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Les zoos humains hier... et aujourd’hui ?

D 29 avril 2012     H 05:25     A Gisèle Felhendler     C 1 messages


Au musée du Quai Branly, à Paris, se tient jusqu’au 3 juin l’exposition Exhibitions. L’Invention du sauvage, qui fait (re)découvrir l’histoire des zoos humains. Plus de 500 pièces réunies dans une scénographie originale pour rappeler l’atroce histoire d’êtres humains réduits à une animalité infériorisée, la colonisation des territoires, des corps et des esprits.

Dans le rôle du commissaire général de l’expo, Lilian Thuram, footballeur investi dans le combat antiraciste, plus d’une fois victime d’insultes racistes et de cris de singe à son entrée sur les stades. Rappelons que les arrière-grands-parents d’un autre footballeur, Christian Karembeu ont, eux aussi, été exhibés en 1931, croyant venir à Paris représenter dignement la Kanaky.

Il était une fois... Christophe Colomb. En 1492, il rentre de son premier voyage en Amérique avec six natifs qu’il présente à la cour d’Espagne. C’est le début de l’exhibition, parfois dans des cages, de milliers de « sauvages » dans les cours royales européennes, pratique qui connaîtra son apogée au XIXe siècle, âge d’or du racisme scientifique qui prétend légitimer l’entreprise coloniale. L’Africain, chaînon manquant entre l’homme et le singe !

Cette mise en scène de l’exotisme va toucher plus d’un milliard quatre cent millions de curieux(euses) au gré des expositions coloniales, cirques, jardins d’acclimatation, foires ou musées.
Cette pratique va se répandre, installant de façon pérenne dans les mentalités l’idée perverse d’une rupture entre deux humanités. Ce type de spectacle devient un genre à part entière, l’industrie du spectacle exotique.

L’ethnologie se fait outil de propagande politique : pour justifier la conquête, les « sauvages » sont présentés nus, rongeant des os, cruels et cannibales.

Les nombreuses pièces (peintures, affiches, photos) montrent avec une évidence particulièrement crue faite pour choquer et interpeller, ce processus qu’est la construction du sauvage, et dont le symbole pourrait être la Vénus Hottentote, disséquée après sa mort pour prouver l’infériorité de sa « race ».

Une création idéologique qui a pour but la construction d’une pyramide humaine au sommet de laquelle s’impose l’homme blanc. Les déclarations récentes d’un Claude Guéant sont un pur produit de cette mentalité toujours vivace, dont le racisme alimente le colonialisme et vice versa.

Théâtralité de cette exposition, avec décor, mise en scène, costumes, récits, personnages et spectateurs/trices. Etrangeté, malaise, jeux d’ombre et lumière, miroirs déformants qui interrogent notre propre regard et notre capacité à penser l’unicité et l’altérité.

Le divertissement a été une porte d’entrée pour les thèses racistes, ségrégationnistes et eugénistes qui ont ainsi pu pénétrer les opinions publiques sans violence apparente.

« Pour déconstruire notre regard sur l’autre, il est nécessaire de décoloniser nos imaginaires », analyse Pascal Blanchard, historien, co-fondateur de l’ACHAC (Association pour la connaissance de l’histoire de l’Afrique contemporaine) et commissaire scientifique de cette exposition avec Nanette Jacomijn Snoep.

La vidéo de clôture de Vincent Elka pose une question dérangeante : Qui est votre sauvage ? Serions nous donc tou-te-s le sauvage de l’autre ? L’artiste rend absolument criant le lien avec les discriminations actuelles : Roms, homosexuel(le)s, handicapé(e)s, musulman(e)s, marginaux(nale)s, les stigmatisé-e-s ont la parole.

Aujourd’hui encore, les minorité visibles, par opposition à une majorité dominante forcément blanche, les immigré(e)s de la xe génération, les personnes « issues de la diversité », autant de périphrases pour désigner les descendants de l’immigration post-coloniale, n’ont le choix, pour répondre à l’obligation d’intégration, qu’entre l’assignation à l’invisibilité ou la reproduction des stigmates stéréotypés d’un imaginaire colonialiste.

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