Vous êtes ici : Accueil » Communiqués / luttes et débats » Livres Etudes Débats » Famine dans la Corne de l’Afrique : Une catastrophe naturelle ?

Famine dans la Corne de l’Afrique : Une catastrophe naturelle ?

D 27 octobre 2011     H 04:54     A     C 0 messages


Douze millions de personnes sont touchées par la famine en Éthiopie, en Somalie, en Érythrée, au Sud-Soudan, en Ouganda, à Djibouti et dans le nord du Kenya. Dans plusieurs régions de ces pays, trois personnes sur dix sont sous-alimentées depuis plus longtemps. Explications.

La sécheresse n’est pas la seule cause

Manquer deux saisons des pluies est un coup très dur pour la population locale de bergers et de paysans. L’actuelle sécheresse est due en partie au changement climatique résultant des gaz à effet de serre, lui-même à son tour conséquence de dizaines de décennies d’exploitation des réserves d’énergie dans l’objectif pur et simple de réaliser des profits maximaux. La sécheresse n’est donc pas tant un phénomène naturel qu’une conséquence de l’intervention humaine.

En outre, la région a déjà connu bien d’autres sécheresses, mais celles-ci n’ont pas toujours provoqué la famine. En 1984 déjà, une sécheresse avait ravagé l’Éthiopie et la Somalie mais seule l’Éthiopie avait connu une catastrophe alimentaire. La précédente famine en Somalie date de 1992 et, à l’époque, la sécheresse n’avait pas été exceptionnelle.

Les organisations de secours et les experts internationaux sont formels : il s’agit ici d’une combinaison entre une catastrophe naturelle et une catastrophe provoquée par l’intervention humaine. « Il ne faut pas nier que l’ampleur de cette catastrophe résulte d’une grave sécheresse, l’année la plus sèche en six décennies, dans certaines parties de la région. Mais cette crise a tout autant été provoquée par l’homme et par la politique que par la nature », selon Oxfam International.

« Les pluies n’ont pas fait leur boulot, mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas faire le nôtre », déclarait Kanayo Nwanze le 25 juillet dernier, lors d’une réunion d’urgence de la FAO, l’agence des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Le président du Fonds international pour le développement agricole (IFAD) y établissait une comparaison avec une région en Chine qu’il avait visitée récemment et qui était également aux prises avec une sécheresse. Dans cette région de Chine, il tombe encore moins de précipitations qu’au Sahel, ce qui n’empêche toutefois pas les paysans de cultiver suffisamment pour se nourrir eux-mêmes et accroître leur revenu. La différence, pour eux, se situe dans la politique, selon Nwanze.
Une catastrophe annoncée

Depuis des années déjà, la situation alimentaire dans la Corne de l’Afrique est précaire. Le Famine Early Warning Systems Network (Fews Net – Réseau des systèmes de mise en garde contre les famines), un site Internet américain créé pour détecter les menaces de famine à un stade précoce, faisait retentir en décembre 2009 déjà les premiers signaux d’alarme. Depuis mars de cette année, Fews Net met en garde contre le fait que l’aide est inefficace.

L’an dernier, les Nations unies lançaient déjà un appel à l’aide en Éthiopie, en Somalie et au Kenya. Elles avaient besoin de 500 millions de dollars, mais n’en ont recueilli que la moitié. En mai dernier, le Programme alimentaire mondial a dû même restreindre de façon draconienne les rations en Somalie. « Nous n’avons que 30 % de la nourriture dont nous avons besoin pour nourrir le million de personnes que nous sommes censés atteindre », déclarait un porte-parole de l’agence de l’ONU à la BBC. Seuls deux tiers de la population a reçu de la nourriture et encore, un tiers seulement de ce dont elle avait en fait besoin.

Il était prévisible que la famine frappe si fort, mais la « communauté internationale » a choisi de laisser pourrir la situation. Ce n’est que lorsque la presse mondiale a eu l’attention attirée par la famine que les instances des pays riches ont commencé à bouger. Il en va toujours ainsi. En 2006, le gouvernement du Mozambique demandait par exemple 3,4 millions de dollars d’aide pour se préparer à de possibles inondations. Cette aide s’est fait attendre et quand les inondations ont effectivement semé la désolation, il a fallu 98 millions de dollars pour les secours d’urgence.

En juillet, les Nations unies ont estimé qu’il faudrait 2,5 milliards de dollars d’aide jusqu’à la fin de l’année, mais on n’en a encore trouvé que 1,3. De cette somme, le 8 août, 4,4 millions de dollars est venu de Belgique, soit un sixième de ce que le Brésil a déjà donné.

La politique de l’Occident en question

La Corne de l’Afrique (Éthiopie, Érythrée, Djibouti et Somalie) est d’une énorme importance stratégique pour l’économie mondiale. Djibouti et la Somalie se trouvent sur le golfe d’Aden, à l’entrée de la mer Rouge qui, avec le canal de Suez, relie l’océan Indien à la Méditerranée. La Somalie n’est pas loin de la mer d’Oman et du détroit d’Ormuz, deux zones très importantes de l’océan Indien, qu’empruntent la moitié de la flotte commerciale mondiale des transporteurs de conteneurs et 70 % du transport des produits pétroliers. La Chine et l’Inde acquièrent une influence sans cesse croissante, tout comme sur la totalité du continent africain, d’ailleurs. Cela aussi vaut à l’Occident de sérieuses préoccupations.

Depuis la fin de la guerre froide, les États-Unis essaient d’assurer leur contrôle sur cette région. En 1992-1993, ils se lançaient dans une invasion de la Somalie baptisée Operation Restore Hope (Opération restaurer l’espoir) mais elle se soldait par une défaite. Les États-Unis allaient devoir attendre la guerre en Irak, en 2003, pour avoir un pied dans la Corne de l’Afrique en installant une base militaire à Djibouti. Il s’agit toujours de la seule base militaire américaine sur tout le continent africain.

Ces dernières années, c’est surtout via l’Éthiopie que les États-Unis ont exercé leur influence sur la région. Ils ont soutenu l’invasion éthiopienne de la Somalie en 2006. Celle-ci devait faire tomber le gouvernement de l’Union des tribunaux islamiques, bien que celui-ci ait apporté une certaine stabilité dans de grandes parties du pays où, auparavant, les seigneurs de guerre assuraient le service. L’invasion désarticulait complètement la Somalie : 15 000 civils ont perdu la vie et plus d’un million de gens ont pris la fuite.

Au bout de deux ans, quand les occupants se sont retirés, la moitié de la population somalienne était devenue dépendante de l’aide alimentaire. Depuis lors, le pays est empêtré dans une guerre civile avec, d’un côté, les troupes du Gouvernement fédéral de transition (TFG) et, de l’autre, les milices d’al-Shabaab et du Hizbul Islam. Le TFG est soutenu par l’Occident mais ne contrôle qu’une fraction du pays et, jusqu’il y a peu, un tiers de la capitale Mogadiscio.

En Éthiopie aussi, la guerre et l’ingérence étrangère sont d’importantes causes de la situation actuelle. Les régions gravement touchées par la famine se situent dans la région limitrophe de la Somalie, où résident de nombreux Somaliens. Depuis 1984, le Front de libération nationale de l’Ogaden (ONLF), un mouvement sécessionniste armé, y est actif. Le gouvernement éthiopien, maintenu en selle avec le soutien de l’étranger, organise des blocus alimentaires afin de mettre à sec les régions où l’ONLF est actif.

L’Éthiopie est l’un des plus grands bénéficiaires de l’aide au développement, c’est un donor darling (un chouchou des donateurs) de la Banque mondiale, des États-Unis, de l’Union européenne, du Royaume-Uni et de l’Allemagne. « Les dirigeants locaux refusent systématiquement tout soutien aux partisans de l’opposition et aux activistes de la société civile, même si l’aide alimentaire est d’une nécessité vitale », déclare un rapport d’Human Rights Watch. Un secouriste occidental (anonyme) le confirme : « Tout ce que nous mettons à disposition – engrais, prêts, soutien social – est utilisé pour briser l’opposition. »

Le résultat d’une économie mondiale en crise

La crise économique mondiale a de lourdes conséquences pour la sécurité alimentaire de la population du Tiers-Monde. Les gouvernements des pays riches ont repoussé la crise devant eux en ouvrant de force les marchés du Sud à leurs multinationales. Dans les années 1960, juste après la décolonisation, l’Afrique exportait encore de la nourriture pour une valeur de 1,3 milliard de dollars par an. Aujourd’hui, le continent doit importer un quart de sa nourriture et il est dépendant de l’aide alimentaires et des importations. En même temps, la terre du Tiers-Monde est réservée à la production de plantes destinées à l’exportation. Ne pensons qu’aux légumes et aux fleurs coupées en provenance de l’Éthiopie et du Kenya et qu’on retrouve dans nos supermarchés européens.

Les monopoles ne laissent pas d’autre choix aux paysans du Tiers-Monde que d’amener leurs produits à bas prix sur le marché. Le fossé entre les prix que reçoivent les producteurs et les prix qui sont facturés aux consommateurs augmente, surtout dans ces pays où les monopoles assurent le service. Voici quinze ans, d’après une étude de la Banque mondiale, ce fossé croissant coûtait déjà 100 milliards de dollars aux pays en voie de développement. Dans un même temps, les multinationales qui dominent le secteur agricole touchent de superprofits. Pendant la crise alimentaire de 2008, elles ont d’ailleurs vu leurs bénéfices croître de façon mirobolante.

La crise économique croissante de ces dernières années a encore aggravé la situation alimentaire. Vu que les produits traditionnels d’investissement ne pouvaient plus étancher la soif de profit capitaliste, le capital s’est mis en quête de nouvelles possibilités d’investissement. La spéculation dans les marchandises, dont le pétrole et la nourriture, a été dérégulée et a augmenté de façon exponentielle depuis le début de ce millénaire. De ce fait, les prix alimentaires sont devenus très volatiles et ils sont influencés par les importants fonds d’investissement qui ont tout intérêt à faire grimper les prix. L’index des prix alimentaires sur les marchés internationaux a connu un pic en février 2011 et il reste toujours à des hauteurs records.

Les prix alimentaires élevés sur le plan international constituent naturellement un problème pour les pays qui importent de la nourriture. Pour les céréales, Djibouti et la Somalie sont respectivement dépendants à 100 % et 60 % des importations. De même, les prix croissants du carburant influencent les prix alimentaires locaux. En un an, le prix du carburant a augmenté de 60 % en Éthiopie, de 38 % en Somalie et de 34 % au Kenya.

La crise économique stimule aussi les investissements dans les terres agricoles des pays du Tiers-Monde. La production de biocarburant fait des terres cultivables une alternative attrayante pour les investissements. Le gouvernement éthiopien propose aux investisseurs étrangers des contrats de location de 50 à 99 ans couvrant 3 millions d’hectares (la superficie de la Belgique) des terres agricoles les plus fertiles. Aujourd’hui déjà, le pays est le premier en Afrique pour les concessions étrangères et la plupart de ces contrats ont été conclus avec des entreprises privées étrangères en vue précisément de la production de biocarburant.

L’accès à la terre devient difficile pour la population locale, en grande partie des paysans et des bergers nomades. Une étude récente montre comment ces bergers deviennent de plus en plus vulnérables face aux périodes « normales » de sécheresse du fait que leur accès à la terre est de plus en plus réduit. D’après eux, ce n’est pas la conséquence de la sécheresse croissante. Les chercheurs montrent que l’avenir des bergers nomades est en jeu.

Souveraineté alimentaire

Que pouvons-nous faire ? Dire que l’aide d’urgence n’offre aucune solution durable, c’est enfoncer une porte ouverte. Pourtant, les besoins immédiats doivent être soulagés. Des dons aux ONG qui s’y consacrent pour l’instant peuvent y contribuer, et c’est certainement le cas si ces ONG s’intéressent de près aux causes structurelles de la famine.

Plus important encore, il convient que nous montrions à nos propres gouvernements leurs responsabilités et que nous exigions qu’ils se décider à y aller de leurs poches. Les sommes qu’ils peuvent mobiliser sont bien plus importantes que les dons individuels. Ne pensons qu’aux cadeaux qu’ils consentent aux grandes banques et entreprises. Dans la crise actuelle, l’argent doit aller aux victimes, chez nous et ailleurs, et non à ceux qui ont provoqué la crise.

Une solution durable ne pourra venir que si les relations mondiales changent de façon radicale à l’avantage du Sud. En premier lieu, une résistance plus large est nécessaire contre toute forme d’intervention économique, militaire et politique dans le Tiers-Monde. L’Afrique doit avoir la possibilité de prendre son développement en mains propres.

Sur le plan de l’agriculture, cela se traduit par la souveraineté alimentaire. Ici, le soutien à la production alimentaire locale est primordial. Les producteurs locaux doivent recevoir les possibilités et les moyens de développer la production alimentaire pour les marchés locaux. La réforme agraire est une mesure primordiale. Cela signifie aussi qu’ici, en Europe, nous devons nous opposer à la politique libre-échangiste de nos gouvernements, à l’extension de la production des biocarburants.

http://www.intal.be