pollution globale qui se traduit par le changement climatique. Nous en avons déduit une dizaine de recommandations aux négociateurs de la COP21 et aux gestionnaires du Fonds vert, tournées vers une exploitation durable des ressources naturelles africaines au bénéfice en premier lieu des Africains. Quelques unes d’entre elles, destinées par exemple à alimenter le Fonds vert : rendre l’accord issu de la COP21 contraignant, les contrevenants voyant leur contribution au Fonds vert drastiquement augmenté ; instaurer des taxes mondiales, échappant aux paradis fiscaux, sur les transactions financières ou les activités fortement polluantes comme le transport aérien ou le fret maritime ; dans les pays qui n’ont pas atteint l’autosuffisance alimentaire, taxer les investissements étrangers agricoles destinés à l’export…

L’enjeu principal de la COP21 est que ce fonds créé à la COP15 de Copenhague en 2009 puisse réunir 100 milliards de dollars par an à partir de 2020
Selon nous, le Fonds vert doit ainsi être financé par les principaux responsables du changement climatique : surtout sous forme de contributions nationales par les pays industrialisés dits de l’Annexe I qui ont une responsabilité historique écrasante ; et surtout sous forme de taxes par les entreprises des pays émergents qui sont désormais parmi les plus grands émetteurs de GES. D’autres de nos recommandations visent à intégrer aux négociations climat contraignantes des mécanismes aujourd’hui naissants comme l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE) ou les législations sur le devoir de vigilance des sociétés investissant à l’étranger. Car il n’y aura pas de régulation du climat sans protection accrue des écosystèmes. Nos entretiens nous ont convaincu que cette protection passe par un renforcement des capacités coercitives des justices nationales et de la communauté internationale face à la pression financière sans limite sur l’exploitation des ressources naturelles, notamment en Afrique.

Propos recueillis par Jean-Marc Pasquet

[1] Le collectif Wangari Maathai rassemble une dizaine de militants de l’écologie associative et politique attentifs au continent africain. Régis Essono, Mathieu Gobin, Gérard Lansade et Frédéric Maintenant ont participé à la note COP21 : réparer l’injustice climatique en Afrique.

[2] Aïssatou Diouf, responsable plaidoyer à l’ENDA (Dakar) ; Ousmane Barké Diallo, agro-pasteur et membre de la Coordination nationale des organisations paysannes au Mali ; Mildred Barasa, secrétaire générale de l’African Network of Environmental Journalists (Kenya) ; Raimundo Ela Nsang, président de la Coalition restauratrice de l’Etat démocratique en Guinée équatoriale ; Marc Ona Essangui, secrétaire exécutif de l’ONG environnementale Brainforest (Gabon) ; Haïdar El Ali, ancien ministre sénégalais de l’Environnement et de la Pêche.

Télécharger la note "COP21 : réparer l’injustice climatique en Afrique" sur le site de la Fondation de l’Ecologie Politique

Source : http://www.novo-ideo.fr