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Portrait du colonialiste. L’effet boomerang de sa violence et de ses destructions Jérémie Piolat

Édition La Découverte Collection « Les empêcheurs de penser en rond ». 2011

D 2 janvier 2012     H 16:38     A Gisèle Felhendler     C 1 messages


Sorte d’écho au Portrait du Colonisé, Portrait du Colonisateur,
le classique d’Albert Memmi, ce livre de Jérémie Piolat se lit
avec plaisir et intérêt. Intelligent, caustique, cynique,
émouvant, toujours juste.

20 récits d’apparence parfois anecdotique, inscrits dans l’histoire,
analysés dans un esprit et une langue philosophique simple et
évidente.
C’est dans le sous titre qu’est contenue la substance de l’ouvrage,
qui dit l’état clinique du colonisateur.

Aller-retour permanent entre Europe et anciennes colonies, entre
espace public et espace privé, jusqu’à l’intimité. Constat de la
persistance des ravages et des pratiques de la colonisation.
Tou-te-s héritier-e-s de la colonisation en tant que négation de
toute humanité et de toute valeur à celles et ceux qu’elle va
détruire.

L’intention de Jérémie Piolat semble être le décryptage de
l’expression quotidienne, banalisée des victimes de la
colonisation.

Ces essais-reportages sont autant d’interpellations, de mises en
situation auxquelles nous confronte l’auteur. « Il nous appartient
de décider si nous voulons ou non être héritiers de ce ravage. »
Succession d’expériences, celles des autres et celles de l’auteur
lui même, qui s’attache à démasquer les victimes inconscientes
du colonialisme.

Il démontre que paradoxalement, la modernité est perte,
dépossession, falsification du rapport au corps, des corps
analphabètes. La présence coloniale inscrite dans les corps
entretient l’amnésie de la mutilation. Absence des arts populaires
en Europe de l’Ouest, tendance des Occidentaux à minimiser la
complexité, la technicité des pratiques artistiques des Africains. Il
faut absolument lire l’histoire ironico-pathétique de la danse des
canards !

Et d’autres encore, qui donnent à entendre combien l’Européen,
dans ses gestes, ses mots, ses non-dits, manifeste une idéologie
coloniale latente dont il ne sait pas (encore ?) se débarrasser. Le
chapitre sur l’existence inconsciente de pratiques néo colonialistes
à peine larvées dans certains cours d’ alphabétisation est
bouleversant.

L’ Occidental est mystifié par l’image qu’il a construite de lui
même, conditionné malgré lui par son passé de dominant.
Perception qui traverse toutes les couches de la société. La
question du rapport dominant/dominé transcende la question de
classe.

Violent constat parfois intériorisé et restitué par les descendants
de colonisés : « Vos savoirs, vos vies, vos cultures et donc vos
corps n’ont aucune valeur puisqu’ils n’ont pas pu empêcher notre
conquête. »

Oeuvre complexe, transversale, qui touche à la philosophie, aux
sciences humaines, à l’histoire, à l’ethnomusicologie. Recherche
des fondements de l’histoire de la domination. Piolat redéfinit
l’acte colonial comme précédant et englobant le capitalisme, dont
enclosures et chasse aux sorcières sont deux des principes
fondateurs, ainsi que confiscation des terres, soumission des
cultivateurs à la valeur d’échange et destruction systématique des
cultures paysannes.

Une réflexion qui nous concerne, à la fois acteurs et spectateurs,
tous et toutes victimes du fait colonial.

Gisèle Felhendler

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