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Plan d’action national italien pour les énergies renouvelables

Quelles implications pour l’accaparement des terres en Afrique ?

D 25 janvier 2014     H 05:10     A Crafs (Cadre de réflexion et d’action sur le foncier au Sénégal), , Grain, Re:Common     C 0 messages


L’Etat italien a affecté 200 milliards d’euros aux incitants à la production d’électricité d’origine renouvelable pour les 20 prochaines années (2013-2032). C’est ce qui ressort du dernier système d’incitants pour les énergies renouvelables, présenté en juillet 2012, qui se rapporte à l’énergie produite à partir de la biomasse, le biogaz et les bioliquides. (1)

Concrètement, cela signifie qu’il y aura une avalanche de subventions avec un fort impact sur les choix effectués dans le secteur de l’énergie. La charge financière retombera sur les épaules des utilisateurs d’électricité italiens, qui font déjà face à une hausse de 7 % de leur facture d’électricité pour les énergies renouvelables. Mais les conséquences sociales, économiques et environnementales les plus dramatiques seront ressenties à des milliers de kilomètres de là.

LE BOOM DES BIOCARBURANTS

Pour mettre en œuvre le Protocole de Kyoto de 1997, le Conseil et le Parlement européens ont approuvé en 2009 la directive 2009/28/CE relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables. (2) Cette directive fixe deux objectifs contraignants à l’horizon 2020. Le premier est d’obtenir 20 % de la consommation énergétique de l’UE à partir de sources renouvelables, et permet à chaque État membre de fixer sa cible nationale spécifique (17 % dans le cas de l’Italie). Le second est d’obtenir 10 % de la consommation énergétique européenne liée au transport à partir de sources renouvelables (biocarburants).

Comme l’exige cette directive, en juillet 2010, l’Italie notifiait à la Commission européenne son « Plan d’action national en matière d’énergies renouvelables », transposé dans le droit national par le décret législatif n°028 de 2011.

En Italie, la production d’électricité d’origine renouvelable a été financièrement encouragée par l’État depuis 1992. Cependant, depuis 2007, le mécanisme d’incitants assume un rôle beaucoup plus important, notamment au travers d’une subvention publique spécifique accrue pour l’énergie produite à partir de la biomasse, du biogaz et des bioliquides. Les budgets de l’État italien pour 2007 et 2008 prévoyaient de nouveaux systèmes de subventions visant à soutenir spécifiquement la construction d’installations pour la production d’électricité par le biais de sources d’énergie renouvelables, notamment la biomasse et le biogaz. Depuis lors, plusieurs centaines de petites centrales électriques (moins d’un mégawatt) ont été construites partout dans le pays, fortes de leurs subventions. Le coût de leurs infrastructures, chiffré en millions d’euros, a été très rapidement amorti. Ainsi, les groupes industriels ayant construit ces centrales ont pu réaliser rapidement des profits avec très peu de risques financiers.

Dans le même temps, le discours sur les « chaînes d’approvisionnement courtes en biomasse », où la matière première est produite dans un rayon de 70 km autour de la centrale, a fait son apparition pour la première fois dans la législation nationale. La mesure incitative la plus importante a été réservée à la biomasse produite près des installations de production électrique, ou à la biomasse produite au moyen d’accords de production agricole. Toutefois, il a fallut plusieurs années avant que le gouvernement n’établisse, par voie législative, des critères de traçabilité de la chaîne d’approvisionnement.

Les objectifs de l’Ue, auxquels s’ajoutent les subventions italiennes, ainsi que le vide juridique lié à la traçabilité de l’origine des matières premières, ont ouvert une manne commerciale extrêmement rentable potentiellement aux entreprises italiennes actives dans le domaine de la production de biomasse à brûler dans les centrales italiennes, ou à transformer et vendre comme biocarburant.

Même après les exigences de traçabilité, l’introduction de procédures pour la production d’électricité à partir de biomasse, et les incitants accrus pour les chaînes courtes adoptés par le ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Forêts en 2010, les pouvoirs régionaux, qui sont censés appliquer le décret localement, le font sans aucune coordination et en l’absence d’une stratégie nationale cohérente, créant ainsi un panorama très divers d’une région à l’autre.

LES EFFETS DE LA POLITIQUE ITALIENNE A L’ETRANGER

Dans ce contexte, le fait que, depuis 2007-2008, plus de 20 entreprises italiennes aient posé leur regard sur des centaines de milliers d’hectares de terres agricoles dans le monde entier, principalement en Afrique, pour lancer des essais pilotes de production de la biomasse, ne peut pas être considéré comme une coïncidence. (3) Les entreprises le confirment elles-mêmes, avec un exemple qui se démarque fortement. (3)

En août 2009, le responsable du développement du secteur de la biomasse chez Tozzi Renewable Energy, une société italienne impliquée dans des projets controversés de production de jatropha au Sénégal et à Madagascar, expliquait que sa société avait « [...] lancé plusieurs projets pour la construction de deux centrales de biomasse solide et liquide dans le sud de l’Italie. Depuis 2007, la nécessité de développer nos propres approvisionnements en biocarburant est devenue stratégique pour faire face à la volatilité croissante des prix [des matières premières]. Avec tant d’incertitudes, il était devenu très difficile d’évaluer la rentabilité et les flux de trésorerie des différents projets et de négocier un financement auprès des banques. » (4)

Quant à son contrat foncier au Sénégal, le représentant de Tozzi en exposait tous les avantages : « Au Sénégal, le tableau est positif. Nous sommes sur le point d’obtenir une concession de 50 000 hectares (au titre d’un contrat de bail de 99 ans) (...). Nous pourrons exporter notre production d’huile ; le gouvernement s’est uniquement réservé le droit d’acheter une part de notre production au prix du marché. Le gouvernement nous a également permis d’importer en franchise les matériaux et les équipements nécessaires à notre démarrage. » (5)

Cependant, quelques années plus tard, si on en juge par la situation sur le terrain, les projets de biocarburants de Tozzi aussi bien au Sénégal qu’à Madagascar, n’ont pas réussi grand chose. Au Sénégal, après une tentative avortée de relocaliser et de relancer le projet, Tozzi a décidé d’abandonner l’investissement. (6) À Madagascar, où Tozzi entend cultiver 100 000 ha d’ici à 2019 et où la société dispose actuellement de 6 558 ha, l’opposition des communautés grandit et la rumeur d’« un brusque revirement dans le plan d’affaires de la société » s’est propagée. D’anciens employés du projet nous ont informés que le projet jatropha était abandonné et qu’environ 5 millions de semis de jatropha avaient été jetés au cours des premiers mois de 2013, car le « plan s’oriente désormais vers autre chose, peut-être vers l’exploitation du riche sous-sol de la région. » (6)

Les mesures législatives italiennes bancales et incohérentes, qui dopent les énergies renouvelables, jouent très probablement un rôle dans le comportement apparemment incohérent et contradictoire des sociétés à l’étranger.

Chez elle, Tozzi a choisi la région des Pouilles, dans le sud de l’Italie, pour terrain d’expérimentation privilégié. La société envisageait d’y construire trois grandes centrales de biomasse auxquelles les collectivités locales concernées par les projets s’opposaient largement. En juillet 2008, les pouvoirs locaux des Pouilles ont promulgué un décret visant l’installation de centrales électriques produisant de l’énergie à partir de biomasse. (7) Ce décret comprend des normes relatives à la traçabilité des matières premières à brûler dans ces centrales et impose un minimum obligatoire de 30 % à cultiver dans un périmètre de 70 kilomètres autour des centrales. Tout en laissant la possibilité, pour Tozzi, d’importer encore d’importantes quantités de matière première de l’étranger, ceci offrait également des incitants financiers et de procédure pour utiliser la biomasse locale.

Plus tard, Tozzi a commencé à conclure des accords de production avec plusieurs syndicats locaux d’agriculteurs pour s’assurer un approvisionnement constant de cultures à brûler dans la centrale de Sant’Agata. En juillet 2013, cette centrale a reçu l’agrément de la région pour obtenir les subventions publiques les plus importantes possibles. Cela a-t-il quelque chose à voir avec le fait que Tozzi enterre ses projets de production de jatropha à Madagascar et au Sénégal ?

RELIANT LES POINTILLES

Le fait que des entreprises italiennes aient pris le contrôle de vastes portions de terres en Afrique en 2007-2008 en vue d’y produire des cultures pour biocarburants est validé par les faits sur le terrain. Il est fort probable que ceci ait été motivé par le système d’incitations mis en place dans le cadre du Plan d’action national italien pour les énergies renouvelables. Il est possible que les récents changements constatés dans les plans d’affaires de ces sociétés dans plusieurs pays africains découlent de la reconnaissance que le jatropha n’est ni rentable ni durable écologiquement et socialement. Mais il est également tout à fait possible que les entreprises délaissent la production d’agrocarburants à grande échelle en Afrique pour s’orienter vers une production locale à chaîne courte en conséquence de l’élaboration lacunaire de la législation italienne. L’impact que cela pourrait avoir sur d’autres accaparements de terres pour biocarburants en Afrique par des sociétés italiennes, sans parler des projets de substitution prévus sur le sol italien, doit être étroitement surveillée.

Source :
http://www.pambazuka.org