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Les lois antiterroristes peuvent entraver l’action humanitaire

D 22 août 2013     H 05:30     A IRIN     C 0 messages


Les lois antiterroristes, de plus en plus nombreuses, ont un impact direct sur l’action humanitaire. Selon une nouvelle étude indépendante, elles limitent les fonds disponibles, retardent la mise en ouvre de projets et contribuent au climat d’autocensure des travailleurs humanitaires.

Le rapport, commandé par le bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA) et le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC) pour le compte du Comité permanent inter-agence (IASC, en anglais), a été publié la semaine dernière à Genève. Il s’intéresse aux conséquences des politiques antiterroristes incarnées notamment par le Patriot Act, une loi antiterroriste adoptée à la suite des attaques du 11 septembre 2001 aux États-Unis.

« L’impact des mesures antiterroristes sur l’action humanitaire est une source de préoccupation croissante pour la communauté humanitaire. On craint notamment que les habitants des zones contrôlées par des groupes armés non étatiques considérés comme terroristes aient un accès limité, voire absent, à la protection et à l’aide humanitaire »,

a dit Kyung-wha Kang, sous-secrétaire générale des Nations Unies chargée des affaires humanitaires.

Le rapport, intitulé Study of the Impact of Donor Counter-Terrorism Measures on Principled Humanitarian Action [Étude sur l’impact des mesures antiterroristes adoptées par les donateurs sur l’action humanitaire fondée sur des principes], a été rédigé par un groupe de chercheurs indépendants et s’intéresse à deux études de cas : la Somalie et les Territoires palestiniens occupés (TPO). Les États-Unis, l’Union européenne (UE) et l’Australie font partie des pays qui ont mis en place des lois pour prévenir le soutien international aux groupes considérés comme des organisations terroristes.

Conséquences

« Nous avons effectivement découvert qu’il y avait des conséquences

négatives sur les activités humanitaires, notamment la diminution des fonds disponibles, le blocage de projets et l’autocensure des OI [organisations internationales] et des ONG. Nous avons par exemple constaté une diminution de 88 pour cent de l’aide accordée à la Somalie entre 2008 et 2010, c’est-à-dire après qu’Al Shabab [le groupe militant somalien] a été placé, en 2008, sur la liste officielle des organisations terroristes des États-Unis. Dans les TPO, les bénéficiaires sont parfois exclus de l’aide humanitaire, en particulier à Gaza, qui est sous le contrôle du Hamas [aussi considéré comme un mouvement terroriste par les États-Unis] »,

a dit Kate Mackintosh, co-auteure de l’étude avec Patrick Duplat.

Le rapport souligne par ailleurs que la prudence dont font preuve les agences d’aide humanitaire pour éviter d’enfreindre la législation antiterroriste a eu un impact significatif sur les programmes humanitaires.

« L’étude a dévoilé un niveau élevé d’autolimitation et d’autocensure, en particulier au sein des organisations qui considèrent leur réputation comme très vulnérable, notamment les ONG islamiques. La crainte d’encourir une poursuite criminelle ou de voir leur réputation sérieusement ternie semble, dans certains cas, pousser les organisations à une docilité excessive »,

indique le rapport.

Les organisations d’aide humanitaire cherchent également à s’assurer que les obligations en matière de lutte contre le terrorisme sont respectées par leurs partenaires locaux. « Il s’agit d’une clause dont l’inclusion est exigée par certains donateurs dans leurs accords de financement initiaux, mais aussi par les sièges des agences des Nations Unies et des ONG internationales dans leurs règles en matière de lutte contre le terrorisme. Au moins quatre agences des Nations Unies ouvrant dans les TPO ont inclus des clauses antiterroristes standards imposées par les bailleurs de fonds dans leurs accords de financement subsidiaires, ce qui a provoqué des tensions avec les partenaires de mise en ouvre locaux », indique l’étude.

Sur le terrain

Ces mesures ont un impact direct sur la façon dont l’aide et les travailleurs humanitaires sont perçus.

« En Somalie, de nombreux humanitaires croient que les sanctions et les mesures antiterroristes adoptées à l’encontre d’Al Shabab ont contribué à polariser encore davantage un environnement qui l’était déjà et dans lequel les acteurs humanitaires ne sont pas perçus comme neutres, impartiaux ou indépendants. Bien que difficile à démontrer ou à mesurer, cet impact structurel est significatif, car il a des conséquences qui continueront de se manifester à l’avenir et dans divers contextes »,

indique le rapport.

À Gaza, par exemple,

« la plupart des paramètres de l’action humanitaire ont été modifiés afin que les programmes soient d’abord conçus pour éviter de soutenir ou d’entrer en contact avec le groupe désigné (le Hamas) et ensuite seulement pour répondre aux besoins humanitaires ».

Résultat : le rôle des ONG locales dans l’action humanitaire à Gaza diminue.

« Certaines ONG locales ont refusé des fonds en raison des clauses antiterroristes dont ils étaient assortis, affectant du même coup la capacité des donateurs ou des agences des Nations Unies et des ONG internationales à trouver des partenaires qualifiés. »

Risques pour les bénéficiaires

Les bénéficiaires sont directement affectés par ces contraintes. À Gaza, une ONG n’a pas pu distribuer des vivres à 2 000 familles comme elle l’avait prévu parce que son bailleur de fonds ne l’autorisait pas à partager sa liste de bénéficiaires avec le ministère des Affaires sociales.

« Il considérait qu’il s’agissait d’un engagement trop important avec l’administration du Hamas. Une autre organisation n’a pas pu aller de l’avant avec son projet de soutien psychosocial dans une école parce que le directeur était considéré comme une personnalité trop importante au sein de l’administration du Hamas »,

ont écrit Mme Mackintosh et M. Duplat.

Trouver un équilibre

M. Duplat a souligné que certaines exceptions avaient été faites par les donateurs en situation de crise extrême.

« Ils ont changé ou assoupli les règles et les exigences d’application pour l’aide humanitaire, par exemple lors de la famine et de la sécheresse qui ont frappé la Somalie en 2011. Le problème, c’est qu’on n’est pas censé attendre qu’une crise extrême survienne pour faire preuve de flexibilité »,

a-t-il dit.

Voici quelques recommandations formulées par les auteurs de l’étude : les politiques antiterroristes devraient inclure des exceptions pour l’action humanitaire ; elles ne devraient pas nuire aux acteurs humanitaires locaux ; elles devraient exclure les opérations accessoires et les autres arrangements nécessaires pour garantir l’accès humanitaire ; et les bailleurs de fonds étatiques devraient éviter de promulguer des politiques de terrain qui empêchent [les organisations] d’établir des relations et de négocier avec les groupes armés.

« Certaines mesures antiterroristes adoptées par les pays donateurs créent un véritable dilemme pour les acteurs humanitaires. Si nous nous conformons à nos principes, nous risquons d’enfreindre la loi et d’encourir une poursuite criminelle. Le respect de certaines lois et mesures antiterroristes peut nous obliger à agir d’une manière qui va à l’encontre de ces principes »,

indique l’avant-propos de l’étude.

Source : http://www.irinnews.org