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Quel avenir pour les éleveurs du Sahel ?

D 7 décembre 2013     H 05:18     A IRIN     C 0 messages


DAKAR) - Les sécheresses de plus en plus sévères et la multiplication des conflits avec les agriculteurs mettent en péril l’avenir de l’élevage pastoral au Sahel. Selon les experts, combiner les systèmes de culture et d’élevage pourrait cependant permettre aux éleveurs et aux agriculteurs de conserver leurs moyens de subsistance.

Les sécheresses ont eu de graves conséquences ces dernières années, notamment celle de 2011-2012, qui a exposé près de 18 millions d’habitants de la région à un risque de faim. [ http://www.irinnews.org/fr/report/96655/analyse-crise-au-sahel-les-le%C3%A7ons-%C3%A0-tirer ]

Selon les experts, des pratiques telles que le pâturage en rotation, la régénération des terres et des arbres, les cultures intercalaires et l’agroforesterie peuvent permettre aux éleveurs de continuer à nourrir leur bétail tout en évitant les conflits avec les agriculteurs au sujet du rétrécissement des terres agricoles.

Le nomadisme

Le pastoralisme nomade demeure un élément essentiel de la vie dans le Sahel, où plus de 60 pour cent de la population élève du bétail.

« Dans le Sahel, les éleveurs pastoraux sont avant tout mobiles », a dit Jonathan Davies, Coordinateur de l’Initiative mondiale de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) pour les zones arides. « Il va sans dire que ce qui définit la majorité des éleveurs pastoraux dans toute l’Afrique, ce sont les déplacements de troupeaux. »

« Mais l’incompréhension et les préjugés règnent. De nombreux gouvernements et organisations d’aide au développement considèrent toujours la mobilité comme un problème auquel il fait mettre fin plutôt que [...] comme la stratégie d’exploitation la plus rationnelle dans un climat hautement variable », a dit M. Davies.

Selon ses explications, les déplacements entre les zones bénéficiant d’une bonne pluviométrie et d’une végétation abondante permettent aux éleveurs de faire face à ces variabilités, notamment dans des pays très secs comme le Niger, où la productivité agricole est faible. [ http://www.irinnews.org/fr/report/96031/mali-pastoralisme-entre-r%C3%A9silience-et-survie ]

« Pour tous les éleveurs pastoraux, une forme quelconque d’agriculture ou de production de fourrage est possible, mais cela ne veut pas dire que ce soit souhaitable », a dit M. Davies. « Moins il y a d’eau, moins on veut en gaspiller pour cultiver une petite oasis. » [ http://www.irinnews.org/fr/report/95307/niger-tchad-l-agriculture-durable-est-elle-possible-au-sahel ]

Empêcher aux éleveurs pastoraux de se déplacer pourrait entraîner la mort de tous leurs troupeaux en cas de sécheresse, a-t-il signalé.

Selon René Alphonse, président de la Fédération nationale de la filière bétail et viande du Mali, le nomadisme devient cependant de plus en plus dangereux.

« Chaque année au Mali, au moins dix personnes meurent à cause des conflits entre agriculteurs et éleveurs dans des villages le long de la frontière guinéenne. L’avenir du pastoralisme m’inquiète si des mesures ne sont pas prises », a-t-il dit à IRIN.

Utilisation durable des terres

Il existe toutefois des manières de tirer parti de surfaces limitées.

La régénération naturelle gérée par les agriculteurs (RNGA), par exemple, incite à la régénération de variétés d’arbres ayant plusieurs fonctions.

« De nombreuses espèces [d’arbres] ont la capacité à repousser à partir de leur souche et de leurs racines après avoir été coupées - même dans des régions arides comme le Sahel », a dit Wondimu Kenea, conseiller en sécurité alimentaire pour l’Afrique de l’Ouest de Vision Mondiale. « Dans le monde, des millions d’hectares de fermes et de pâtures qui semblent dépourvus d’arbres contiennent encore des souches d’arbres vivantes qui peuvent encore donner de nouvelles pousses. »

Avec la RNGA, les agriculteurs décident combien et quelles souches ils vont laisser se régénérer chaque année, et combien de tiges sont nécessaires sur chaque souche. Les tiges excédentaires peuvent alors être coupées et utilisées comme fourrage ou comme bois de chauffe.

Selon M. Kenea, la RNGA a eu des retombées positives pour les petits agriculteurs et agro-éleveurs du Niger, du Mali, du Ghana et du Sénégal. Les Hommes et les bêtes peuvent toujours utiliser une partie des arbres, tandis que le reste peut continuer à pousser.

« [Ils] ont réussi à régénérer des arbres sur leur ferme [et] améliorer la fertilité du sol, la productivité agricole et l’accès au fourrage pour leur bétail, car les arbres qui sont régénérés sont des plantes vivaces pouvant être utilisées tout au long de l’année », a-t-il dit.

Gestion des parcours

L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) recommande une approche connue sous le nom de gestion participative des parcours (GPP). Dans le cadre de cette approche, les utilisateurs de pâturages d’une même communauté se réunissent pour recenser leurs ressources et décider quelles sont les options de gestion des terres les meilleures et les plus durables.

Ils décident notamment où et quand certains secteurs seront réservés pour l’agriculture et les activités pastorales. Ils conçoivent et créent également des accès aux points d’eau. L’objectif est de réduire les conflits entre agriculteurs et éleveurs et de mieux tirer parti de la terre.

Une autre méthode consiste à instaurer des banques de fourrage, c’est-à-dire concentrer des zones de pâturage gérées par les éleveurs près de leur propriété afin de réduire leur recours à la transhumance. Cette méthode est populaire en Afrique de l’Est, mais ce n’est pas encore une pratique courante dans le Sahel, a dit Antoine Kalinganire, coordinateur pour le Sahel et pour les zones arides du Centre international pour la recherche en agroforesterie (ICRAF) d’Afrique de l’Ouest.

« Il existe quelques cas [...] d’éleveurs qui prennent des moutons, les enferment et les font engraisser pour les vendre à l’occasion de grandes fêtes », a dit M. Kalinganire, en expliquant que la méthode n’est possible qu’avec quelques animaux.

La plupart des éleveurs pastoraux du Sahel migrent avec des milliers de têtes de bétail. « Vous ne pouvez pas simplement leur dire d’arrêter de se déplacer », a dit M. Kalinganire.

L’élaboration de banques de fourrage demande également du temps et des investissements que de nombreux agriculteurs sont réticents à réaliser. La plupart des arbres mettent au moins trois à quatre ans pour engendrer des bénéfices et, lorsqu’ils sont jeunes, ils doivent être protégés par du grillage.

Selon les experts, il est peu probable que les éleveurs pastoraux investissent dans des banques de fourrage. [ http://www.irinnews.org/fr/report/95166/niger-la-s%C3%A9cheresse-ne-signifie-pas-la-fin-du-pastoralisme ]

« Les éleveurs pastoraux ne vont cultiver leur propre fourrage que s’ils sont sûrs de pouvoir engraisser leur bétail, vendre leur lait et acheter les céréales dont ils ont besoin et [seulement s’ils sont sûrs] que tout cela est plus économique », a dit M. Davies, de l’UICN. « Et bien sûr, si les marchés sont moroses, il n’en est pas question. Si les marchés sont trop imprédictibles, cela ne fait que les exposer à de nouveaux risques. »

Autre problème, les banques de fourrage nécessitent des droits fonciers, dont la plupart des éleveurs pastoraux ne disposent pas.

Selon les experts, la meilleure méthode est peut-être la culture intercalaire, c’est-à-dire l’intégration de certaines espèces d’herbage ou d’arbres dans les cultures alimentaires annuelles. Cela permet de maintenir une couverture végétale tout au long de l’année et d’améliorer la teneur en nutriments des sols, leur structure et l’infiltration de l’eau tout en produisant de la nourriture, du fourrage et du bois de chauffe après la récolte.

Une autre méthode de culture intercalaire est la jachère, qui consiste à laisser en repos des terres agricoles pendant un certain temps et d’en profiter pour produire du fourrage ou laisser les animaux se nourrir des résidus de culture.

Prendre exemple sur les agro-éleveurs

En ce qui concerne la gestion des terres, une bonne stratégie pourrait être d’étudier les pratiques des agro-éleveurs, qui pratiquent à la fois l’agriculture et l’élevage de petits troupeaux.

« De manière générale, je dirais que les agro-éleveurs sont très intelligents », a dit M. Davies. « Ils doivent l’être pour survivre. Ils cultivent les meilleures plantes qu’ils ont à leur disposition, qui produisent de la nourriture pour eux-mêmes, mais également des résidus pour le bétail. »

Cependant, même les agro-éleveurs dépendent des grands pâturages libres et du fourrage non cultivé lors de la saison sèche. « Je vois peu de possibilités d’augmenter suffisamment la quantité de résidus de culture pour nourrir le bétail sans avoir recours aux pâturages, sauf par le biais de l’irrigation », a dit Adrian Cullis, expert en terres arides et en sécurité alimentaire à la FAO.

Or, l’irrigation nécessite un investissement financier que la plupart des agro-éleveurs ne peuvent pas réaliser. La Banque mondiale encourage actuellement les investissements à grande échelle dans des projets d’irrigation au Sahel pour réduire les risques dus au changement climatique pour les éleveurs pastoraux et pour atténuer la concurrence avec les agriculteurs. [ http://www.worldbank.org/en/news/opinion/2013/10/28/more-irrigation-and-pastoralism-could-transform-africa-s-sahel-region ]

« Mais même [avec une meilleure irrigation], j’imagine que lorsqu’il pleuvra, ces producteurs de cultures irriguées conduiront à nouveau leur bétail sur les parcours naturels pour qu’il profite du pâturage saisonnier, » a dit M. Cullis.

Source : http://www.irinnews.org