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L’ascension dérisoire de l’Afrique et ce soulèvement qui tarde

D 10 janvier 2013     H 05:50     A BOND Patrick     C 0 messages


Soit :

1) L’Afrique doit son décollage à divers accélérateurs, presque tous externes, qui ont agi au cours de ces dix dernières années. A savoir :
 des milliards de dollars d’aide, particulièrement pour combattre le Vih/sida et le paludisme,
 des dizaines milliards de dollars pour l’annulation de la dette,
 un intérêt concurrentiel pour les ressources naturelles africaines, avec la Chine en tête,
 la prolifération rapide du téléphone mobile avec quelques millions en l’an 2000 à plus de 750 millions aujourd’hui
 Les intérêts étrangers pour l’Afrique de plus en plus dominés par le commerce, avec des investissements qui ont dépassé l’aide en 2006 et en représentent maintenant le double.

Ou :

2- L’Afrique doit son déclin économique (plus de 6% du Pib par année, si l’on prend on compte l’extraction des ressources non renouvelables) à une variété d’accélérateurs, presque tous externes, qui ont sévi au cours des siècles précédents au cours desquels l’esclavage, le colonialisme et le néocolonialisme ont enfermé le continent dans le sous-développement dont plusieurs critères - parmi lesquels le changement climatique - ont été exacerbés ces dernières années. A savoir :

 Une aide au développement stagnante (environ 60% de celle-ci sont virtuelles de toute façon) pour la plupart des pays africains hormis 14 "Etats fragiles". Avec Washington comme chef de file pour davantage de coupes sombres dans le financement des programmes contre le Vih/sida et le paludisme ;
 Des dizaines de milliards d’annulation de la dette (dont la majeure partie était de tout façon non remboursable pour avoir été des "dettes odieuses" contractées par des dictateurs) en 2005. Et immédiatement dans la foulée, une pressurisation des ministères des Finances aux bas revenus, qui a causé une augmentation drastique du niveau de remboursement de la dette (entre 5 et 8% des revenus d’exportation)
 Concomitant, le pillage des ressources naturelles de l’Afrique mené par la Chine et l’Occident, conduit à un effondrement de la richesse en pétrole et en minerais (calculé comme "de l’épargne nette ajustée" pour intégrer le dépouillement en ressource),
 La prolifération rapide des téléphones mobiles qui, en raison de leur coût élevé et la maigre connexion à Internet, a peu contribué à combler le fossé digital.
 Les banques dominent de plus en plus les intérêts étrangers en Afrique, pendant que les désinvestissements des classes dirigeantes au profit des marchés financiers occidentaux et orientaux continuent de surpasser l’aide et les investissements. La fuite des capitaux du continent se monte à 1,4 trillions de dollars, selon les estimations, aussi bien à partir de l’Afrique subsaharienne que de l’Afrique du Nord, entre 1970 – 2010

L’AFRIQUE EST LA PERDANTE

De trois principaux articles de Time Magazine du 3 décembre proviennent la première erreur (tout ce qui manque, c’est la louange constamment évoquée à la vaste nouvelle "classe moyenne" en Afrique, quand bien même il ne s’agit que d’un groupe minuscule).

Les biais de l’auteur Alex Perry sont excessifs. En 2010, entonne-t-iln "le Congo indépendant a donné au monde Mobutu Sese Seko qui, pendant 32 ans, a paupérisé sa population pendant qu’il voyageait de par le monde dans un Concorde spécialement affrété".

Rebutée, Julie Hollar de Fairness & Accuracy in Reporting écirt : "Si vous allez accusé le Congo de tout ce qui ne va pas en Afrique vous feriez bien d’accorder le crédit à qui de droit. Le Congo indépendant n’a pas donné Mobutu au monde. Ce cadeau-là est dû aux Etats-Unis et à la Belgique qui ont soutenu la destitution et l’assassinat de Patrice Lumumba démocratiquement élu et ont contribué à maintenir l’horreur de ce qui a été Mobutu pendant les décennies suivantes".

Réponse de Perry, sans ironie : "L’idée que les Etats-Unis ont créé Mobutu et l’ont maintenu au pouvoir rabaisse les Africains. C’est typique du genre de racisme qui afflige les analyses sur l’Afrique". C’était deux ans avant que Perry n’écrive un autre article pour le Time sur la Rd Congo, "Reviens colonialisme, tout est pardonné" (La diabolisation de Lumumba, orchestrée juste avant son assassinat, par Time - qui collabore étroitement avec la CIA- est rapportée avec enthousiasme par Jonathan Schwarz)

Lisant Perry ou même le rapport du DailyMaverick du mois dernier à l’International Institute of Finance (IIF), basé à Washington, concernant la croissance en Afrique (It’s the real thing), on ne soupçonnerait pas le sous-continent de perdre 6% net du revenu brut national de notre continent chaque année en raison de la malédiction des ressources. Parce que nous perdons si nous prenons en compte le calibrage du Produit national brutn qui mesure la matière première extraite du sol africain, non pas comme un crédit unique mais bien comme un débit. Le déclin du "capital naturel" est là parce que le pétrole et les minerais ne sont pas renouvelables

Le rapport de la Banque Mondiale 2011, The Changing Wealth of Nations - dont proviennent les chiffres ici présentés - est plutôt conservateur dans ses calculs de la déplétion des ressources. Il exclut plusieurs minerais importants et ignore la fraude fiscale et les prix "arrangés" associés au capital transnational. Ces problèmes ont été documentés par ma collègue Khadija Sharife dans "Tax us if you can" et par Leonce Ndikumana et James Boyce dans diverses études concernant la fuite des capitaux et qui sont d’ un intérêt certain comme, par exemple, le livre récent sur "Africa’s odious debts".

Selon The Changing Wealth of Nations, même "l’épargne nette ajustée" de l’Afrique du Sud - qui consiste à corriger le revenu en soustrayant la valeur des minerais extraits et qui ne seront jamais plus disponibles pour les générations futures - était négative de – 2150 rands par personne en 2005. Un chiffre qui a sans doute encore empiré dans l’intervalle. Par contre, la richesse basée sur des ressources de pays comme le Canada ou l’Australie a explosé parce que l’extraction est largement le fait de compagnies du pays qui réinvestissent et rendent le profit aux actionnaires locaux. La majeure partie des compagnies extractives qui opèrent ici envoient leurs profits à Londres, New York, Melbourne et Toronto.

Dans la plupart des rapports optimistes concernant l’Afrique, les informations sur le rôle de ces firmes - qu’elle soient occidentales ou proviennent des pays du Brics - dans la malédiction des ressources sont rares, bien que Perry fasse mention de Marikana comme étant un indicateur de capitalisme clientéliste en Afrique du Sud. Pourtant ces auteurs professent des idéologies orientées vers l’exportation, centrées sur le pétrole et les minerais et alimentées par la finance. Time n’est pas une exception (peut-être pour des raisons publicitaires). Pour illustrer d’autres citations parlantes, Perry se réfère à l’inimitable Bob Geldof :

"L’Afrique est au milieu d’une transition et au cours des quelques prochaines décennies des centaines de millions d’Africains émergeront de la pauvreté tout comme des centaines de millions d’Asiatiques s’en sont sortis au cours de ces dernières décennies". L’évolution de Bob Geldorf, d’organisateur de Live Aid à celui de fondateur d’un fonds de 200 millions de dollars focalisé sur l’Afrique, est emblématique de la transformation. "Ceci pourrait être le siècle de l’Afrique" a-t-il dit. Ou encore : "Il y a un nouveau Great Game qui se joue en Afrique" (Le Great Game en référence à Kipling qui désignait ainsi l’espionnage qui avait cours dans une lutte pour la suprématie en Asie centrale, entre les deux grand empires que furent la Grande Bretagne et la Russie du Tzar au 19ème siècle. ndlt) "Pourtant une bonne partie de l’Occident ignore ce géant géostratégique".

Ceci va inévitablement changer. Le bloc Rovuma 1, offshore du Mozambique, contient des réserves de gaz plus importantes que celles de la Libye. Selon des estimations préliminaires, la Somalie aurait aussi davantage de pétrole que le Koweït. Le continent possède 60% des terres arables non utilisées dans le monde. Selon les termes de Geldof, "à la fin nous devrons tous aller en Afrique. Ils ont ce dont nous avons besoin". Et c’est dans cette seconde ruée vers l’Afrique que résident les meilleurs espoirs du continent. Lors de la première ruée sur l’Afrique - selon le terme des historiens pour désigner la période située entre 1870 et 1900 - il y a eu le découpage impérialiste par les Européens, mais la seconde devrait faire de l’Afrique la grande gagnante.

UN "SIECLE AFRICAIN" ?

Il est fort probable que l’Afrique sera la grande perdante du découpage des terres, de l’exploitation des minerais et hydrocarbures par les pays sub-impérialistes des Brics. Plus probable encore, la conférence de Durban en mars 2013 et les sommets qui suivront ressembleront, sur le plan économique, aux accords de Berlin de 1885. "Ils ont ce dont nous avons besoin" résume tout. Ce débat - que j’ai amorcé il y environ deux ans avec l’économiste pour l’Afrique de la Banque Mondiale, à la pointe du néolibéralisme, Shanta Davarajan - est crucial pour déterminer si le continent va perdre ou gagner à partir d’aujourd’hui.

Avec le changement climatique qui représente une augmentation de 2°C, le Panel Intergouvernemental sur le changement climatique estime que la perte des revenus agricoles en Afrique sera de 90% d’ici à 2100. Le mois dernier, même le président de Banque Mondiale, Jim Yong Kim, a exprimé sa préoccupation devant la perspective d’une augmentation de la température de 4°C , "ce que les scientifiques sont à peu près unanimes à prédire pour la fin du siècle, à moins de changements sérieux de politique" (y compris sa propre institution, principal bailleur de fond pour les énergies fossiles, qui semble vouloir persister dans cette voie). Déjà, 400 000 personnes meurent chaque année du fait du changement climatique et Christian Aid estime que 185 millions d’Africains perdront la vie au cours de ce siècle. Comme le démontre Doha Cop18 et Durban Cop17, ainsi que toutes les autres conférences sur le climat de Washington, Bruxelles, Beijing, Pretoria, personne ne s’en soucie. Ni Perry ni le Iif ne mentionne le changement climatique, même en passant.

LE PILLAGE DE L’AFRIQUE SE POURSUIT

Il y aurait encore beaucoup à dire sur la "la dette écologique" des multinationales occidentales et orientales à l’égard de l’Afrique (ainsi que d’autres transferts de valeurs non rémunérés), sur l’intégration commerciale et financière excessive dans une économie mondiale volatile, sur le soutien des dictateurs africains et des élites parasites par Barack Obama et d’autres classes dirigeantes occidentales et orientales, voire tant d’autres processus de développement extrêmement inégaux et combinés qui contribuent au pillage de l’Afrique

Mais pour ne pas sombrer dans le désespoir, il est crucial de se souvenir des manifestations croissantes de soulèvement en Afrique, de l’Egypte à la Tunisie, du Sénégal au Nigeria, en passant par le Kenya et les militants et les travailleurs pauvres en Afrique australe. Les meilleures informations concernant les luttes du continent se trouvent dans Pambazuka mais il y aussi d’autres sources. Se basant sur des données récoltées avant Marikana, le rapport 2012-2013 "World Competitiveness" publié par le Forum Economique de Davos, a attribué la médaille d’or aux travailleurs d’Afrique du Sud pour la lutte des classes, contre 143 compétiteurs, une amélioration fulgurante comparée à l’évaluation de 2011-2012 qui mettait les travailleurs sud africains au 7ème rang des plus combatifs. C’est l’intensité des critiques du statu quo politique et économique - qui s’élargiront et s’approfondiront peut-être bientôt s’ils sont rejoints par des comités de grève qui fusionnent avec les communautés et les écologistes, afin de transcender les mythiques manifestations du popcorn de l’Afrique du Sud - qui sont la seule source d’espoir pour une ascension durable de la population très opprimée d’un continent.

Source : http://www.pambazuka.org

** Patrick Bond dirige l’université de KwaZulu Natal Centre for Civil Society – Texte traduit de l’anglais par Elisabeth Nyffenegger