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Kony 2012 : Les retombées de la militarisation et de la désinformation

D 25 mai 2012     H 05:44     A Horace Campbell     C 0 messages


Dans toute campagne de désinformation, le minimum requis pour qu’elle réussisse c’est qu’elle soit au moins crédible. « Invisible Children Inc. » n’est pas une référence crédible pour des informations sur l’Ouganda et l’Afrique. Joseph Kony n’est pas en Ouganda et ne peut être comparé à Hitler, ni à Ben Laden et à Saddam Hussein. Ce groupe qui se nomme the Lord’s Resistance Army (LRA) a, par le passé enlevé des enfants dont il a fait des enfants-soldats et a exploité les petites filles. Ceci étant dit, la LRA n’est pas une menace pour l’Afrique contrairement à la description qui en est faite dans cette campagne massive appelée Kony2012. Dès lors, la mobilisation de millions de personnes dans le monde entier, dans une campagne qui prétend que Kony est une menace majeure en Afrique Centrale et en Ouganda, revient à de la désinformation, un acte qui vise à délibérément répandre des informations fausses.

Cette campagne Kony2012 est un exemple classique de désinformation militaire. La réussite à exploiter les émotions de 80 millions de jeunes a mis en évidence sa relation entre la désinformation et les capacités de guerre cybernétique des infrastructures de défense des Etats-Unis. Les Ougandais ont déjà répondu clairement à cette manipulation de la guerre dans leur pays. Mais il est important d’examiner le contexte plus large dans lequel évolue la "main invisible" qui agit derrière la production de Kony2012 et l’actuelle campagne qui demande une journée d’action le 20 avril. Cette campagne soulève des questions plus importantes concernant ce moment de l’histoire contemporaine dans la politique globale et l’intense compétition pour la domination impériale de l’Afrique.

La désinformation et la coercition idéologique des citoyens américains, afin qu’ils soutiennent le complexe militaro-industriel, ont été très évidentes dans la guerre de propagande contre le terrorisme. Toutefois, cette guerre contre le terrorisme n’a servi qu’à isoler les Etats-Unis, à affaiblir la société et à empêtrer les militaires américains dans des bourbiers comme l’Afghanistan. Malgré ce déclin et la coercition idéologique, les planificateurs des opérations d’information militaires ont étudié les médias sociaux et la guerre de l’information dans le but de neutraliser l’opposition croissante au militarisme aux Etats-Unis.

Cet évènement des médias sociaux doit être soigneusement examiné, face à la rapidité de la diffusion avec laquelle la vidéo Kony2012 a battu tous les records de l’histoire. Cette rapidité nécessite aussi une compréhension plus approfondie. Le battage médiatique qui a permis cette performance n’est pas accidentel. La promotion massive de cette vidéo en ligne peut maintenant être comprise dans le cadre de la palette guerrière complète dans laquelle des opérations de combats sont un dernier recours. La guerre psychologique et la désinformation sont cruciales pour affaiblir les populations, aussi bien sur son propre territoire qu’en territoire "ennemi". Kony2012 était un test qui servait à évaluer les capacités des médias sociaux aux Etats-Unis, en ce moment révolutionnaire.

Kony2012 et son but qui consiste à piéger des millions de personnes ont déjà été dénoncés par les millions de personnes qui ont démystifié le film. Pambazuka a publié la réponse de Mahmoud Mamdani et L’Association of Concerned Africa Scholars a, de son côté, publié sa déclaration adressée au gouvernement américain concernant le Lord’s Resistance Army et l’Afrique centrale.
Un numéro spécial d’Africa Focus a rassemblé les réflexions, articles et commentaires concernant des vidéos, des blogs et des articles. De nombreux Ougandais se sont exprimés. Ce dossier est important parce qu’il donne une liste extensive de ressources auxquelles les jeunes étudiants qui organisent des réfutations peuvent se référer afin de mieux contrer les manifestations prévues pour le 20 avril et qui devraient soutenir l’appel des Etats-Unis pour une intervention militaire en Afrique.

Face à cette opposition massive de la base à la manipulation par « Invisible Children », même le New York Times s’est fendu d’un éditorial intitulé "Kony is not the problem" (Kony n’est pas le problème). Si Kony n’est pas le problème, alors que doivent faire les forces progressistes en faveur de la paix afin de garantir que de telles opérations soient à l’avenir tuées dans l’œuf ?

Jack Bratich, qui a étudié les guerres cybernétiques dans le cadre des études pour enrayer la radicalisation de la jeunesse, a pénétré la pensée contenue dans cette vidéo. Il a résumé ses arguments dans un article on line (url-=http://www.counterpunch.org/2012/03/13/my-little-kony/) : "My Little Kony : the rise of the flash public". Le professeur Bratich a aussi utilisé la formule "d’organisations de la base génétiquement modifiées" pour décrire les campagnes menées soi-disant par la base, mais gérées et orchestrées par des éléments conservateurs. Si l’on examine le monde de l’Institute for Creative technologies en Californie du Sud, où Jason Russell a été formé, on rencontrera l’interaction raffinée de l’intelligence artificielle, des représentations graphiques et de l’exploration de nouveaux jeux de l’esprit. Ces jeux de l’esprit ont pour but de démobiliser la jeunesse.

Suite à la fabrication du terrorisme en Afrique au cours de la décennie écoulée, couronnée par l’échec colossal de l’intervention de l’OTAN en Libye et la révulsion internationale suite à l’exécution du dirigeant de la Libye, AFRICOM et les militaires américains devaient trouver de nouvelles sources de soutien. C’est dans le cadre de cette quête de nouveaux soutiens que cette vidéo est devenue l’événement médiatique du moment. En trente minutes, cette vidéo Kony2012 a sollicité les émotions des jeunes, exploité leur idéalisme et fait appel à eux afin qu’ils contribuent à leur propre répression en adhérant à cette tribune de guerre de l’information. Je pense en effet, que dépouillée des diverses strates mobilisatrices qui devraient aboutir à l’arrestation de Joseph Kony, un des objectifs de cette vidéo Kony2012 consiste à trouver des alternatives à la conscience politique croissante de la jeunesse des Etats-Unis tel qu’elle se manifeste dans le mouvement Occupy Wall Street.

Jason Russell et son influence dans les rangs des fondamentalistes chrétiens conservateurs nous a aidé en faisant les nécessaires connexions entre l’humanitarisme, la pornographie des désastres, les militaires américains, les universités et les planifications à long terme des militaristes américains en Afrique. Nous avons été informé qu’après avoir été diplômé de l’Institute of Creative Technologies, à l’Université de la Californie du Sud, en 2002, il est parti avec ses amis en Afrique afin de mettre en pratique ce qu’il a appris concernant les conteurs et leurs histoires. Par les informations que Invisible Children a mis en ligne sur son propre compte, nous savons qu’ils appartiennent à un sous-groupe de sous-contractants de la culture de l’armement, en particulier les militaristes humanitaires comme ceux du Enough Project, l’un des principaux promoteurs de la campagne Save Darfour, le Centre for American Progress et Resolve, un groupe pour les droits humains connecté à une organisation catholiques missionnaire conservatrice. Bien que Kony2012 soit présentée comme " la campagne d’une personne en croisade personnelle", il nous est possible de reconstituer les liens qui permettent de comprendre qui sont les forces derrières ces jeux de l’esprit. Que Jason Russell ait subi un revers dû à des citoyens soucieux ne devrait pas nous empêcher de procéder à un examen soigneux de son cheminement dans les corridors des religieux conservateurs et du militarisme.

Je suis maintenant persuadé que cette vidéo est un autre effort qui a échoué de la part des planificateurs militaires aux Etats-Unis. Dans ce cas précis, l’ennemi, comme l’a démontré Jack Bratich, est la jeunesse qui se mobilise contre Wall Street et les banquiers. Aux Etats-Unis, des millions de jeunes sortent de leurs études avec des dettes de plusieurs milliers de dollars. Ils restent sans emploi et échouent sur des rivages sans espoir. Le nouveau mouvement social des jeunes qui s’opposent au 1% et qui a explosé aux Etats-Unis au milieu de la dépression capitaliste, montre une nouvelle voie pour éduquer les citoyens américains. Les plus perceptifs de ces jeunes ont été à l’avant-garde des campagnes pour de réels changements sociaux et économiques. Kony2012 était un effort pour désamorcer la mobilisation des 99%. Cet effort a échoué. Les auteurs de cet effort se sont cassés les dents sur l’Afrique. La population du nord de l’Ouganda, qui était visée par cette vidéo, a réagi à la manipulation. Le gouvernement de l’Ouganda a dû prendre ses distances de cette campagne de désinformation. Même les experts de politique étrangère comme le Council for Foreign Relations a dû prendre ses distances de cette propagande militaro humanitaire de Kony2012 et des Invisible Children, disant que sa vidéo "manipulait les fait à des fins stratégiques, exagérant l’échelle à laquelle le LRA procède à des enlèvements et des meurtres".

Cette campagne de désinformation a été révélatrice du fonctionnement des informations militaires quand ils étudient les média sociaux afin de "cibler intelligemment" les jeunes personnes afin de les lobotomiser en vue d’une ère de singularité. Je place la campagne Kony2012 parmi les échecs des planificateurs militaires américains et les forces Républicaines conservatrices qui veulent dominer les militaires américains et l’espace corporatif. Sur la base de cet exposé du lien entre les conservateurs aux Etats-Unis et le leadership ougandais qui gravite autour de Yoweri Museweni, cette contribution analysera le lien entre Jason Russell et les fondamentalistes religieux conservateurs aux Etats-Unis. La manipulation et l’exploitation de son propre fils dans cette "production" nous met en présence de la pathologie mentale contre laquelle Frantz Fanon nous a mis en garde dans son analyse des guerres coloniales et des désordre mentaux. Un des défis qui se pose au mouvement pour la paix consiste à travailler à un processus de guérison de sorte à contribuer à la paix et à la reconstruction aux Etats-Unis et en Afrique. Jason Russell et les auteurs de Invisible Children ont besoin de guérir. Toutefois, afin de guérir, il faut d’abord énoncer la vérité.

Cette vidéo Kony2012 a renforcé ma conviction que la démilitarisation et la paix en Afrique sont intimement liées à la démilitarisation et à la paix aux Etats-Unis.

LES MILITAIRES AMERICAINS ET OUGANDAIS AU NORD DE L’OUGANDA : INVISIBLE CHILDREN ET SON MESSAGE

Après que près de 80 millions de personnes ont visionné cette vidéo en ligne, qui était un appel pour une intervention militaire américaine en Afrique Centrale, il y a suffisamment d’informations sur les atrocités dans le nord de l’Ouganda pour qu’il devienne évident que les auteurs du film en appelaient aux citoyens américains afin qu’ils proclament un appel aux armes et que les militaires américains interviennent en Ougandais afin de soutenir l’administration de Museweni. Maintenant que même les tribunes de l’establishment comme le New York Times et le Council for Foreign Relations ont révélé que la vidéo Invisible Children " manipulait les fait à des fins stratégiques, exagérant l’échelle à laquelle le LRA procède à des enlèvements et des meurtres", il est nécessaire de faire un pas de plus pour exiger le retrait de la centaine de conseillers équipés pour le combat qui ont été envoyés aussi pour assister le gouvernement de Museweni en Ouganda. Ces conseillers ont été envoyés en octobre 2011, la deuxième fois que les militaires américains sont explicitement intervenus en faveur du régime de Museweni.

La population du nord de l’Ouganda a réagi à ce film parce qu’elle a souffert aux mains des militaires de Museweni. Nous savons que la Lord’ Resistance Army asseoit sa légitimité sur la répression qui a cours dans la région.

Mamdami a raison de dire qu’il n’y a pas de solution militaire aux problèmes des atrocités commises dans le nord de l’Ouganda. Les solutions militaires proposées par les Invisible Children ne sont qu’un nouveau moyen de poursuivre la relation entre Museweni et les militaires américains. La question de la guerre, des déplacements, des tueries et des réfugiés a empoisonné la vie des populations du nord de l’Ouganda depuis plus de trente ans. Yoweri Museweni a pris le pouvoir en Ouganda en 1986 et a utilisé la guerre dans le nord pour se maintenir au pouvoir. Alors qu’il était étudiant à l’université de Dar Es Salaam en Tanzanie, Museweni parlait fort dans sa rhétorique anti-impérialiste et militariste. Mais aussitôt qu’il a détenu le pouvoir en 1986, il est devenu un solide allié, non seulement des conservateurs militaristes aux Etats-Unis, mais aussi des fondamentalistes chrétiens conservateurs.

Dès le début il a fait alliance avec l’administration Reagan qui considérait Museweni comme un "réformateur" et les Etats-Unis ont formé les troupes ougandaises dans le domaine du contre-terrorisme pendant plusieurs années. Grâce à cette assistance, le régime de Museweni a réussi à éviter que les camps de concentration du nord l’Ouganda fassent les grands titres des journaux. Il y a cinq ans, Joseph Kony et le reste de la Lord’s Liberation Army ont été expulsés de la région du nord de l’Ouganda par l’armée ougandaise. Auparavant, Kony a été inculpé la Cour Pénale Internationale à La Haye. Depuis lors, la LRA a été une bande de maraudeurs qui sévissaient dans la région du nord de l’Ouganda, du Sud Soudan, de l’Est du Congo et de la République Centrale africaine. Réduite à entre 200 et 300 personnes, la LRA dépend de ses supporters internationaux. Il doit être dit que ependant que le gouvernement ougandais et des Etats-Unis déployaient leurs efforts pour retrouver Joseph Kony, le gouvernement soudanais à Khartoum lui fournissait assistance. Ce même gouvernement soudanais avec qui le renseignement américain échangeait des informations afin de contrer le terrorisme en Afrique centrale !

En 2008, le gouvernement américain a rendu publique son alliance avec l’administration de Museweni, en annonçant qu’une équipe de 17 conseillers et analystes de l’US Africa Command a lancé l’opération Lightning Thunder afin de capturer Joseph Kony et les restes de son armée. A l’époque je me demandais pourquoi les Etats-Unis ne demandaient pas simplement à Omar Bashir de fournir les renseignements sur la façon dont son gouvernement soutenait la LRA. Toutefois, lorsque le soutien américain aux militaires ougandais a été rendu public, la LRA a semé la dévastation dans son sillage en Ouganda, en République démocratique du Congo, au Sud Soudan et jusque dans la République centrale africaine. Ceci était un échec clair de l’US Africa Command qui avait collaboré étroitement avec les officiers ougandais, leur fournissant des téléphones satellite, des renseignements et autres soutiens.

Les vétérans militants de l’Est de l’Afrique savaient que le gouvernement de Museweni ne voulait pas vraiment capturer Kony parce qu’il était le principal prétexte à la militarisation de la société. On peut encore voir des informations concernant cette opération dont le nom de code était Natural Fire 10, sur le tableau des informations de l’US Africa Command. Un établissement militaire un tant soit peu respectable serait embarrassé de divulguer l’échec de sa campagne contre Kony. Cette campagne a été lancée pour désamorcer les discussions d’amnistie et de réconciliation en Ouganda. Quel que soit le nom donné à l’opération, Lightning Thunder ou Natural Fire, elle a été résumée ainsi "quelque soit les critères considérés l’opération a été un échec militaire abject".

Cet abject échec militaire a maintenant été présenté au monde en octobre 2011, lorsque l’administration Obama a annoncé sa décision d’envoyer en Afrique centrale, 100 "conseillers" militaires équipés pour le combat, la plupart d’entre eux appartenant aux forces spéciales avec pour objectif déclaré, capturer ou tuer Kony et les autres dirigeants de la LRA. Il est maintenant connu que le lien qui relie le soutien à ces opérations a été l’œuvre de ceux qui ont demandé une intervention militaire américaine, en particulier Invisible Children, une organisation à but non lucratif qui s’est attribuée le mandat d’attirer l’attention sur les activités de la Lord’s Resistance Army

JASON RUSSELL ET LES INVISIBLE CHILDREN

Depuis la période coloniale et la partition impériale de l’Afrique, l’humanitarisme a toujours été présent comme couverture d’opérations militaires. Mais au 21ème siècle, cet humanitarisme a dû être lié à des opérations de renseignement militaires. Invisible Children est un des exemples clair de connivence entre une organisation soi-disant non gouvernementale et les militaires américains. Lorsque la vidéo de Invisible Children, Kony2012, a connu un tel succès en mars 2012, nombreux sont ceux qui ont pris conscience, parmi les 80 millions de personnes qui ont visionné ce film, que c’était un message explicite aux citoyens américains leur demandant de soutenir le déploiement de forces militaires américaines en Ouganda et en Afrique Centrale.

Jason Russell, la face publique de cette organisation "à but non lucratif", Invisible Children a été formé par le centre d’information militaire américain pour la guerre à l’Université de la Californie du Sud (UCS), nommé l’Institute for creative Technologies (ICT). Cet ICT a été démasqué lors de la guerre de l’information contre les citoyens américains au moment du conflit contre le peuple iraquien. Jason Russell a été diplômé de le l’UCS en pleine période de guerre de propagande et de culture de la peur. Le site web de l’ICT disait explicitement : " A l’Institute of creative technology de l’Université de la Californie du Sud, des moyens de haute technologie et le conteur classique se rejoignent afin d’explorer de nouvelles voies pour enseigner et former. Notre objectif consiste à créer une expérience effective et engageante dans laquelle les participants s‘immergent et qui donnera forme à l’apprentissage futur. Avec des applications pour des thérapies, le leadership et la prise de décision, ICT cherche à redéfinir la gamme de compétences que ces expériences peuvent permettre d’acquérir. ICT a été fondé en 1999 avec un contrat de plusieurs années avec les militaires américains, afin d’explorer une question capitale : que se passerait-il si des techniciens de pointe dans le domaine de l’intelligence artificielle, les représentations graphiques et l’immersion faisaient cause commune avec les talents créatifs de Hollywood et les industries du jeu ?"

Depuis plusieurs décennies, les militaires américains ont entraîné les universités dans leur mission qui consiste à semer la mort, la destruction, la peur et l’horreur. Les universités américaines sont en compétition les unes avec les autres pour lancer des projets alignés sur ce que Henry Giroux a décrit comme "les universités enchaînées". Plus les universités sont d’un rang élevé, plus elles sont dans une compétition insensée pour des fonds. L’université de la Californie du Sud, nichée à proximité de Hollywood, avec des accès à "des combinaisons inventives", est l’une de celles qui réussit le mieux dans sa compétions pour les dollars de la défense et des contrats comme celui de l’ICT.

L’université de Syracuse abrite la prestigieuse S.I Newhouse School of public communications. La Newhouse school héberge deux programmes sponsorisés par le Département de la défense qui enseignent aux personnels militaires en service actif le photojournalisme et le journalisme radiophonique. Les étudiants qui suivent les cours de photojournalisme militaire et les Military Motion Media (MMM - les médias animés c’est-à-dire le cinéma, la vidéo), proviennent de la Navy, du Marine Corps, de l’armée de terre et de l’air. Ces militaires recrutés ont servi comme spécialistes de la communication de masse, photographes de combats et journalistes militaires. Ils viennent à l’école pour dix mois pour devenir de meilleurs raconteurs.

J’attire l’attention sur ces programmes parce les militants pour la paix de l’université de Syracuse mènent campagne depuis longtemps pour mettre un terme à ces programmes liés au Pentagone au sein de l’université. J’invite les chercheurs à regarder l’édition spéciale du Syracuse Peace Council Bulletin à l’université de Syracuse, un acteur dans le complexe militaro-industriel et académique. Pour réfuter Kony 2012, il est nécessaire que les militants pour la paix dénoncent les connexions de leurs universités avec le Pentagone. Sous la pression des coupes budgétaires pour l’éducation, les chercheurs ont été poussés dans les bras du Département de la défense parce que c’est le seul secteur de croissance du gouvernement américain.

Maintenant les planificateurs de la défense ont augmenté les enchères dans l’espoir de récupérer l’esprit de la jeunesse des Etats-Unis, en utilisant judicieusement les outils des médias sociaux afin que les jeunes soutiennent les opérations militaires en Afrique centrale. Dans le cas de la vidéo Invisible Children, nous pouvons constater le jeu raffiné entre l’intelligence artificielle, les descriptions graphiques et l’exploration de nouveaux jeux de l’esprit. Mes propres étudiants de New House School m’ont alerté quant aux techniques sophistiquées expérimentées dans cette vidéo Kony2012. Certains experts du 21ème siècle dans le domaine de la communication et du journalisme appellent cela la technique du "flashpublic" (éblouir le public)

C’est la formule utilisée par le professeur de journalisme Jack Bratich, qui a étudié les guerres cybernétiques dans le cadre de programme visant à contrer la radicalisation de la jeunesse américaine. Bratich a mis en évidence que l’Alliance du Youth Movement sert de couverture à des multinationales et situe Kony2012 comme faisant partie d’un nouveau front conservateur des dénommés mouvements de jeunesse de la base. Jack Bratich, dans son évaluation des "combinaisons inventives" qui ont été employées par les auteurs de Invisible Children, note que le "flash public’’ sert à rassembler rapidement les gens pour un évènement", parce que ces flash collectifs sont orienté de façon spécifique et largement diffusés (le possible point de rencontre étant inconnu et distribué).

Le flash du flashpublic mobilise rapidement l’attention et le partage de l’info dans un but politique prédéfini. Ceci implique, selon Anna Gibbs, une "contagion affective" liée à un processus que les théoriciens du début de 20ème siècle ont associé à la sympathie, à la suggestion et même à l’hypnose de masse. Le flash fusionne le temps condensé de transduction (partage, envoi, connexion, composition) avec le temps d’induction (amorçage, allure, guidance, liaison), le tout conçu pour générer une réaction mentale et physique chez celui qui visionne et résulte dans une suggestibilité accrue.

Bratich a poussé son analyse plus loin et à relié l’organisation des Invisible Children à un nouveau réseau de mouvements de jeunesse soutenu dans le monde entier sous l’appellation de Alliance for Youth Movement. Cette organisation est un instrument du militarisme et impérialisme américain.

Après l’utilisation réussie des média sociaux lors de la campagne d’Obama en 2007-2008, et l’impressionnant et raffiné réseau du mouvement du 6 avril en Egypte, les planificateurs à long terme ont dû expérimenter avec de nouveaux outils de guerre de l’information. Le stratagème de l’information contre la jeunesse a échoué lorsque la campagne Save Darfour a été discréditée. Des livres comme celui de Mahmoud Mamdani "Saviours and Survivors" ont exposé la mission réelle des planificateurs du mouvement Save Darfour. Jeremy Keenan a dénoncé la fabrication du terrorisme dans le Sahara dans son livre intitulé "Dark Sahara". Abdi Samatar a exposé la fabrication du terrorisme en Somalie. Des militants pour la paix ont démontré le rôle d’AFRICOM dans la République démocratique du Congo et les opérations clandestines en cours. Toutes ces formes d’interventions militaires doivent être dénoncées.

Il a été dit (au cours de la campagne Save Darfour), comme c’est répété maintenant, que l’Afrique n’a nul besoin de sauveurs. L’Afrique a besoin de solidarité et pour cela les mouvements pour la paix aux Etats-Unis doivent être à l’avant-garde de ceux qui dénoncent les intentions réelles des manipulations de cette vidéo et la campagne.

Nous savons que Jason Russell fait partie du réseau des fondamentalistes chrétiens conservateurs qui travaillent de concert avec leurs condisciples ougandais. Il est important que les Ougandais qui travaillaient avec "les planificateurs de la base" sachent que, par le passé, Russell était affilié à la Liberty University, une institution dont le fondateur, Jerry Fallwell, a été un partisan convaincu du régime blanc raciste minoritaire en Afrique du Sud.

La base intellectuelle et financière de Jason Russell et des Invisible Children doivent intéresser ceux qui s’efforcent de découvrir le lien entre la droite religieuse et les militaires. Comme pour une grande partie du business de multi-milliards des ONG travaillant dans l’humanitaire en Afrique, moins d’un tiers des donations reçues par ces organisations aboutit à la victime en Afrique. " A peine un tiers des dépenses de l’an dernier ont soutenu des programmes en Afrique centrale, cependant que 20% couvraient des salaires et 43% servaient pour des "programmes de conscientisation"". En d’autres termes, la jeunesse des Etats-Unis payait pour subventionner une guerre de l’information menée contre elle. Selon le rapport annuel de Invisible Children, le groupe a rapporté 13.7 millions de dollars de revenus cette année-là. Le détail montre qu’environ 3,3 millions de dollars ont été consacrés à des programmes en Afrique centrale et 2.3 millions ont été consacré à des programmes de conscientisation. Le groupe dépense 1,4 millions en frais de gestion et dépenses diverses, 850 000 pour des "produits de conscientisation" 699 617 pour les média et la création de film et 286 678 dollars pour les récoltes de fonds.

LA CONNEXION DU FONDAMENTALISME CONSERVATEUR

Mais ces chiffres sont dérisoires si on les compare au vrai réseau des fondamentalistes chrétiens auquel Invisible Children appartient. Dans un article posté sur Alertnet nous apprenons qu’Invisible Children est financé par Antigay (contre les homosexuels) et la droite chrétienne créationniste. "Parmi les principaux donateurs on trouve la National Christian Foundation et la Christian Community Foundation, deux groupes qui appuient financièrement des organisations clés de la droite chrétienne comme Focus on the Family et le Family Research Council, qui fait la promotion de lois anti-avortement et anti-homosexuel, la promotion de la religion dans les écoles ainsi que le Discovery Institute, qui propose l’enseignement de "de dessein intelligent" ou créationnisme ".

Ce sont ces mêmes fondamentalistes chrétiens conservateurs qui sont le soutien le plus énergique de la guerre américaine globale contre le terrorisme. Jason Russell a décrit dans ses propres termes son cheminement de l’Institute for Creative Technologies à la formation de l’ONG Invisible Children. C’est la formation qui a donné à l’organisation l’expertise pour utiliser des films, la créativité et l’action sociale afin de mobiliser les jeunes en faveur des militaires américains en Ouganda.

DESINFORMATION ET RETOMBEES

Nombreux sont ceux qui ont critiqué la vidéo de Invisible Children, son simplisme et son dessein manipulateur. Je maintiens que c’est une erreur de voir là du simplisme. C’est une tentative délibérée de désinformation. Dans l’introduction, j’avais défini la désinformation et je le répète ici : " une information qui paraît véridique, pertinente et basée sur des faits non biaisés mais qui ont été concoctés afin d’induire le récipiendaire en erreur afin d’obtenir d’atteindre des objectifs pécuniaires, militaires, politiques ou religieux frauduleux".

D’aucuns ont appelé le gouvernement américain à mettre un terme à sa relation avec le gouvernement de Museweni. Toutefois, je veux ajouter que la guerre psychologique contre la jeunesse prendra fin seulement lorsqu’un mouvement de résistance se développera qui dénoncera les différents réseaux et strates de la culture américaine d’armement. Peu importe la quantité de désinformation, rien ne peut maintenant cacher le complet gaspillage de vie en Afghanistan. Réduire un Coran en cendres, un soldat qui se livre au saccage et les atrocités commises par les militaires américains les ont à ce point discrédités qu’aucun flashpublic ne pourra réparer ce dommage. Nombreux sont ceux qui, à juste titre, affirment que les militaires américains sont en train d’accumuler massivement des armes afin de justifier un déploiement de troupes plus conséquent en Afrique. AFRICOM a été déployé afin de défendre les multinationales américaines de l’énergie et les planificateurs du futur ont écrit sur la nécessité pour les Américains de défendre leurs intérêts en Afrique. Les Africains savent que ces intérêts n’incluent pas la santé, la sécurité des Africains, pauvres et exploités.

La vigilance du mouvement pour la paix a contraint le gouvernement américain et l’administration Obama) avoir recours à des "opérations spéciales" clandestines lors de l’intervention en Libye. Mais ces forces clandestines et les forces militaires privées employées par les compagnies pétrolières ne peuvent émousser la nouvelle vague de révolutions en Afrique. Le Centre for Strategic and International Studies s’est trahi lorsqu’il a convié une discussion sur la révolte des jeunes. Ces centres stratégiques sont intégrés dans les mêmes institutions qui profitent de la guerre. Avec l’apparition de soulèvements en Afrique et la naissance de mouvements globaux pour le changement, l’initiative des Invisible Children est une tentative de mettre un frein à la radicalisation de la jeunesse. C’est un effort pour émousser les sentiments anti-guerre croissants et de plus en plus profonds de la société. Dans ce climat, projeter des images de suprématie blanche et sauver des vies africaines avaient pour but de rassembler les énergies des multitudes.

Cet effort a échoué !

Face à cet échec, Jason Russell a expliqué son état d’esprit et celui des auteurs de Invisible Children. Il a souffert d’une dépression et été hospitalisé en milieu psychiatrique. Cette dépression démontre totalement le fait que Kony2012 a été une campagne perturbante orchestrée par un meneur perturbé.

Alors que nous écrivons ces lignes, de nombreux citoyens soucieux se débattent dans le climat militariste qui a inspiré le meurtre du jeune Afro-américain, Trayvon Martin. C’est l’état d’esprit militariste qui a permis la déferlante de propagande militaire comme les Invisible Children qui inspire ce climat de violence et conduit à des tueries aux Etats-Unis, comme au-delà des frontières. Je ne peux terminer ce propos sans faire appel à tout un chacun qui lit ces lignes pour qu’il signe la pétition qu’on trouvera sur Change.org. C’est une pétition qui veut garantir que le meurtrier de Trayvon Martin soit arrêté et inculpé pour le meurtre de ce jeune de 17 ans, tué le 26 février alors qu’il se rendait dans la maison de membres de sa famille après avoir passé dans un magasin pour y acheter des friandises (Ndlr : cette inculpation a eu lieu le 12 avril). Les Etats-Unis ont justifié leur intervention en Irak comme étant une guerre "préventive". Le meurtrier de Trayvon Martin a avancé les mêmes arguments. Qu’il a agi préventivement dans une situation d’autodéfense.

Les 12 célébrités et les 12 officiels qui étaient visés par Invisible Children peuvent maintenant clarifier leur position quant à l’état d’esprit violent qui a englouti les Africains chez eux et ailleurs. Beaucoup sont ceux qui ont été séduits par les campagnes des militaires américains. Maintenant les forces progressistes pour la paix sont appelées à développer un nouveau genre d’histoire et de jeux vidéo qui peuvent contribuer à guérir les humains. Ainsi, il y aura un mouvement global qui demandera le démantèlement de l’US Africa Command (AFRICOM) et une autre force qui canalise les énergies de la jeunesse et l’éloigne du contrôle des esprits et des messages subliminaux.


* Horace Campbell est professeur à l’université de Syracuse, dans le département de African American Studies and Political Sciences. Son est texte a été traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger

Source : http://www.pambazuka.org