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Madiba et les deux nigauds

D 22 décembre 2013     H 05:23     A Yann Fiévet     C 0 messages


Comme notre époque manque de panache ! Et comme la France vit bien avec son temps ! Les obsèques de Nelson Mandela ont donné lieu à une bien honteuse mascarade. Le Président de la République française en exercice s’est cru obligé d’inviter à l’accompagner à cette digne cérémonie officielle son prédécesseur. L’on pourrait y voir une nouvelle cocasserie de la politique dépolitisée que les médias contemporains affectionnent tant. Ou y voir encore la maladresse d’un chef d’Etat tatillon plus souvent qu’à son tour. Tout cela existe et ne peut que nous affliger. Le pire réside pourtant ici : ce navrant numéro de duettistes est un affront majuscule à la mémoire du combattant inlassable que fut le premier président de l’Afrique du Sud post-apartheid. Hollande-Sarkozy, voilà une doublette que nul n’avait imaginé sans doute en un tel lieu et en un tel moment. C’est que l’indécence a des limites.

La mémoire des hommes est courte. Celle des hommes occupant de hautes fonctions ne fait pas exception. Nos deux comparses ont étonnamment oublié « le discours de Dakar », prononcé le 26 juillet 2007, à l’Université Cheikh-Anta-Diop, devant des étudiants, des enseignants et des personnalités politiques. Certes , M. Nicolas Sarkozy y proclame que la colonisation de l’Afrique fut une faute. Mais, il y déclare aussi ceci :

« Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles.

Dans cet imaginaire où tout recommence toujours, il n’y a de place ni pour l’aventure humaine, ni pour l’idée de progrès. Dans cet univers où la nature commande tout, l’homme échappe à l’angoisse de l’histoire qui tenaille l’homme moderne mais l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable ou tout semble être écrit d’avance. Jamais l’homme ne s’élance vers l’avenir. Jamais il ne lui vient à l’idée de sortir de la répétition pour s’inventer un destin. »

Saurait-on mieux exprimer rétrospectivement ce qui justifia au 19ème siècle la conquête coloniale ? Nous sommes au 21ème siècle et pourtant l’ethnocentrisme forgé dans l’Occident capitalisme triomphe encore.

Rappelons aussi ceci aux amnésiques : en 1988, deux ans seulement avant la libération de Nelson Mandela du bagne où il passa vingt-sept longues années de sa vie de combat, des dirigeants de partis de droite français le considéraient encore officiellement comme un terroriste. Jusque-là toutes les nations « riches » s’accommodait fort bien de l’apartheid, ne songeaient pas le moins du monde à aider Nelson Mandela et son peuple à entrer dans l’Histoire, à s’élancer vers l’avenir, à s’inventer un destin. Ils l’ont fait presque seuls ! Les hommes politiques du « monde civilisé » sont montés dans le train de cette histoire-là quand il arrivait déjà en gare. Ne nous y trompons pas : s’ils condamnent le colonialisme politique d’hier, ils ne remettent jamais en cause le néo-colonialisme économique qui lui a succédé. Le discours de Dakar de 2007 a quelque chose de surréaliste quand on connait les tenants et aboutissants du pillage généralisé des ressources du continent africain au profit des pays riches. « Jeunes d’Afrique vous croyez que le libre échange est bénéfique mais que ce n’est pas une religion. Vous croyez que la concurrence est un moyen mais que ce n’est pas une fin en soi. Vous ne croyez pas au laisser-faire. Vous savez qu’à être trop naïve, l’Afrique serait condamnée à devenir la proie des prédateurs du monde entier. » La « françafrique » n’existe donc pas ! Pour M. Sarkozy on le savait bien avant 2007. Pour M . Hollande on en a la certitude depuis un autre discours de Dakar tenu par lui en 2013. Et si nous tenions là la véritable explication de « l’entente cordiale » d’un jour de décembre dernier sur une scène africaine appropriée.

L’hypocrisie criminelle est à son comble. Redonnons la parole à M . Sarkozy :

« Voulez-vous qu’il n’y ait plus de famine sur la terre africaine ? Voulez-vous que, sur la terre africaine, il n’y ait plus jamais un seul enfant qui meure de faim ? Alors cherchez l’autosuffisance alimentaire. Alors développez les cultures vivrières. L’Afrique a d’abord besoin de produire pour se nourrir. Si c’est ce que vous voulez, jeunes d’Afrique, vous tenez entre vos mains l’avenir de l’Afrique, et la France travaillera avec vous pour bâtir cet avenir. Vous voulez lutter contre la pollution ? Vous voulez que le développement soit durable ? Vous voulez que les générations actuelles ne vivent plus au détriment des générations futures ? Vous voulez que chacun paye le véritable coût de ce qu’il consomme ? Vous voulez développer les technologies propres ? C’est à vous de le décider. »

Faut-il commenter ? Allez, ne résistons pas à une dernière citation de la même source, pour la route de la duperie suprême : « Ce que la France veut faire avec l’Afrique, c’est une politique d’immigration négociée ensemble, décidée ensemble pour que la jeunesse africaine puisse être accueillie en France et dans toute l’Europe avec dignité et avec respect. » Les politiques d’immigration de MM. Hortefeux, Guéant et Valls n’ont donc jamais existé, ne sont jamais entrées dans l’Histoire.

Madiba, repose en paix, loin de ces infamies, ton combat n’est hélas pas terminé.

Yann Fiévet