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Forum social mondial : plus de deux cents visas refusés à des Africains

D 7 novembre 2016     H 05:47     A     C 0 messages


Non, nous ne sommes ni tristes, ni déçus, ni amers. Nous sommes ahuris, incrédules et définitivement révoltés que ce Forum Social Mondial 2016 ait pu avoir lieu sans notre participation. Nous n’imaginions même pas que l’idée de l’absence de l’Afrique à cette rencontre « mondiale » ait pu effleuré les esprits du comité d’organisation et, plus largement, de tous les militants altermondialistes quels qu’ils soient et d’où qu’ils soient.

Non, nous n’acceptons pas que le boycott soit venu des « empêchés » eux-mêmes et non pas de l’organisation du forum qui aurait dû faire ce travail au lieu de laisser toujours le sale boulot aux premières victimes de la violence institutionnalisée des pays du G7 dont fait partie le Canada.
Non, notre participation n’était pas « fondamentale », elle était obligatoire et inconditionnelle. D’après Raphael Canet, coordinateur du collectif du FSM, la décision de la tenue de l’événement au Canada a été prise essentiellement afin de « dépasser la traditionnelle fracture Nord-Sud ». Or le résultat a été tout simplement l’inverse. Il rappelle également que « les inégalités s’accroissent partout » mais également que « les défis globaux n’ont pas de frontières ». Belle rhétorique.

Faut-il rappeler que cette fameuse fracture Nord-Sud existe bel et bien, qu’elle n’est ni une vue de l’esprit ni une façon de surestimer l’un ou de victimiser l’autre. Oui, l’Afrique est un continent martyrisé, pillé, insulté et, oui, c’est un acteur mondial incontournable car c’est grâce à lui que le Nord subsiste tant bien que mal dans un capitalisme effréné, prédateur et destructeur. Les inégalités, effectivement, s’accroissent partout mais encore une fois l’Afrique, et plus particulièrement les Africains, les subissent de plein fouet car au-delà d’inégalités sociales, économiques, politiques ou culturelles, ils sont humiliés par un Occident tout puissant qui les saigne un peu plus chaque jour et les assigne à résidence comme de vulgaires malfrats ou plus exactement comme les négligeables nègres qu’ils sont.

Les plus de 200 visas refusés aux Africains qui voulaient se rendre au Canada sont une fois de plus un abus impardonnable commis par un pays « démocratique » qui se veut l’ami des immigrés et qui fait partie des grandes puissances de ce monde. Mais nous sommes habitués à ces entorses répétées à la Déclaration universelle des droits de l’homme et nous n’attendons plus rien de ces Etats voyous. C’est d’abord pour ces raisons que le FSM avait vu le jour au Brésil en 2001, pour contrecarrer celui de Davos. Jusque-là rien de bien nouveau ni d’étonnant.

Ce qui est bien plus inquiétant, incompréhensible et révoltant, c’est de voir les altermondialistes eux-mêmes, donc ceux qui, par définition, refusent, critiquent et militent contre cette mondialisation aveugle, réagir avec si peu de conviction et d’énergie à ce qui pour eux, pour nous tous, devrait constituer par essence le point de non-retour, la ligne infranchissable si facilement violée par les pouvoirs en place. Car en effet, le premier des boycotts, celui qui aurait démontré une vraie solidarité avec les « déboutés », celui qui aurait pu faire bouger les choses en dénonçant une politique raciste, injuste et discriminatoire, le premier des boycotts aurait dû être celui du Forum social mondial lui-même. Comment peut-on consciemment, sincèrement et efficacement continuer à discuter sur des questions telles que l’autodétermination des peuples, la solidarité internationale, les migrations et la citoyenneté sans frontière lorsqu’il manque à l’appel tout un pan des militants et de la société civile directement touchés par ces questions ?

Nous pensons et nous affirmons que ce Forum 2016, dans ces conditions, n’aurait pas dû avoir lieu, qu’il est donc illégitime et que tous ses participants auraient dû mettre leur énergie, leurs connaissances et leur militantisme à dénoncer courageusement et efficacement cette ultime humiliation imposée aux peuples du Sud (plus particulièrement aux Africains) et exiger du gouvernement canadien qu’il revienne sur sa décision inique.

Il était donc de la responsabilité du comité du Forum de boycotter l’événement en demandant prioritairement à tous les participants de se focaliser sur un seul et ultime objectif : rétablir les Africains dans leurs droits d’êtres humains pouvant comme n’importe quel autre citoyen participer à une rencontre mondiale sans que leur couleur de peau, leur lieu de vie ou leur classe sociale ne représentent une entrave. Cela aurait pu se traduire par des marches, des manifestations, des sittings devant les institutions responsables, des pétitions dans la ville de Montréal sous un seul mot d’ordre : « Avec les Africains sinon rien ». Tant que cela n’était pas réglé, il ne servait absolument à rien de parler d’autre chose. Avec cette attitude légère et peu responsable, le FSM court le risque de voir sa crédibilité contestée en se résumant, année après année, à prêcher dans le désert (même avec toute la sincérité du monde) par des condamnations de principe du modèle capitaliste et du système néolibéral et en laissant de côté ou, à d’autres, le soin de mener les actions fortes, concrètes et urgentes comme il en avait l’occasion avec cette situation inédite. Un véritable contre-pouvoir n’existe qu’à ce prix là.

Nous déplorons également que les mêmes Africains n’aient toujours pas été écoutés lorsqu’ils ont, dès le Forum social ouest africain à Conakry le 13 juillet dernier, alerté et fait part de leurs inquiétudes quant aux possibilités de déplacements et aux difficultés financières auxquelles allaient être confrontés les militants du Sud pour se rendre au Canada.
Dans ces conditions, il n’est donc plus à démontrer que le FSM doit revenir à ses origines, au Sud donc et que toutes les luttes sociales, raciales et économiques n’ont pour l’instant qu’un effet limité sur le droit et la justice et que tant qu’un véritable contre-pouvoir ne se mettra pas réellement en place par le biais d’une action forte, courageuse et déterminée, toutes les réunions, discours et condamnations resteront vains.

Nous, panafricanistes engagés, infatigables et déterminés, unis pour une Afrique forte et insoumise, après avoir connu l’esclavage, la colonisation et le néo-colonialisme, refusons catégoriquement et définitivement de continuer à subir. C’est pour ces raisons, qu’une grande partie des nôtres a tenu à boycotter ce forum 2016 (y compris des personnes ayant obtenu le visa). Nous les remercions et rendons hommage au courage, à la détermination et la solidarité d’hommes prêts à se lever et à s’exposer dès qu’une injustice est commise, que ce soit au Nord comme au Sud.

Korrenti di ativista (mouvement cabraliste, Cap Vert)