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Le Front national contre la Françafrique ?

D 11 décembre 2015     H 05:32     A Marie Bazin     C 0 messages


Prises de position publiques contre les interventions militaires françaises en Côte d’Ivoire et en Libye, diatribe contre le franc CFA, dénonciation du coup d’Etat constitutionnel de Sassou N’guesso au Congo-Brazzaville et du soutien apporté par la France à ce régime... Le Front national (FN) serait-il sincèrement opposé à la Françafrique ?

Décryptage.

Depuis quelques années, parmi les rares voix politiques qui s’élèvent contre la Françafrique se fait entendre régulièrement celle du FN. Interviewée par de nombreux médias africains au moment de la campagne présidentielle de 2012, Marine Le Pen a développé un discours anti-Françafrique : « Il faut qu’on arrête la Françafrique. Qu’on permette aux peuples de profiter de leurs propres richesses et qu’on ne participe pas à cette corruption généralisée de nos élites respectives » [1]. Elle a également affirmé à plusieurs reprises que le franc CFA était « un drame pour l’économie africaine », une déclaration qui a rencontré un grand succès auprès d’une partie de la diaspora africaine en France. A propos de la crise en Côte d’Ivoire en 2011, elle a condamné l’ingérence de la France et déclaré que « le Front national a toujours été aux côtés de peuples qui se battent pour faire respecter leur souveraineté et leur liberté ».

Très récemment, Louis Aliot, vice-président du FN, a pris fait et cause pour Guy Brice Parfait Kolelas, opposant au coup d’Etat constitutionnel de Sassou Nguesso au Congo-Brazzaville, et s’est insurgé contre le soutien de la France au dictateur congolais. Face à ce qui semble être une nouvelle, et bien curieuse, solidarité du FN pour les peuples africains, deux approches pour démêler le vrai du faux : étudier ses liens éventuels avec la Françafrique et analyser ses actes et discours dans le détail.
Le FN dans la Françafrique ?

Le FN a-t-il joué lui aussi sa partition dans le système françafricain ?
Un retour historique s’impose. Le FN est avant tout le parti des anciens partisans de l’Algérie française qui ne se sont pas ralliés à De Gaulle. Un parti héritier, donc, de la tradition et de l’idéologie colonialiste et impérialiste française, qui ne reste pas à l’écart de l’histoire françafricaine qui se met en place suite aux décolonisations. En témoignent les mercenaires et barbouzes issus du FN et qui se sont mis au service des crimes françafricains. Le Département Protection Sécurité (DPS), service d’ordre du FN et sorte de garde présidentielle de Jean-Marie Le Pen, a ainsi fourni plusieurs mercenaires pour des expéditions aux Comores en 1995, au Zaïre en 1996 et 1997, au Congo-Brazzaville en 1997, 1998 et 1999 [2]. Des expéditions qui n’avaient pas pour objectif de soutenir des peuples en lutte, mais de fomenter des coups d’Etat et d’alimenter des guerres civiles. En 1999, le dirigeant du DPS, Bernard Courcelle, prend brièvement la tête de la garde présidentielle du dictateur Sassou Nguesso au Congo, après son retour au pouvoir au terme d’un long et violent coup d’Etat soutenu par la France et son entreprise Elf.

Pour trouver des liens avec la Françafrique, il faut aussi tracer l’argent puisque ce système sponsorise les partis politiques français depuis des décennies... y compris le FN. En effet, pour financer sa campagne présidentielle de 1998, le FN aurait bénéficié du soutien financier de l’ancien dictateur gabonais Omar Bongo, au même titre que les autres partis, à en croire Robert Bourgi (un émissaire officieux de la Françafrique qui s’est vanté en 2011 d’avoir transporté des mallettes de billets) et l’ancien Premier ministre gabonais Jean Eyeghe Ndong.

La Françafrique, ce sont également des réseaux. Autour du FN gravitent des personnages proches de certains anciens chefs d’Etat africains : l’avocat Marcel Ceccaldi, ancien conseiller de Jean-Marie Le Pen, a défendu Moussa Dadis Camara (chef de la junte militaire en Guinée en 2008), Mouammar Kadhafi, Laurent Gbagbo ; et Bernard Houdin, ancien dirigeant du GUD (Groupe Union Défense, organisation étudiante d’extrême-droite) dans les années 70, était un conseiller spécial de Laurent Gbagbo lorsqu’il était au pouvoir en Côte d’Ivoire. Marion Maréchal Le Pen a elle aussi des liens avec la Côte d’Ivoire, à travers son père Samuel Maréchal qui a épousé une petite fille de Félix Houphouët-Boigny, président de Côte d’Ivoire pendant 33 ans et au cœur des réseaux d’influence de la France. Samuel Maréchal est aujourd’hui très proche des milieux d’affaires ivoiriens, il est à la tête d’un cabinet de finance et de conseil implanté dans une douzaine de pays, dont le Burkina, le Mali, le Congo, la Côte d’Ivoire et le Tchad. Le FN a ainsi des connexions évidentes avec les anciennes colonies françaises, mais qui restent malgré tout assez minces en comparaison de celles du Parti socialiste et des Républicains (ex-UMP). A noter que c’est avant tout par l’exercice du pouvoir qu’un parti peut bâtir et consolider ses réseaux en Afrique, à condition de partir sur de bonnes bases...

Décrypter les discours et les actes

Les liens entre le FN et la Françafrique mettent la puce à l’oreille, mais c’est principalement par l’analyse du discours et des actes du FN que l’on peut véritablement comprendre en quoi son positionnement actuel n’est pas une dénonciation sincère de la Françafrique.

Tout d’abord, le rejet de la Françafrique par le FN ne sert qu’à appuyer son idéologie anti-immigration : le FN cherche à faire passer la pilule du blocage total des flux migratoires en l’associant au nécessaire développement de l’Afrique. Si le FN prétend vouloir mettre fin à la Françafrique, c’est uniquement dans l’objectif de stopper l’immigration africaine en France, selon son adage « La France aux Français, l’Afrique aux Africains ». Suppression du regroupement familial, expulsion de tous les migrants en situation irrégulière, expulsion des migrants en situation régulière mais au chômage depuis plus d’un an : autant de mesures qui porteront directement atteinte à la liberté des personnes et des peuples que le FN prétend défendre.

Ensuite, il suffit de lire le programme du FN sur l’international pour comprendre que ce parti n’a aucunement l’intention de mettre fin à la Françafrique. Deux points de son projet actuel concernent la politique de la France en Afrique. D’abord « Une grande politique de développement de l’Afrique. L’Afrique est aujourd’hui abandonnée aux puissances émergentes […]. Nous voulons rompre avec la France-Afrique corruptrice et poser les bases d’une politique africaine fondée d’une part sur un respect réel des souverainetés nationales africaines, d’autre part sur un soutien fort par l’Etat français des investissements privés français en Afrique en échange d’une inversion des flux migratoires ». Rien d’autre que la poursuite de pratiques françafricaines, dans les actes : la diplomatie économique pour soutenir les entreprises françaises en Afrique et donc la continuation du pillage [3], et le chantage "investissements contre soumission à la politique migratoire française". Et dans la rhétorique : le discours paternaliste sur l’Afrique qui ne doit pas être « abandonnée aux puissances émergentes » et le discours hypocrite sur la souveraineté et le développement qu’on voit difficilement pouvoir aboutir étant donné la priorité donnée aux investissements privés français.

Puis « Nous devons ensuite promouvoir la langue française dans le monde. (…) Langue et puissance vont ensemble. Le combat pour la langue française, sur tous les continents, participe de la restauration de notre influence. (…) Les sommets de la Francophonie (multilatérale) redeviendront un levier de notre politique étrangère ». Le FN se réapproprie ici un instrument fondamental de la Françafrique : la Francophonie. La promotion active de la langue française en Afrique constitue une des formes de la domination politique française sur le continent, notamment à travers les sommets de la Francophonie, rendez-vous bisannuels de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Quand le FN prévoit d’en user au profit de l’influence française, il s’inscrit dans la droite ligne de la politique néocoloniale française.
Une récente question écrite de Marion Maréchal Le Pen à l’Assemblée nationale montre que le FN n’entend pas non plus apporter de rupture sur l’aide publique au développement (APD) : la députée demande que cette aide redevienne uniquement bilatérale et concentrée sur les pays africains francophones, pour correspondre aux « enjeux géographiques français » et permettre de « conserver une visibilité de l’effort français, gage d’influence dans la sphère francophone et au sein des organes internationaux », et qu’elle profite « prioritairement à nos entreprises françaises » [4]. Aucune allusion aux travers de l’aide au développement, mais la confirmation de ce qu’est l’APD encore aujourd’hui : un outil au service des intérêts français en Afrique et dans le monde.

Le FN prévoit donc de poursuivre et d’intensifier trois piliers de la Françafrique (la présence économique française en Afrique, la Francophonie, l’aide au développement), et ne dit pas un mot, dans son projet, contre le soutien aux dictatures, et encore moins sur la présence militaire française en Afrique, symbole de la puissance de la nation chère au FN.
Opportunisme politique

Revenons pour finir sur ces positions au coup par coup de dénonciation de l’ingérence française ou de soutien à tel opposant politique africain. La lecture du programme du FN l’a confirmé : elles ne sont pas ancrées dans une réflexion de fond sur la Françafrique. Elles sont le fait d’opportunités politiques ou de liens personnels avec les individus ou situations concernés. La virulence du FN contre l’intervention française en Côte d’Ivoire en 2011 vient probablement des liens de certains proches du FN avec Laurent Gbagbo, écarté du pouvoir par la France. L’opposant congolais Guy Brice Parfait Kolelas, récemment soutenu par le vice-président du FN, est un de ses amis personnels, également ancien membre du FN et proche de Jean-Marie Le Pen [5]. Son père, Bernard Kolelas, était conseillé par Marcel Ceccaldi [6]. Etrangement, le FN a été complètement muet à propos du soutien de la France au Togo, lors des élections présidentielles dans ce pays en avril dernier, ou au Tchad, lors des répressions violentes de manifestations fin 2014. Le FN n’a pas non plus soutenu les militants camerounais arrêtés en septembre par le régime dictatorial de Paul Biya.
Alors que le parti a des élu-e-s au Parlement français et au Parlement européen, sa virulence contre la Françafrique semble s’être arrêtée aux caméras et micros des médias. Jamais le FN n’a usé de ses fonctions politiques pour proposer des changements législatifs allant dans le sens d’une rupture avec la Françafrique. Autant d’éléments qui permettent de douter fortement de la volonté du FN de mettre fin à la Françafrique et qui amènent à s’interroger sur les raisons de ces prises de position publiques souvent à l’antipode de l’ADN du parti et de son projet. Les hypothèses sont nombreuses : séduire l’électorat des Français de la diaspora africaine, marquer une rupture avec les partis de gouvernement comme le fait le FN sur toutes ses thématiques de campagne, se ménager des soutiens variés en Afrique en cas d’accession au pouvoir ou pour trouver des financements pour de prochaines campagnes ? Mais une rupture avec la Françafrique, pour qu’elle ne soit pas artificielle, doit être fondée sur une analyse historique critique, une réflexion approfondie sur le fonctionnement des institutions de la Ve République et une remise en question radicale de la « nécessaire » puissance de l’Etat français dans le monde.

[1] Ivoirebusiness.net, 21/05/2012

[2] Noir Silence, François-Xavier Verschave, 2002, Chapitre 14

[3] Les bénéfices réalisés par des entreprises françaises en Afrique sont en majeure partie rapatriés en France.

[4] Question écrite publiée le 30/06/2015, adressée au ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, et intervention orale à l’Assemblée nationale le 28/11/2015.

[5] Jeune Afrique, « France-Congo : quand le Front national milite contre Sassou Nguesso », 26/10/2015 ; Le Monde, « Au Front national, la passion Congo de Louis Aliot », 26/11/2015

[6] Lettre du continent, n°718, 25/11/2015.

Source : http://survie.org/billets-d-afrique