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Le mirage de l’homme providentiel

D 31 mai 2011     H 04:26     A Paul Martial     C 0 messages


Colonialisme, guerre froide, politique d’ajustement structurel,
le capitalisme continue sa course effrénée de recherche du
profit. Avec la mondialisation, le pillage est accentué, l’idée
de développement abandonnée au profit des accords de
partenariat économique qui instaurent la libéralisation totale des
échanges économiques entre les pays riches et les pays dominés.
La conséquence prévisible en est la destruction du tissu industriel
des pays africains, bien trop faible pour résister à la concurrence
du Nord. La mondialisation réinstaure une politique de comptoir
colonial, avec le processus d’accaparement des terres arables,
particulièrement en Afrique qui vient en regard de la montée
continue des prix alimentaires.

En parallèle, l’hypocrisie des dirigeants des pays riches reste au
rendez-vous. On ne compte plus le nombre de réunions
internationales, aussi coûteuses qu’inutiles, prétendument pour
éradiquer la pauvreté, réduire les maladies, aider au
développement.

Mais l’humanitaire, c’est d’abord le droit d’ingérence, véritable
axiome de la géométrie variable en politique, qui permet de
bombarder des pays africains comme la Somalie, le Tchad, la
Côte d’Ivoire ou la Libye. L’argent c’est pour le kaki pas pour les
blouses blanches.

L’ennemi de mon ennemi n’est pas mon ami

Ce mépris, mais aussi l’absence de perspective à court terme,
poussent de plus en plus les populations à trouver des solutions :
l’intégrisme religieux pour certains qui n’offre, en attendant une
place au soleil dans l’au-delà, que l’oppression des plus faibles
dans la société, c’est-à-dire les femmes, les homosexuels ou le
massacre des mécréants d’en face. Beaucoup d’organisations
progressistes peinent à construire des alternatives et se jettent
imprudemment dans les bras de certains dirigeants, pour peu
qu’ils soient un peu différents de leurs prédécesseurs.

Ainsi lors de l’appel à la manifestation contre la Françafrique du
28 septembre 2010 on pouvait lire :

« Prenant également note des encouragements de Barack
Obama au mois d’août 2010 demandant aux Africains,
particulièrement la jeunesse africaine, de prendre ses
responsabilités devant l’histoire pour la liberté, la démocratie et
le progrès, les Africains que nous sommes avons décidé de ne
plus subir la Françafrique. »1

Déjà à l’époque de ce texte, l’administration Obama continuait la
guerre en Somalie, soutenait les régimes répressifs et corrompus,
comme ceux de Museveni en Ouganda ou Zenawi en Ethiopie. La
connivence de Sarkozy et d’Obama en Côte d’Ivoire et en Lybie
donne un goût amer à cet « encouragement ».

Les mêmes voient en Laurent Gbagbo le héros de la résistance
africaine contre l’impérialisme ; or s’il est vrai que, dans un passé
lointain, Laurent Gbagbo a été un opposant courageux et a
contribué à instaurer le multipartisme en Côte d’Ivoire, il n’en
reste pas moins vrai que lors de cette dernière décennie, il s’est
comporté comme n’importe quel tyran. En quoi serait-il un
exemple à suivre pour les peuples africains, lui qui prône une
politique xénophobe d’ivoirité, qui a transformé la FESCI, le
syndicat étudiant, en véritable milice qui rackette les étudiants et
organise des chasses à l’homme contre les militants communistes
dans les campus ? Serions-nous dans le même camp qu’un
homme qui a organisé les escadrons de la mort, qui a fait appel à
l’armée française pour qu’elle intervienne contre les rebelles du
Nord et qui a signé, de gré à gré, tous les contrats juteux aux
entreprises françaises ?

Tout comme Kadhafi ne peut être un modèle ou même un allié. Il
a accepté sans sourciller, contre espèces sonnantes et
trébuchantes, de faire de la Lybie un immense camp de rétention
pour les Africains qui tenteraient d’immigrer vers le Vieux
Continent. Il a installé, avec le Soudan et la France, Idriss Deby,
ancien chef d’état major d’Habré, qui accueille une base de
l’armée française, utilisée pour renforcer la Licorne dans sa
bataille contre Gbagbo. Kadhafi est-il digne d’être soutenu, lui qui
n’a pas hésité à faire exécuter 1600 prisonniers pour mater une
mutinerie ?

C’est se fourvoyer que penser qu’à chaque fois qu’un chef d’Etat
est en bisbille avec l’impérialisme, il serait du côté du peuple et
serait un combattant anti-impérialiste. Ne tombons pas dans la
démagogie, nous savons tous que lorsque des dictateurs se
retrouvent en mauvaise posture, ils utilisent la rhétorique
anticolonialiste, comme le montre le thuriféraire de Paul Biya
contre le CCFD dans l’affaire des « biens mal acquis ».

« Derrière le moralisme sirupeux et donneur de leçons de ses
prises de position sur les grands sujets de politique, d’économie
et relation internationales se dissimule un paternalisme désuet, et
un misérabilisme qui semble être son véritable fond de
commerce. Le CCFD croit sans doute comme l’écrivait Rudyard
Kipling, que l’homme blanc a pour fardeau de civiliser le monde
et de diffuser l’occidentalisme comme norme de valeurs sur la
planète. »2

Renouer avec le passé pour créer du nouveau

Pour notre part nous ne croyons pas à l’homme, ou à la femme,
providentiel(le). La libération de l’Afrique viendra du peuple luimême.
Les Tunisiens, les Egyptiens n’ont pas eu besoin de
dirigeants, de leaders, de guides pour se débarrasser eux-mêmes
de leur dictateur. C’est le travail patient, pugnace des simples
militant(e)s et l’auto organisation des populations qui ont permis
ce « printemps arabe ».

Si, sans réserve, nous condamnons avec constance et la plus
grande fermeté les interventions militaires et le pillage des
entreprises françaises en Afrique, nous ne soutenons pas pour
autant les Gbagbo et les Kadhafi qui en ont été complices. Le
soutien, voire même de l’indulgence, reviendrait à légitimer
l’oppression et l’exploitation de leur peuple. Cela briserait la force
du panafricanisme qui repose sur l’unicité de la lutte sur le
continent. L’idée que la lutte de chaque peuple africain est la lutte
de tous les peuples africains.

Paul Martial

Notes

1. http://www.afromanif.blogspot.com/

2. Afrique Expansion magazine, n°377, octobrenovembre
2009