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La dette odieuse de l’Afrique

D 30 mai 2012     H 05:00     A Glenn Ashton     C 0 messages


Léonce Ndikumana s’emploie à dissiper deux « mythes », à savoir que l’Afrique coûterait cher aux pays développés, et que la corruption ferait partie de son ADN.

En épluchant les données officielles, cet économiste de l’Université du Massachusetts à Amherst a calculé que des capitaux totalisant 735 milliards ont fui ce continent entre 1970 et 2008 (944 milliards en comptant les intérêts), soit plus que l’aide au développement consentie à cette région pendant la même période.

Le cas du Zaïre (l’actuelle République démocratique du Congo) sous le dictateur Mobutu Sese Seko est particulièrement éloquent. Pendant la période susmentionnée, 30 milliards sont « partis dans la nature », se transformant, entre autres, en villas sur la Côte d’Azur, a précisé M. Ndikumana lors d’une conférence à l’Université de Montréal.

Des comptes privés

La question est de savoir : « Qui doit à qui ? », s’est demandé l’ancien haut fonctionnaire de la Banque africaine de développement. Alors que les dettes souveraines sont par définition publiques, les capitaux qui ont fui se retrouvent dans des comptes privés, très souvent dans les banques des pays prêteurs, a-t-il expliqué. Puisque ces actifs africains qui dorment à l’étranger dépassent les dettes du continent, M. Ndikumana conclut que ce dernier est en réalité un créancier net de l’Occident, même si les populations y sont officiellement criblées de dettes.

L’an dernier, Léonce Ndikumana a écrit avec son collègue James Boyce un ouvrage intitulé « Africa’s Odious Debts ». L’économiste a repris une définition formulée en 1927 par le juriste Alexandre Sack : une dette peut être considérée « odieuse » si elle a été contractée par un gouvernement sans que le peuple y ait consenti, si ce dernier n’en a pas bénéficié et si le prêteur savait ou aurait dû savoir ce qui précède.

La fuite des capitaux prend la forme, soit de détournements purs et simples, soit de manipulations des transactions internationales, notamment des chiffres d’exportation. M. Ndikumana a noté que les pays les plus touchés par le phénomène sont justement ceux qui exportent leurs abondantes ressources minières ou pétrolières.

DES PRIMES AUX PRETS

Le professeur d’économie a rappelé qu’en 1982 le FMI savait parfaitement que la Banque centrale du Zaïre et les comptes de Mobutu étaient des vases communicants. Pourquoi les prêts continuent-ils d’affluer vers les pays où se font des transactions illicites ? Léonce Ndikumana répond que les officiers de crédits des banques reçoivent des primes en fonction du volume des prêts, tandis que les gouvernements des pays riches prêtent ou donnent de l’argent pour ouvrir des marchés pour leurs entreprises, tout en indemnisant leurs banques quand elles déclarent des mauvaises créances.

Les dirigeants et les fonctionnaires corrompus des pays emprunteurs reçoivent pour leur part des ristournes, quand ils n’empochent pas tout simplement l’argent qui aurait dû servir à des projets qui ne voient jamais le jour. « Mobutu avait au moins raison sur une chose : il y a toujours un corrupteur et un corrompu », a jugé Léonce Ndikumana.

« La dette odieuse est un problème de développement, pas seulement un problème financier », a ajouté ce dernier, précisant que le fardeau de la dette empêche les États de combattre efficacement la mortalité infantile et d’offrir aux citoyens les services de base. Pour le professeur d’économie, il faut répudier les « dettes odieuses » et exiger plus de transparence en matière de prêts aux pays en développement.

* Sylvie Perras est Agente de programme à Forum Afrique Canada


Source : 
http://www.pambazuka.org