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L’imaginaire occidental et l’invention du sauvage

D 31 août 2012     H 05:50     A Mariam Seri Sidibe     C 0 messages


L’exposition « Exhibitions » met en lumière l’histoire
d’hommes, de femmes et d’enfants, venus d’Afrique,
d’Asie et d’Océanie ou d’Amérique, exhibés dans des
foires, des cirques, des revues de cabarets ou de zoos
humains. Au moyen d’une scénographie pédagogique,
elle place le visiteur face à ses propres préjugés sur
l’« Autre ». Le titre, choquant en soi, montre bien le
rapport malsain qui a été établi entre les peuples
colonisés et les « colonisateurs ».

Les racines du mal remontent au XVe siècle. C’est le 8 janvier
1454 que l’Église, dans la bulle papale de Nicolas V, officialisera la
première traite négrière organisée par les Portugais entre le golfe
de Guinée et l’île de Sao Tomé. Au même moment, les
expéditions maritimes transatlantiques sont lancées en quête de
nouvelles routes maritimes. En partance pour l’Asie, Colomb,
mettra le pied aux Antilles croyant être en Inde. Ainsi les Arawak
et Karib seront dénommés « Indiens », puis « Amérindiens ».
Cette période verra l’exploitation et le génocide des Amérindiens
et le début de la traite négrière.

L’Église sera également l’institution qui partagera le monde en
deux. Le traité de Tordesillas, 1494, attribuera au Portugal
l’Afrique, l’Asie et le futur Brésil, et à l’Espagne le reste de
l’Amérique.

C’est à cette époque que l’on va inventer le sauvage qu’il va
falloir civiliser aux fins de le sortir de sa condition inhumaine.
Ainsi, pour ce qui concerne les Noirs, le théologien Bellon de
Saint-Quentin, spécialiste des textes bibliques réinventant le
mythe de Cham, ancêtre de Koch, verra dans la malédiction de
Cham par Noé, son père, la justification de l’esclavage des Noirs
d’Afrique. Ainsi donc naîtra le mythe du Noir sauvage dont le
corps sera l’objet de toutes les exploitations et de tous les
fantasmes qui marqueront l’imaginaire occidental.

Bien sûr les intellectuels ne tarderont pas à s’emparer d’un tel
sujet de prédilection. La controverse de Valladolid (1550-1551)
opposera le prêtre Sepúlveda pour qui réduire les Indiens et les
Noirs en servitude est normal, puisqu’ils croient en l’ordre naturel
du monde au dominicain Las Casas qui limite le pouvoir de
l’Église au domaine du spirituel et rejette l’idée de barbarie
intrinsèque. Toutefois l’ecclésiastique justifiera l’esclavage des
Noirs car « plus résistants, dociles et naturellement créer pour
travailler ».

Avec l’expansion de l’empire colonial, le processus de mélange
des races est inéluctable.
C’est en 1853 que le Bordelais Joseph de Gobineau publiera son
Essai sur l’inégalité des races humaines. En six livres il s’interroge
sur la différence hiérarchique entre les races. Selon lui, seules les
nations blanches ont une histoire, une civilisation. Il leur
appartient donc de soumettre les nations non blanches et de les
maintenir sous leur joug. Évidemment les pharaons « kémites »,
à l’origine de la première civilisation égyptienne bien avant
l’émergence de la civilisation hellénique, seront ignorés et
l’histoire falsifiée au profit de la civilisation européenne. Le savant
cheikh Anta Diop 1, soutiendra dans son oeuvre l’antériorité des
civilisations nègres.

Durant toute la période esclavagiste et coloniale, les tenants de la
pensée occidentale n’auront de cesse de débattre de
l’appartenance du non-Blanc à l’espèce humaine. On assistera à
des mesures des crânes dont le volume déterminera le degré
d’intelligence d’une catégorie par rapport à une autre. Ainsi,
commenceront les expositions humaines, dont l’un des fleurons
sera la Vénus hottentote, Saartjie Baartman, livrée de son vivant
à toutes les horreurs possibles (démonstrations et viols) et
disséquée après sa mort, aux fins d’observer son vagin. Elle
restera exposée au Musée de l’Homme de Paris, jusqu’en 1974.
Ses restes seront ensuite archivés jusqu’en 1998 quand l’Afrique
du Sud obtiendra leur retour en terre africaine. La dernière
exposition coloniale aura lieu en 1931, et il faudra démontrer les
« bienfaits de l’oeuvre civilisatrice de l’Empire sur les peuples
inférieurs ». On montrera ainsi à l’humble visiteur que, malgré sa
propre misère, il sera toujours supérieur au reste de l’humanité.

La photographie, la littérature, le théâtre, le cinéma, seront des
vecteurs de cet imaginaire. Les productions cinématographiques
américaines, françaises mais aussi allemandes, véhiculeront les
aventures coloniales des Blancs dans une Afrique vierge (jungle
pour décors) ou les seuls Noirs présents à l’écran seront les
porteurs qui disparaissent en général au bout de 5 minutes.
Ainsi, depuis l’origine des premières traites négrières jusqu’au
milieu du XXe siècle, tous les supports médiatiques ont été
utilisés aux fins de déshumaniser le non-Blanc. La littérature du
XIXe siècle, fourmille d’indice sur ce sujet. Le fiancé d’Eugénie
Grandet, va faire fortune aux Antilles, sous-entendu grâce à
l’esclavage.

Le grand Victor Hugo, prononcera un discours mémorable au
cours d’un banquet républicain : « l’Afrique prenez-la, prenez-la
comme une vierge ». On notera au passage la misogynie et le
racisme paternaliste du bonhomme, pourtant membre de la
« Société des amis des Noirs », équivalent français de celle créée
par W. Wilberforce. Cette société, à laquelle appartenait
V. Schoelcher, oeuvrait pour une émancipation graduelle des
Noirs, pendant qu’aux Etats-Unis les Africains-Américains
F. Douglas, H. Tubmann et E. Dubois siégeait au Sénat pour le
premier, organisait l’évasion des esclaves pour le deuxième,
oeuvrait pour l’éducation des siens, pour le dernier.
En France, ce sera Antênor Firmin 2, le premier anthropologue
afro-haïtien qui démontrera le rôle de la race noire dans l’histoire
de la civilisation.

Toutefois, la sauvagerie ou l’infantilisation du Noir a la peau
dure. Les marques publicitaires ont bien compris le créneau
depuis 1904. Son image est utilisée à toutes les sauces pour des
savons blanchissants, du chocolat, les produits laitiers (qui
évoque sa puissance sexuelle supposée) et dernièrement, une
automobile, ou l’on voit un Noir dansant avec envie autour d’une
voiture apparemment vide, dont surgit une famille blanche qui
fait fuir l’intrus. Les associations humanitaires internationales
jouent également sur cette sensibilité. Leurs campagnes
françaises, mettent en scène des enfants, hommes ou femmes
noires, victimes de guerres, de la faim ou de maladie
« moyenâgeuse ». Sans nier la réalité de ces situations en
Afrique, pourquoi ces campagnes ne sont pas en direction des
pays de l’Est ou actuellement la lèpre reparaît ? Simplement
parce qu’elles jouent sur deux faits : Premièrement la
culpabilisation des Occidentaux vis-à-vis de la colonisation.
Deuxièmement, le Noir, sera toujours cet éternel assisté qu’on
doit éternellement aider. C’est l’imagerie coloniale qui persiste
sous d’autres formes.

Les récents propos de Guerlain, les affirmations sur l’origine des
délinquants, des footballeurs-voyous, les attaques incessantes
d’une partie de la gente politique à l’encontre des immigrés,
démontrent que l’autre sera toujours notre « sauvage ». Que
nous sommes toujours le sauvage de quelqu’un.

Avec Afriques en lutte, construisons un support de réponse, de
connaissance des luttes des peuples africains. C’est aussi par ce
biais-là que nous construirons des rapports d’amitié et de
solidarité entre les peuples et que nous déconstruirons les
« imaginaires coloniaux ».

Mariam SE RI SIDIBE

(1) Cheikh Anta Diop, égyptologue sénégalais, Antériorité
des civilisations nègres : mythe ou réalité, Présence
Africaine, Paris, 1967

(2) Antenor Firmin, anthropologue (1850-1910), De
l’égalité des races. Anthropologie positive, Paris,
F. Pichon, 1885