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La politique africaine française sous influence militaire ?

Des souliers africains sur les pavés des Champs Elysées : un 14 juillet symbolique !

D 15 juillet 2013     H 05:13     A Régis Marzin     C 0 messages


Le 9 juin 2013, François Hollande déclarait devant des militaires français : « J’ai invité également pour ce défilé du 14 juillet des représentants des différentes armées de la MISMA, c’est-à-dire les forces africaines qui étaient avec vous, ainsi que des représentants de l’armée malienne. C’est à travers ce défilé, la preuve de la solidarité entre la France, l’Afrique de l’Ouest, l’Europe et l’Afrique en général. »[1] En dépit des aspects positifs de l’intervention française au Mali, il ne pouvait pas y avoir de symbole plus limpide de la continuité de la politique française dans sa relation avec des régimes dictatoriaux. En invitant, entre autres, l’armée tchadienne, à défiler le 14 juillet à Paris, François Hollande rattache aussi l’intervention militaire à l’historique de la Françafrique de Sarkozy, Chirac et Mitterrand. L’impasse dans laquelle est entrée la politique africaine française quand Laurent Fabius est allé chercher l’aide de l’armée d’une des pires dictatures d’Afrique apparaît au grand jour. L’armée française et l’industrie de l’armement sont les principaux bénéficiaires de la politique africaine du gouvernement socialiste depuis un an. Mais à force de profiter des difficultés de l’exécutif à mettre en œuvre une politique plus cohérente et adaptée aux enjeux globaux africains, l’armée française risque aussi d’être considérée comme la responsable d’un probable futur fiasco politique.

La campagne des élections de 2012 avait mis en évidence une absence de programme de politique étrangère du Parti Socialiste autre que sur l’Europe. L’Afrique n’apparaissait pas comme une priorité, même si des certains socialistes étaient à l’aise sur l’Afrique du Nord. La complexité grandissante dans le continent africain aurait impliqué une plus grande implication, et l’élaboration d’un programme aurait nécessité des propositions politiques, suffisamment nombreuses et concrètes. Avant son arrivé au pouvoir, au regard de ses prises de positions et écrits, le PS paraissait trop peu compétent sur la politique africaine, pour être en position de construire ce type de programme. L’absence de compétence a continué d’apparaître pendant un an de gouvernement socialiste. Le PS a semblé fragile face à des politiciens conservateurs simulant des connaissances surtout utiles pour préserver un système obsolète. Dès lors, cette absence de maîtrise politique laisse planer un doute sur la qualité des décisions : parfois se devine une politique et une stratégie gouvernementale, parfois se révèlent des improvisations inquiétantes. Le conflit malien a poussé le gouvernement à utiliser les ressources des services de l’Etat pour compenser la méconnaissance des politiciens, en particulier des députés PS.

Le discours aux ambassadeurs de François Hollande de fin août 2012 était très en retrait sur des objectifs tels que la démocratie par rapport à celui de Sarkozy en 2011. Certes, ce discours précédent était lui en décalage avec la réalité, mais le recul en 2012 était flagrant. Fabius est assez vite apparu hésitant en dehors du conflit malien et de la gestion des crises en général. La fin du néocolonialisme et le refus du maintien structurel d’une Françafrique auraient nécessité des objectifs plus affinés, des propositions levier de progrès. La diplomatie française s’est concentrée sur les domaines qu’elle maîtrisait, principalement la politique européenne et la gestion des crises, dans le Sahel et en Syrie. L’Afrique subsaharienne en tant qu’ensemble géopolitique plus large s’est retrouvée d’autant plus négligée, alors qu’une grande partie de zone d’influence française s’y trouve. En dehors du Sahel, l’Afrique subsaharienne révèle pour l’instant une diplomatie prisonnière de son passé, sans objectifs affichés, naviguant en fonction des dossiers et des intérêts.

Actuellement, comme l’indique le rapport "Mémorandum de la France sur ses politiques de coopération" de juin 2013[2] dont l’introduction est signée par le Ministre délégué au développement Pascal Canfin, un nouveau discours théorique apparait avec la désignation des ‘Etats fragiles’ : « la France a adopté en 2008 la stratégie ‘Position de la France sur les États fragiles et les situations de fragilité’, dont l’actualisation sera réalisée en 2013 » qui est « en particulier appliquée dans les appuis aux pays pauvres prioritaires ». Les Etats sont considérés comme fragiles selon « une grille d’analyse des fragilités qui permet une approche souple et adaptable à l’évolution des contextes des pays partenaires. Cette grille est construite autour de cinq catégories de fragilité : défaillance de l’État de droit, État impuissant, État illégitime ou non représentatif, économie défaillante, société fragilisée ». Dans le classement, les éléments autour du pouvoir et de la démocratie sont englobés dans un plus grand nombre d’éléments. Cette désignation évite une critique directe des dictateurs. Ce nouveau discours sous-entend qu’une gouvernance mondiale théorique pourrait imposer à des dirigeants de s’amender avant de quitter le pouvoir. Par définition de la dictature, cela ne peut que rarement être le cas.

Parallèlement, disparaît le levier principal de transformation politique qui a consisté à essayer d’aider à imposer des processus électoraux justes et transparents, comme le demandent les démocrates. La rhétorique des Etats fragiles permet d’éviter la fermeté avec des régimes qui ont adopté un vernis démocratique et juridique pour se maintenir. Dans ce cas, très souvent le combat pour les droits humains agit dans les 2 sens, en affaiblissant des dirigeants, mais aussi en ralentissant des processus en permettant à des régimes de louvoyer autour de compromis dilatoires. Une communauté internationale piégée dans des négociations perd souvent sa fonction de tiers arbitre, et a tendance à utiliser les droits humains pour éviter de s’engager.

Une logique post-Françafrique se met en place alors que les relations de la Françafrique persistent, et les dictateurs en profitent. Il apparaît un refus des responsabilités politiques nécessaires pour transformer un système. Le déni de la Françafrique perdure dans la description d’aspects mineurs : à entendre certains, Robert Bourgi, comme héritier de Jacques Foccart, serait à lui seul la Françafrique, et sa mise hors d’état de nuire en signifierait la fin. Les éléments principaux structurels du néocolonialisme français, qui persistent malgré son affaiblissement, sont particulièrement occultés : Franc CFA, et surtout réseau de dictateurs et armée française. Par ailleurs, le néocolonialisme et la Françafrique ont connu des mutations suffisamment rapides pour désorganiser les luttes de la société civile, d’autant plus que le système néocolonial était de moins en moins identifié comme une priorité à condamner. Le réflexe nationaliste de temps de guerre s’est ajouté avec le conflit au Mali, et l’intervention militaire justifiée par des arguments juridiques, a d’abord permis de faire oublier la logique néocoloniale, et d’associer l’image de l’armée française à des valeurs républicaines, pour faire oublier le passé sans corriger l’architecture reliant cette armée aux pouvoirs illégitimes.

Hollande et Ayrault manquaient cruellement d’expérience de gouvernement, et, Hollande a eu du mal à entrer dans son costume de président. La constitution française est critiquable sur le fait qu’elle attribue des fonctions fortes en politique étrangère au président et, malheureusement, les parlementaires n’utilisent pas assez les possibilités pour faire contrepoids. Hollande s’est servi de l’expérience de Fabius, pourtant peu inspiré à son poste. Dans les premiers mois, la communication présidentielle était axée timidement sur la démocratie avec les discours au parlement européen et à Kinshasa, puis les dictateurs se sont succédés à l’Elysée. Les justifications, les allusions aux droits humains et à la démocratie ont diminuées, presque disparues, et le protocole a commencé à ressembler à celui des précédents présidents. En privé, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a justifié l’invitation de l’antipathique Sassou Nguesso par l’obligation de discuter du pétrole. La dérive a atteint un sommet à la remise du prix Houphouët-Boigny à l’Unesco[3]. Inviter Ali Bongo qui n’était pas un président d’Afrique de l’Ouest symbolisait le retour aux vieilles méthodes sans rapport avec le pragmatisme concernant le Sahel.

Le 25 juin 2013, Laurent Fabius, pour l’un de ses premiers grands discours, a choisi une école militaire pour expliquer sa stratégie, l’école Polytechnique, avec un discours pour l’élite de la Nation sans densité et sans surprise [4]. Il y a abordé sa ‘diplomatie économique’. La référence à l’économie serait compréhensible dans le cadre d’une vision politique cohérente plus large, mais, sans objectif étatique associé, la focalisation sur une diplomatie économique au service des entreprises privées fait presque office d’alibi pour cacher l’absence de vision. Avec la politique européenne en appui, c’est d’abord l’emploi et la sauvegarde des entreprises de l’armement qui ressort du bilan d’un an de pouvoir.

Le Parti Socialiste a confié un poste de ministre délégué au développement aux écologistes, en encadrant au maximum des responsabilités peu étendues, il a aussi évité d’entrer en confrontation avec la droite sur la politique étrangère, et a cherché à garder sa caution. Le dernier rapport de la Commission des Affaires Etrangères un jour avant la clôture de la précédente législature, le 6 mars 2012, « Rapport d’information sur la situation sécuritaire dans les pays de la zone sahélienne »[5] donnait le ton avant même que le nouveau parlement ne soit élu : sur les questions militaires, Parti Socialiste et droite prévoyaient de travailler ensemble avec le Sahel comme terrain d’entente. Si le PS a la majorité au parlement, la mise en place des commissions, avec les présidents et vice-présidents et secrétaires redonne une place à la droite conservatrice.

Depuis un an, les affaires militaires ont beaucoup envahi le champ des affaires étrangères, que ce soit à l’Assemblée ou au Ministère des affaires étrangères. Si l’on sait peu de chose sur le MAEE en dehors de quelques confidences recueillies par des journalistes[6], les débats à l’Assemblée sont publics et montrent un fort débordement des logiques militaires dans le champ des affaires étrangères. Le parlement précédent ne parlait que très peu de l’Afrique et celui-ci l’aborde très souvent sous l’angle fourni par le lobby militaire. Les parties régaliennes de l’Etat sont capables de stabilité stratégique et théorique[7], d’une planification à long terme, elles sont moins sensible au changement de gouvernement. Fabius aurait préféré être ministre de la défense. Hollande s’est aussi beaucoup appuyé sur son ministre de la Défense, Jean-Yves le Drian, et Fabius a rapproché le MAEE de la Défense, ce qui n’a pas été sans causer quelques remous chez les diplomates[8].

C’est du côté de l’absence de projet politique et du vide programmatique qu’il faut cependant chercher la raison principale de la progression de la logique militaire. Les militaires étaient en 2012 les mieux placés pour profiter d’un vide intellectuel : ils s’étaient montrés plus discrets les précédentes années, ils arrivaient avec l’idée de justifier plus visiblement leurs nouvelles actions au niveau droits humains et démocratie, comme au niveau qualitatif du maintien de la paix, et ainsi, ils proposaient un discours pour tenter de résoudre médiatiquement les accusations sur la Françafrique. Quelque soit la réalité dans sa complexité, la communication des politiques pourraient se greffer sur une communication autour des activités militaires et cacher une insuffisance plus générale.

Le parlement et le gouvernement se sont attelés fin 2012 début 2013 à la rédaction du ‘Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale’ qui a été publié le 29 avril 2013[9]. Il a été « rédigé par une commission composée de militaires, de parlementaires, et autres experts militaires, sous la tutelle du ministre de la Défense et de ses conseillers »[10]. L’attention a beaucoup porté sur le budget que la guerre du Mali a justifié de ne presque pas baisser : 31 milliards d’euros en 2013 comme 2012, et sur six ans de 2014 à 2019, 179,2 milliards, soit 30 milliards par an. Hollande a annoncé que les effectifs seraient réduits de 34 000 hommes entre 2014 et 2019 pour revenir à environ 250 000 personnes. Le livre blanc identifie le Maghreb, le Sahel, l’Afrique subsaharienne et la Corne de l’Afrique comme « zones d’intérêts prioritaires ». Il précise « L’approche globale dans la gestion des crises extérieures » (p98-100) : « La consolidation d’États fragiles ou le rétablissement de leur stabilité requièrent la mise en œuvre d’un ensemble d’actions complémentaires et cohérentes dans tous les domaines… Une capacité crédible de prévention et de gestion civilo-militaire des crises s’impose dans notre stratégie de défense et de sécurité nationale… La politique de prévention de la France a pour objectif d’éviter l’apparition de foyers de crise, notamment dans notre environnement proche. Elle s’exerce prioritairement en direction des États fragiles, dont la situation a un impact direct sur l’Europe et sur les outre-mer. C’est donc vers ces pays qu’une part substantielle de notre aide au développement doit être dirigée dans le cadre d’une politique globale interministérielle. La coopération de défense et de sécurité, l’assistance opérationnelle à des armées étrangères, ainsi que notre dispositif prépositionné, constituent autant d’outils qui doivent contribuer à la cohérence de notre politique en matière de prévention… »

La gestion des crises prenait déjà beaucoup de place dans les activités du Ministère des affaires étrangères, mais il s’agit aussi maintenant de prévenir les crises qui concernent la défense, avec le risque de diminuer la priorité d’actions sur d’autres types de crises, par exemple électorale, surtout quand les intérêts français sont moins concernés. Ainsi, la prévention des crises permet à la logique militaire de s’imposer dans des domaines plus réservés de la diplomatie, et justifie de ne pas remettre en cause la coopération militaire structurelle, et donc la coopération avec les dictatures, tandis que la rhétorique des Etats fragiles remplace la ‘théorie de la stabilité’.

En plus des justifications de l’intervention, le Mali a offert l’espace de test d’une nouvelle politique. Depuis 2011 et les débuts de révolutions d’Afrique du Nord, les changements géopolitique s’accélèrent, et ils ont donné la possibilité au nouveau président français de rendre visible sa politique. S’il est délicat d’estimer la force ‘terroriste’, la configuration du conflit a mis en valeur les moyens opérationnels de l’armée française. Celle-ci y trouve un bon rôle, sans passif douteux comme en Côte d’Ivoire, sans improvisations désastreuses pour prévenir un scandale de corruption comme en Libye. Dix-neuf ans après le génocide du Rwanda, elle a réussi à se revaloriser. L’orage rwandais s’approche sous forme de procès impossibles à bloquer plus longtemps : affaire de l’avion, des présumés génocidaires en France, des crimes des soldats, et depuis le 25 juin 2013, plainte contre Paul Barril[11]. Un président français ne peut être sans stratégie face au plus grand scandale touchant l’Etat français. Son intérêt est de sauvegarder l’image du mitterrandisme même si les socialistes aussi sont conscients que 2e septennat mitterrandien fut une catastrophe. L’héritage mitterrandien pour Hollande, dont il se serait bien passé, est aussi de sortir l’armée française de l’impasse dans laquelle le précédent président socialiste l’avait mené.

L’alliance de gouvernement du PS avec Europe Ecologie les Verts est fragile. Les écologistes disposent d’un poste de Ministre délégué au développement soumis à la hiérarchie du ministre des affaires étrangères. Le décret d’attributions du Ministre délégué au développement[12] fixe un cadre transparent contrôlable par le ministre de tutelle qui décide de la politique générale avec le président et le premier ministre de manière peu transparente. Les écologistes ont au final peu de possibilité d’influencer la politique étrangère à partir des questions de développement. Des points essentiels ont progressé depuis 1 an, en particulier la transparence des industries extractives, qui a été promue au niveau européen et, suite au vote du parlement européen du 12 juin 2013, aura des conséquences sur le marché pétrolier africain[13]. Cependant Pascal Canfin sert de faire-valoir dans le domaine de la solidarité internationale et dans la modernisation de la politique sur des aspects secondaires, quand de manière plus générale la politique menée par le gouvernement est moins valorisable. En ce qui concerne l’Afrique, le réformisme pragmatique autour de réformes levier serait plus efficace s’il s’effectuait sur une base plus large, et un risque de dépolitisation naît du décalage entre la volonté affiché et les réalités africaines. La nécessité d’agir en faveur de la démocratie n’apparait dans l’organisation du gouvernement français. L’équilibre entre 3 domaines principaux Pouvoir-démocratie, Développement, et Sécurité n’est pas assuré : personne n’est responsable d’une réforme de la politique française sur les questions de pouvoir et démocratie, qui serait nécessaire pour en finir avec 50 ans de néocolonialisme. L’organisation du MAEE visible dans la présentation de son site internet privilégie la gestion des crises[14]. La diplomatie a gardé des fonctions qui apparaissent peu, la transparence progresse mais juste quand cela arrange.

Le second axe du bilan d’un an sur l’Afrique de Fabius et Hollande avec la politique de défense est celui de la politique européenne, qui intègre des éléments de stratégie sur la politique africaine. Des objectifs sont de construire une politique étrangère commune, et de relancer la construction européenne autrement que dans une dimension économique. L’enjeu principal sur 2013 est là-aussi devenu la politique de défense. La politique étrangère européenne souffre d’absence de définition, de manque de réactivité, elle emprunte un circuit de décisions démocratiques complexe lent. La politique africaine européenne a longtemps été menée par les français selon leurs intérêts, ce qui a poussé au désengagement d’autres Etats. Comme en France, en l’absence de débat politique général élaboré sur une politique européenne en Afrique, le domaine militaire a l’avantage de profiter de la force des services des Etats membres et des justifications de modernisation déjà élaborées[15]. Depuis 2003, l’expérience en gestion de crise s’est accumulée et la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), malgré toutes les réticences des Etats membres, a déjà avancé. Le domaine militaire permet d’aller vers une construction européenne progressive en utilisant des terrains de responsabilité partagée de test, en évitant des échecs bloquants. Le Sahel, la corne de l’Afrique, dans une moindre mesure le Congo Kinshasa servent d’espace de rapprochement des armées européennes. Le transport, la surveillance maritime, la formation des armées africaines servent d’exercices communs.

Le début des révolutions d’Afrique du Nord en 2011 a failli lancer une dynamique européenne comme le souhaitait le parlement mais tout a disparu en 2012[16]. Les regards auraient pu se porter vers l’Afrique Subsaharienne et les populations désireuses de se débarrasser de dictateurs, mais ils se sont fixés sur la Libye et la Syrie. Le Service européen pour l’action extérieure (SEAE) et le poste de haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité, occupé par l’Anglaise Catherine Ashton, ont été créé par le traité de Lisbonne de 2009 et sont entrés en service fin 2010. Depuis le fonctionnement s’est progressivement adapté et en particulier les attributions de la Commission Européenne ont diminué. Hors, la Commission Européenne s’était engagée dans le soutien des processus électoraux par les Missions d’Observations Electorales, au rôle important mais ambigu comme cela est apparu au Togo en 2010. Le commissaire au développement Andris Piegals est devenu de moins en moins audible sur la démocratie. La guerre au Mali permet le retour sur scène de Louis Michel, l’homme des élections approximatives de sortie de crise, tant décrié au Togo. En 2013, les lobbyistes français ont mis en exergue le débat sur l’Europe de la défense. Depuis novembre 2012 et pour 3 ans, le général français Patrick de Rousiers, est président du Comité militaire de l’Union européenne (CMUE), « organe militaire suprême composé des chefs des états-majors des armées mis en place au sein du Conseil de l’Union européenne,… enceinte de consultation et de coopération militaire entre les États membres de l’UE dans le domaine de la prévention des conflits et de la gestion des crises. »[17]

Si l’influence de l’armée française sur le bilan à 1 an du gouvernement est si visible, c’est aussi en raison de l’absence de soutien à la démocratie, alors que le continent africain est à une période charnière pour se démocratiser. Le défilé des dictateurs à Paris ne s’est pas accompagné d’un soutien des démocrates. Il se devine une sorte de peur d’aller contre un réseau solidaire de dictateurs en s’attaquant à l’un d’entre eux. Le résultat s’est fait directement sentir dans les répressions des opposants au moment de l’intervention militaire au Mali réalisée avec le soutiens des dirigeants africains quelque soit la nature des régimes. Au Togo, l’opposition organisée autour du Collectif Sauvons le Togo a failli être écrasée par la répression féroce au début de la guerre. A Djibouti, où la présence française est surtout militaire, l’ambassadeur de France a servi de caution à l’inversion du résultat des législatives, puis l’indifférence a tranquillement pris le dessus alors que Guelleh installait la répression dans la durée. Au Tchad, les démocrates pourront longtemps vouer aux gémonies les dirigeants français qui ont fait appel au sultan du Tchad : le peu d’opposants encore debout a subi au retour de l’armée tchadienne du Mali une vague de répression, délibérément choquante. Idriss Déby prouve à qui en doutait qu’il profite sans vergogne et au maximum des faveurs françaises, alors qu’il est toujours entouré des militaires français de l’opération Epervier.

A l’armée française pour garder son influence, il ne reste que l’Afrique. Cette armée ignore la nature des régimes avec laquelle elle collabore, à cause de 50 ans de néocolonialisme, et, ainsi, est républicaine en France seulement. La coopération militaire structurelle dans les pays dictatoriaux n’est pas justifiable moralement, et, il devient nécessaire de trouver des justifications plus complexes, autour de la stabilité, du terrorisme, de la sécurité de l’Europe, qui en réalité ne justifie qu’une partie des actions et de la présence. L’arrêt de la Françafrique signifie l’arrêt du soutien aux régimes dictatoriaux, donc l’arrêt des coopérations qui aident les dirigeants illégitimes à se maintenir. Cela aurait aussi un poids préventif pour éviter des crises, mais, l’Etat français est d’abord bloqué dans un cercle vicieux à vouloir garder son armée en Afrique, pour la conserver au même niveau de force et de budget. La présence quotidienne au coté des dirigeants issus du néocolonialisme signifie l’acceptation d’une impunité systémique et de secrets réciproques. Pour une question d’image, les politiciens n’osent pas parler franchement. Le tabou de la coopération militaire dans les dictatures est si fort en France, qu’il a du mal à se fissurer par des scandales. Pour Amésys en Libye, il a fallu la mort de Khadafi et l’opprobre jeté sur les dictateurs morts, celle qui disculpe les vivants, pour que le scandale éclate. Donner une nouvelle direction à une coopération militaire en la faisant dépendre du respect de la démocratie et des droits humains demanderait une fermeté et une maîtrise politique que ne semble pas posséder l’exécutif français actuel. Les évolutions se font donc lentement, dans des contradictions, sans transparence, sans tenir compte des besoins des populations africaines.

Des risques à tenir des positions fermes face aux régimes en voie d’obsolescence, aux abois, capable de réactions de défense violentes existent, mais le statu quo est aussi source d’instabilité. Il continue par ailleurs de générer un rejet de la présence française. Devant une situation bloquée et délicate, d’autres options de réformes sont-elles possibles ? Des mécanismes transitionnels pour transformer l’armée française et l’orienter vers un accompagnement de démocratisation sont-ils souhaitables ? Des réformes sont sans doute en effet envisageables, au niveau de la formation des armées africaines, de la lutte contre la corruption et des trafics qui touchent profondément certaines armées, comme en RDC où les soldats ne sont pas toujours payés[18], au Mali où les chefs militaires sont occupés par les trafics, au Togo où les chefs sont aussi des hommes d’affaires liés au régime. A partir de 2010, et d’un des derniers rares coups d’état positif, celui du Niger, la stratégie internationale a heureusement consisté à condamner au maximum les coups d’Etats. Cependant, une grande partie des armées africaines restent des armées de maintien au pouvoir, autour de gardes présidentielles pléthorique, et d’une infanterie sous-équipée, et assurent souvent le maintien de l’ordre à la place de la police. La logique de formation au maintien de la paix de ses armées bloque encore sur la nature et la structure des Etats. Les menaces de coup d’état persistent. Le renforcement des armées dans ce cadre n’est pas encore prévu pour éviter le renforcement de régime non démocratique. Des mesures concrètes seraient nécessaires selon l’exemple actuel du Congo où l’Europe tente d’aider l’armée à organiser la paye des soldats.

Si une approche globale est appliquée autour des gestions de crises pour renforcer des Etats vers la démocratie et les droits humains, celle-ci n’est pas appliquée aux Etats stabilisés sous forme de régime dictatoriaux. Le pire, et le summum de l’absurdité est atteint au Tchad en 2013 : le sultan rétrograde que voulait chasser Sarkozy en 2008, est maintenant soutenu par Hollande, en raison de la capacité de son armée à œuvrer dans des opérations de maintien de la paix. Cette aberration révèle le déséquilibre de la politique française actuellement tourné vers les options militaires. A contrario, la principale difficulté du soutien à la démocratie serait dans la légitimité de vouloir juger et agir de l’extérieur en mettant en cause la souveraineté. Les sociétés civiles nationales peuvent difficilement investir les champs militaires dangereux, et même les partis politiques ne s’y risquent pas. Des actions stratégiques non transparentes, non issues d’un processus démocratique se confrontent aux acteurs illégitimes en place. Sans doute, un volontarisme international et une transparence globale sont nécessaires entrainant des négociations nationales, et ce volontarisme serait plus efficace s’il était affirmé au niveau européen. Les différentes armées européennes participantes seraient concernées par les choix et la complexité décisionnelle risquerait d’augmenter la simplification d’une approche globale surtout en l’absence de crise touchant directement les intérêts européens. Dans tous les cas, le lien entre les militaires français et ceux des régimes non démocratiques devraient rapidement être limité pour éviter de nouvelles compromissions qui gâteraient un processus de réforme.

A ce stade, la politique française influencée par son armée est peu assumable. Pendant le conflit malien, un nationalisme de temps de guerre a profité à l’armée française et au président français. Les journalistes ont, pour l’instant, épargné Hollande, fragile sur le plan économique. A partir du moment où il ne va pas trop loin dans le maintien de la Françafrique, les journalistes se contiennent sans doute par peur de favoriser le retour en 2017 d’une régression conservatrice. La préférence va au moins pire. Pour l’instant, le bilan des affaires du précédent quinquennat l’emporte, et cela durera car les enquêtes des journalistes sont pour la plupart corrélées à celles des juges, pour nettoyer les plaies sur des affaires françaises et à l’international sur Sarkozy-Guéant et Khadafi. En toile de fond, continue d’avancer les vieilles affaires de Françafrique pas encore réglées qui touche également le PS : Biens Mal Acquis liés au financement des partis en France, ou génocide du Rwanda.

L’insatisfaction à l’intérieur du PS a augmenté suite à l’affaire des incendies au Togo pendant la guerre au Mali et à la réception de Sassou Nguesso. En privé, le parti, qui avait vu de manière favorable les débuts de révolutions de 2011, et est aussi irrigué par des personnes d’origine africaine, s’est longuement plaint à Hollande de sa politique. Une partie de la base du PS est favorable à l’idée d’en finir avec la Françafrique, et la sensibilité est plus progressiste que ne le sont les décisions du gouvernement. Les élu-e-s locaux rencontrent sur le terrain des électeurs conscients. En outre, le PS a perdu des députés au cours d’élections partielles, et commence à devoir compter sur les écologistes pour rester majoritaire à l’assemblée.

La focalisation sur une dimension militaire de la politique africaine a créé la surprise depuis un an, après plusieurs années de focalisation sur les entreprises privées. Les choix qui ont été faits par le président et le gouvernement place la politique française dans un déséquilibre qui n’est pas stable à plus long terme. Pour les 4 ans à venir, une redéfinition des priorités est sans doute inévitable. La Françafrique vieillissante réapparait sous la forme de son ossature, une présence militaire en Afrique se modernisant. De grandes précautions sont prises pour éviter les accusations de refus de souveraineté. Mais, si la vision militariste s’est imposée, c’est d’abord par manque de préparation des socialistes et de programme déjà conçu. Un an après leur arrivée au pouvoir, un grand vide persiste attendant encore d’être rempli.

Régis Marzin, Paris, pour Tribune d’Afrique du 12 juillet 2013


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[1] http://www.elysee.fr/declarations/article/declaration-du-president-de-la-republique-devant-le-126eme-regiment-d-infanterie-a-tulle/

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[2] http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/photos-videos-et-publications/publications/enjeux-planetaires-cooperation/etudes-20720/article/rapport-memorandum-de-la-france

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[3] François Hollande, comme un air de Françafrique, Lénaïg Bredoux, Médiapart 6.6.13 : http://www.mediapart.fr/journal/international/050613/francois-hollande-comme-un-air-de-francafrique, http://www.algerieinfos-saoudi.com/article-le-chef-de-guerre-hollande-re-oit-le-prix-de-la-paix-118309121.html

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[4] http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/les-ministres-818/laurent-fabius/discours-21591/article/politique-etrangere-de-la-france

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[5] https://regardexcentrique.wordpress.com/2012/05/11/france-mali-sahel-un-rapport-de-lassemblee-nationale-francaise-de-derniere-minute/

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[6] Vincent Hugeux, 1er mars 2013, Purge sans fin chez les Africains du Quai d’Orsay : http://blogs.lexpress.fr/afrique-en-face/2013/03/01/purge-sans-fin-chez-les-africains-du-quai-dorsay/

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[7] Exemples de recherches : IRSEM Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire à Paris en 2010-2013 : http://www.defense.gouv.fr/irsem/publications/etudes/etudes-de-l-irsem

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[8] Alain Barluet, 11 mars 2013, Le Mali fait tomber des têtes au Quai d’Orsay : http://www.lefigaro.fr/international/2013/03/11/01003-20130311ARTFIG00500-le-mali-fait-tomber-des-tetes-au-quai-d-orsay.php

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[9] http://www.defense.gouv.fr/content/download/206186/2286591/file/Livre-blanc-sur-la-Defense-et-la-Securite-nationale%202013.pdf

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[10] Observatoire des armements : http://www.rue89.com/2013/05/04/comment-guerre-mali-a-pese-livre-blanc-242058

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[11] 25 juin 2013, plainte de Survie, FIDH, LDH contre Paul Barril : http://www.mediapart.fr/files/Plainte_Rwanda.pdf

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[12] http://www.gouvernement.fr/gouvernement/attributions-des-ministres-2 + Décret n° 2012-803 du 9 juin 2012 : http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do;jsessionid=B5E62C64AF9F4C2CD87766F9BD7F6ED0.tpdjo03v_2?cidTexte=JORFTEXT000025990860&dateTexte=&oldAction=rechJO&categorieLien=id

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[13] 12 juin 2013, http://www.publishwhatyoupay.org/fr/resources/publiez-ce-que-vous-payez-salue-le-vote-du-parlement-europ%C3%A9en-pour-la-transparence-du-sect

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[14] http://www.diplomatie.gouv.fr/

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[15] Etude de l’IRSEM n°12 2011- L’UE en tant que tiers stratégique, Frédéric Ramel (dir.) : http://www.defense.gouv.fr/content/download/156215/1585048/file/Etude12%20-%20UE%20Tiers%20strat%C3%A9gique.pdf

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[16] Le 4 juillet 2013, le parlement européen a enfin repris l’initiative avec une résolution sur Djibouti :

http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P7-TA-2013-0334&language=FR&ring=P7-RC-2013-0347

*
[17] http://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/le-general-de-rousiers-a-la-presidence-du-comite-militaire-de-l-union-europeenne

*
[18] http://afrikarabia.blogspirit.com/archive/2013/06/13/rdc-des-militaires-impliques-dans-le-commerce-de-minerais.html + 24.6.13, La réforme de l’armée au Congo : bancarisation, réintégration, formation… http://www.bruxelles2.eu/zones/congo-grands-lacs/la-reforme-de-larmee-progresse-au-congo.html