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Quelle politique de la France en Afrique maintenant ?

D 8 juin 2012     H 05:13     A Régis Marzin     C 0 messages


« Sarkozy c’est fini ! » Voilà le slogan véritable du 6 mai 2012 en France. La victoire pour Hollande semble aussi se lire en négatif dans la défaite d’un président insupportable à beaucoup. La campagne pour les législatives ne suffira pas pour relever le niveau du débat rabaissé par le président sortant en quête des voix d’extrême-droite. Mais ceci n’est aussi qu’une vision superficielle de période électorale, car ce qui compte vraiment pour François Hollande ce sont des changements économiques et géopolitiques qui auraient demandé des réformes structurelles plus profondes et plus promptes. Il en est de même pour la politique étrangère que pour la politique financière et économique. Il en est donc de même pour la politique française en Afrique. Nous sommes 22 ans après la fin de la guerre froide, 8 ans après la deuxième guerre du golfe et la fin de guerre en haute intensité au Congo-Kinshasa, un an après la fin d’une guerre en Côte-d’Ivoire et d’une autre en Libye, comme nous sommes 4 ans après le démarrage d’une crise systémique du capitalisme ou 4 ans après la victoire de Barack Obama.

La Françafrique définie par François-Xavier Verschave à partir d’une accumulation d’affaires dans ses ouvrages entre 1994 et 2004, est maintenant officiellement reconnue par le monde politique français, quelques années après l’avoir été par les journalistes, et l’expression de « rupture avec la Françafrique » a été couramment utilisée pendant la campagne électorale de la présidentielle. Cependant le terme de Françafrique est employé avec si peu de clarté dans la définition, qu’il semblerait que l’affichage d’une volonté de « rupture » puisse signifier autant une absence de vision et de programme qu’une vraie volonté de changements. Entre les deux partis alliés au gouvernement en France, Parti Socialiste et Europe Ecologie Les Verts, il y a deux différences majeures : l’un contient encore des membres compromis dans les affaires africaines, et l’autre non, l’un n’avait pas vraiment de programme, et l’autre y avait travaillé en lien avec le parlement européen. Deux ministres symbolisent cette divergence : Laurent Fabius aux Affaires Etrangères et Européennes a déjà été premier ministre à une époque de Françafrique forte et vient de rencontrer Ali Bongo et Faure Gnassingbé, alors que l’écologiste presque inconnu Pascal Canfin émerge au nouveau poste de Ministre délégué au Développement après avoir travaillé avec Eva Joly contre les Paradis Fiscaux et Judiciaires. Ces 2 nominations, a priori contradictoires, semble d’abord le signe d’un rapport de force interne et d’une certaine indécision. Dans le journal Libération du 17 mai, le plus célèbre opposant de la société civile gabonaise, Marc Ona, commente : « Son arrivée (celle de Laurent Fabius) nous inquiète. C’est une sorte de dinosaure de la Françafrique. Le fait qu’un écologiste et spécialiste de la lutte contre les paradis fiscaux soit à ses côtés est certes un signe positif, mais ce dernier n’interviendra pas sur les aspects politiques. Or, la Françafrique, c’est d’abord le volet politique. » Au Gabon, qui devrait attendre 2016 pour une nouvelle élection présidentielle, et oublier la mascarade d’Ali Bongo en 2009, l’inquiétude est grande, mais en France rien n’est encore joué. A l’Union Européenne, suite au « printemps d’Afrique du nord », la Commission aux Affaires Etrangères du parlement et la Commission Européenne, l’exécutif de l’Union Européenne, était enfermée dans une diplomatie sclérosée à l’image de la politique française, et face à cette politique médiocre, la Commission au Développement du parlement emmenée par des réformateurs lucides et volontaires, a imposé des choix rapidement en proposant un programme solide associant démocratisation et développement. Suivant cette logique de sortie d’une absence de définition de politique sérieuse véritable, si Laurent Fabius n’est pas suffisamment rapide à mettre en place des réformes, l’histoire n’attendra pas pour lui montrer dans quelle direction elle avance, et il se trouvera toujours des porte-parole pour le lui faire comprendre. Hollande et ses conseillés de l’Elysée, Hélène Le gal ou Thomas Mélonio, pourront toujours de faire valoir dans l’arbitrage. Les démocrates africains n’attendront sans doute pas longtemps pour essayer de profiter des failles.

Concernant le passé, deux priorités devraient se juxtaposer : d’une part, l’impératif de justice et de vérité, indispensable pour lutter contre l’impunité, et mettre la population française face à son histoire, et d’autre, part la transformation des fonctionnements dans le futur par peur des sanctions. Le nouveau gouvernement français s’est engagé à laisser travailler une justice qui restera sur ses gardes après les attaques de Sarkozy. La justice, dont la nouvelle ministre Christiane Taubira a souvent pris des positions courageuses sans abdiquer face à la « raison d’état », et en particulier sur le dossier le plus sensible de l’implication française dans le génocide des Tutsi du Rwanda en 1994, continuera d’imposer des transformations de fonctionnement dans la relation entre la France et l’Afrique. Les plaintes contre l’armée française dans ce dossier rwandais, complètement bloquées depuis des années, et depuis 2012 enfin traitées par un tribunal non militaire, devraient être instruites correctement. Dans l’affaire des Biens Mal Acquis, après les mandats d’arrêts contre Téodorin Obiang, d’autres mandats d’arrêts sont attendus concernant les biens des familles Bongo et N’Guesso, même si les biens ont pu être plus correctement dissimulés les derniers mois. L’affaire du meurtre du juge Borrel à Djibouti en 1994, impliquant le président Ismail Omar Guelleh et indirectement Jacques Chirac, devrait finir par aboutir à un procès « normal », c’est-à-dire non saboté par le pouvoir exécutif. Une autre plainte a été récemment déposée contre la société privée Amésys pour son rôle en Libye dans la surveillance des opposants, dont certains furent ensuite torturés. Les historiens et les juristes, sont également concernés : alors que Sarkozy a essayé d’élargir au maximum le secret-défense, le nouveau gouvernement subira des pressions pour ouvrir les archives et laisser travailler juges et historiens. Cependant, dans le cas des dossiers politiques complexes, la justice peut s’avérer limitée pour considérer des faits historiques selon tous les angles et en particulier pour juger des logiques d’états qui dépassent les faits commis par des personnes physiques. C’est pourquoi, des associations et les partis politiques de gauche, tels Europe Ecologie les Verts et le Front de Gauche, et quelques élus PS, pensent qu’il est du devoir du parlement français de réaliser des Commissions d’Enquêtes Parlementaires sur les grosses affaires impliquant l’état. Sont ainsi évoquées, la collaboration avec la dictature libyenne impliquant le chef de l’état français sortant et ses conseillés, les services secrets et la société privée Amésys, etc.. , la collaboration militaire et policière avec d’autres dictatures en Afrique, une première demande ayant été déposée sous la dernière législature pour le Cameroun, l’implication française dans le génocide des Tutsis en 1994, l’implication française dans l’assassinat de Thomas Sankara en 1987, ou encore le rôle de la Force Licorne en Côte d’Ivoire en 2011. La répartition des sièges de député en juin sera donc importante et l’élection de députés courageux permettrait la prise en main de ces différents dossiers, en complément du travail de la justice.

Rompre avec un passé est une chose, moderniser ou transformer en est une autre. L’impossibilité de sortir d’un fonctionnement sclérosé par l’impunité et la criminalité a généralement empêché les évolutions de se faire. Dans les années 90, quand Jacques Chirac disait que l’ « Afrique n’était pas mûre pour la démocratie », il fallait comprendre qu’une Afrique francophone dont les chefs d’Etat ne seraient pas choisis ou au minimum adoubés à Paris n’était pas encore d’actualité à l’Elysée, pour des raisons économiques et politiques. 22 ans après la fin de la guerre froide et 4 ans après l’arrivée d’Obama au pouvoir aux USA, le contexte international a maintenant changé. Le système néocolonial français s’est grandement affaibli dans la mondialisation, en partie absorbé dans des systèmes plus larges. Les marchés de pétrole et d’uranium sont mondiaux et quand la démocratie s’installe au Niger, la dictature s’enracine au Kazakhstan premier producteur mondial d’Uranium (33% de la production mondiale) et fournisseur d’Electricité de France. La démocratie a progressé en Amérique du Sud de manière continentale comme elle l’avait fait en Europe de l’Est. Parmi les principales évolutions impactant la relation entre la France et l’Afrique et en premier ses anciennes colonies se trouvent donc un certain rejet international des dictatures. L’Union Européenne a commencé à changer de langage en 2011. Sans vouloir revenir sur l’épisode ivoirien très ambivalent, la CEDEAO justifie maintenant des interventions en Guinée-Bissau et au Mali, par un argument de démocratie. L’Union Africaine est prises dans des contradictions. Alain Juppé et Nicolas Sarkozy avaient suivi ces tendances internationales à partir de fin 2010, mais l’historique de soutien des dictatures entre 2007 et 2010, en Libye comme ailleurs, démontrait aussi l’opportunisme et l’hypocrisie. A supposé que les politiciens français ne soient plus bridés par du chantage tel que celui d’Omar et d’Ali Bongo avec leurs cassettes vidéos montrant les versements aux partis et personnalités françaises, il s’agirait maintenant de sortir d’une langue de bois. Un langage diplomatique sans respect des principes de droits humains et de démocratie, ce n’est pas du langage diplomatique, c’est bien plus de la compromission avec la criminalité, compromission malheureusement instituée comme objectif politique pendant la période de la guerre froide se perpétuant ensuite au travers du néocolonialisme.

Moderniser signifierait rationaliser une perception. Au-delà du bilan très négatif de la politique française en Afrique, une vision plus précise, se rapprochant d’un classement, des régimes africains, en préalable à la mise en œuvre d’une nouvelle politique, est nécessaire. La volonté d’aller trop loin dans le sens d’une imitation des constitutions et fonctionnement des institutions par les pays en développement sortant des dictatures poserait certains problèmes. Cependant, le statu quo est catastrophique. Le système des dictatures dans les pays francophones a lui-même été installé selon la volonté françaises à partir des années 60, la libération de ce carcan historique permettrait des choix relativement plus autonome des populations africaines. Plus de cinquante ans après les indépendances, les régimes, dont beaucoup sont des dictatures, des anciennes colonies françaises en Afrique, qui ont toutes pris place dans la Françafrique, sont maintenant dans des situations très hétérogènes dans leur relation de dépendance aux pouvoirs français. 20 pays sont concernés comme anciennes colonies : Algérie, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo-Brazzaville, Côte d’Ivoire, Djibouti, Gabon, Guinée Conakry, Mali, Mauritanie, Madagascar, Maroc, Niger, Sénégal, Tchad, Togo, Tunisie. L’état variable et contrasté des pays par rapport à la qualification de ‘dictature’ mériterait une étude détaillée selon des critères précis, tels que la date de prise du pouvoir, le type de prise de pouvoir, la durée de vie du régime, la possibilité d’alternance, l’organisation des élections et les fraudes, le passage par une guerre impliquant le régime, les crimes contre l’humanité associés au régime, les assassinats politiques, la liberté de la presse, l’état de la justice, l’état de droit, le niveau de corruption, les fortunes personnelles et Biens Mal Acquis, le sous-développement lié à l’absence de gestion rationnelle. Si des critères sont nécessaires pour qualifier, décrire des régimes, il s’agirait avant tout de se placer dans une logique nouvelle derrière les discours, en associant démocratisation et développement, en étant très ferme sur les principes, en retrouvant une compréhension d’un ensemble géopolitique influencé par la France dans une relation positive et non pas accaparante. Cela signifie que les chantages liés aux corruptions dans les deux sens, en France et en Afrique, auraient à devenir impossible. Idéalement, le refus d’une modernisation politique serait à justifier, et, l’absence de justification serait à analyser en fonction d’un contexte épuré des affaires de corruptions aggravées par l’impunité et ses conséquences indirectes. En 2012, la force des dictatures et l’effet sur les populations sont très variés. Les pires régimes, sont, ceux installés au Tchad, Congo-Brazzaville, Cameroun, Djibouti et Centrafrique. A côté de ces 5 régimes laissant les populations dans le désespoir, « la peur change de camp », selon la formule du gabonais Marc Ona, dans d’autres dictatures : c’est sans doute le cas au Burkina Faso, au Gabon et au Togo, même si les solutions pratiques pour se débarrasser de la dictature ne sont pas, c’est le moins que l’on puisse dire, simples. L’autonomie et inversement la dépendance des dictateurs et de leurs clans par rapport aux autorités françaises sont, au stade actuel, très variables. En masse financière, une corruption endogène a pris le relais d’une corruption françafricaine, et cette corruption n’épargne pas les pays les plus démocratiques. Certains pays, tels que le Cameroun, la Centrafrique, le Tchad, le Burkina Faso, et, dans une moindre mesure, le Togo restent très influencé par le pouvoir parisien. Au Gabon ou au Congo-Brazzaville, les dictateurs et leurs clans, profitent de l’argent du pétrole. Le soutien français au dictateur Djiboutien est timide depuis l’assassinat du juge Borrel. Ces 8 pays de dictature très liées à la France forme l’espace principal où continue d’évoluer une Françafrique en fin de vie, selon une définition qui corresponde au système néocolonial. Des schémas nouveaux existent ailleurs et des pays ont récemment évolué vers une certaine démocratie : la Tunisie, le Niger, et la Guinée Conakry, la transition démocratique en Guinée Conakry avançant très difficilement. Au Bénin, des fraudes en 2011, au Sénégal, le cinéma de Wade pour échapper aux sanctions contre la corruption, au Mali, le coup d’état pendant l’offensive militaire, montrent que la démocratisation est partout fragile.

Une des solutions les plus couramment évoquées pour transformer la relation France-Afrique serait de placer la politique française dans un cadre européen. La politique du président Sarkozy en Côte-d’Ivoire ou en Libye a affiché plutôt une volonté de se placer dans un espace international plus large avec l’ONU, l’OTAN, l’Union Africaine comme acteurs, l’Union Européenne jouant un rôle secondaire. Cela était provisoire. L’Europe modifie depuis plusieurs années la relation entre France et Afrique de manière structurelle : aide publique et processus électoraux associés l’un à l’autre sont venus enlever à la Françafrique une partie de son poids. Il y a des processus imitatifs au niveau européen des processus de la Françafrique, par exemple avec des personnalités comme Louis Michel, impliqué dans le soutien à la dictature togolaise, mais un rapport de force en 2010 et 2011 s’est créé en interne des institutions européennes qui a basculé à l’avantage de réformateurs contre les imitateurs de la posture française. La Mission d’Observation Electorale au Togo en 2010 avait montré que l’Union Européenne pouvait se compromettre au niveau politique et ses techniciens se faire instrumentalisés par des dictateurs dans une démocratisation factice, et cela s’était confirmé au Tchad en 2011. De l’aide au développement européenne est détournée au même titre que l’a été l’aide publique française depuis des décennies. Mais depuis le « printemps d’Afrique du Nord », la politique étrangère européenne commune pour l’Afrique commence à se définir plus sérieusement. Le 7 juillet 2011, sur proposition de sa Commission des Affaires Etrangères, le Parlement Européen a voté une « Résolution sur les politiques extérieures de l’Union Européenne en faveur de la démocratisation » à destination de la Commission Européenne qui associe démocratie, développement et droits humains [1], un véritable camouflet pour la Commission Européenne et sa Haute Représentante de l’Union pour les Affaires Etrangères et la Politique de Sécurité, Catherine Ashton. Dans l’avenir, si la politique étrangère européenne continue à se construire, elle pourrait influencer durablement la politique française en Afrique. En France, le changement de nom du Ministère de la Coopération en Ministère du Développement peut être compris comme un changement dans le sens d’une imitation de la position européenne impliquant un fonctionnement cohérent entre parlement et exécutif, le parlement assurant la transparence qui manquait. Cela signifie aussi pour la diplomatie française d’arrêter de jouer cavalier seul dans ses anciennes colonies et de s’accorder avec d’autres pays, tels la Grande-Bretagne et l’Allemagne, dont les ambassades prennent déjà de plus en plus d’initiatives concrètes dans le pré-carré français, par exemple, en soutenant des journalistes ou des sociétés civiles opposés aux dictatures. D’autres enjeux que ceux de la démocratie et du développement doivent pouvoir être débattus plus librement et scientifiquement, en Afrique, avec, surtout, des enjeux plus spécifiques économique et financier, par exemple, les souverainetés alimentaire, monétaire, énergétique, ou encore des enjeux environnementaux cruciaux à plus long terme. Même si les débats ont déjà commencé, l’évolution politique est un préalable à l’accélération des réformes. La fin du Franc CFA sera décidée et organisée en Afrique et pas en France.

L’armée française constitue une armature du système néocolonial français en Afrique depuis les années 60. Que ferait la France de son armée sans l’Afrique ? Cette question est encore taboue. La population française n’a jamais été mécontente que l’armée française dispose de sa zone d’activité en dehors, car, elle n’intervient presque plus dans les affaires nationales. Les militaires eux-mêmes accepteraient assez facilement une modernisation de leurs activités, s’ils gardaient l’avantage de disposer d’un espace de déploiement suffisant. Les accords de défenses ont fait l’objet de débats avant les publications à partir de fin 2011, des premiers d’entre eux pour l’Afrique Subsaharienne, ils n’étaient pourtant déjà plus réellement stratégiques, les opérations se décidant maintenant par d’autre biais. François Hollande est favorable, après la fermeture de la base au Sénégal, à une poursuite des retraits au niveau des bases militaires permanentes et des opérations militaires extérieures. Ces forces françaises présentes pourraient-elles encore intervenir en faveur de dictatures ? Il sera maintenant très délicat de justifier des interventions comme celle de 2007 au Tchad pour sauver Idriss Déby et la question ne se posera plus ainsi. Au Gabon, Ali Bongo, investit dans son armée et sa police pour pouvoir se passer de l’aide française en période de crise, comme celle de 2009, où l’armée française s’était montrée discrètement pendant le putsch électoral. En Côte d’Ivoire, il aura fallu une élection présidentielle sensée en finir avec un conflit armé pour que le Licorne retrouve un peu de l’espace perdu en 2004. A l’époque du « devoir de protéger », il est maintenant nécessaire de justifier les décisions, même s’il est permis de s’appuyer sur des artifices. Le débat commencé autour des troupes françaises ne peut que se poursuivre, aussi parce que cela coûte très cher aux contribuables. Le caractère tabou de la présence militaire et policière se voit surtout toujours au niveau de la coopération militaire quotidienne avec des régimes non démocratiques. Cette coopération s’adapte, jusqu’à présent, à toutes les situations. Les conseillers français continuent d’être présents auprès de l’armée et des forces de l’ordre, pilier des régimes. La coopération militaire française avec les dictatures africaines est structurellement si bien établie, tellement assimilée, que le scandale semble être invisible. L’incident de l’altercation entre le photographe togolais Didier Ledoux et le lieutenant-colonel français Létondot en août 2010 a été étouffé parce que la coopération militaire française ne peut souffrir d’aucune publicité. Les programmes de coopération impliquant la France et l’Union Européenne mélangent maintenant formations au maintien de l’ordre et dans la justice, pour rendre l’ensemble plus présentable. Ce flou sur les principes politiques reflète un système issu de la guerre froide et n’a plus de ‘justification’. François Hollande et ses ministres devront trouver une nouvelle voie pour l’armée française basé sur des objectifs rénovés. C’est au Sahel que semble être en train de se tester un nouvel équilibre. La diplomatie française soutenait jusqu’à présent Blaise Compaoré et le général Mohamed Ould Abdel Aziz pour des raisons de luttes antiterroristes. Avec le Niger et le Tchad, et peut-être bientôt le Mali, l’armée française est présente dans toute la bande sahélienne. Vouloir sortir le Mali de la guerre actuelle, nécessiterait de trouver des solutions à plus long termes qui ne soit pas que militaires : les questions de démocratie, corruption, et développement se posent déjà dans le conflit du Nord Mali.

En dehors du Mali, les premières échéances urgentes pour les nouveaux gouvernement et parlement viendront du calendrier électoral africain très fourni sur le deuxième semestre 2012. Le président et le gouvernement sont très attendus sur les élections puisque l’époque de Sarkozy entre 2007 et 2010 a été marquée par les compromissions avec les élections truquées organisées par les dictateurs pour se maintenir. L’attente d’un renouveau de la politique française de la part de tous les démocrates véritables est très grande. Sortir d’une langue de bois françafricaine consistera à considérer les situations avec leurs véritables enjeux liés à un historique qui ne peut s’effacer. En aucun cas, l’organisation d’une élection n’exonère un ancien chef d’état de la considération juste de son bilan en termes de droits humains et de démocratie. Une série de législatives commence cet été : Sassou N’Guesso pense, en Juillet, organiser une mascarade de plus, discrètement et avant toute réorganisation en France. Au Cameroun également, les législatives prochaines ne laissent que peu d’espoir. Au Burkina Faso, en décembre, la qualité de l’organisation sera surveillée. Au Togo, seul pays où une opposition à la dictature pourrait l’emporter, les réactions de l’exécutif français avant, pendant et après les législatives seront très attendues. Une diplomatie française qui ne s’éloignerait pas des compromissions du passé, sera considérée comme une poursuite des dérives de la Françafrique. Certains pays, Madagascar, Mauritanie, Guinée Conakry, ne fournissent toujours pas de dates et accumulent des délais. Il ne s’agit plus d’organiser une élection factice selon le calendrier d’un seul parti, mais d’arriver à des processus électoraux qui fournissent enfin une légitimité. Les pressions internationales pour éviter les coups d’état, ou atténuer leurs effets, continueront, mais certains pays pourraient en connaitre. Face au cas par cas, et à la complexité des historiques, la question se pose pour Hollande de choisir de se confronter globalement à la question de la démocratisation à l’échelle continentale en la promouvant par des initiatives fortes ou des événements qui fassent oublier la Françafrique. Il pourrait par ailleurs s’agir de discuter de propositions concrètes telles que des élections à 2 tours, la limitation à 2 mandats, la séparation des pouvoirs, le quinquennat, l’impossibilité de modifier la constitution, la protection de la liberté de la presse, etc.., en poussant vers à un dialogue international qui aide certains pays enfermés dans des impasses nationales à retrouver un chemin plus rapide vers la démocratie. Une attention particulière sera nécessaire concernant la corruption : au Sénégal, l’enjeu de la présidentielle portait autant sur la corruption et la qualité de la démocratie que sur le choix du dirigeant lui-même.

Hollande en arrivant au pouvoir a admis que cela ne serait pas facile. En finir avec les restes de la Françafrique et du néocolonialisme ne sera évidemment pas simple, même si cela est indispensable à ce stade. Supprimer les effets récurrents d’une impunité systémique est un préalable, pour que la politique française soutienne démocratie, justice et développement. Fonder un ensemble cohérent de décisions politiques et de mesures concrètes sur un débat public impliquant fortement les élus permettrait de rationaliser en modernisant techniquement tout en priorisant. L’Afrique le demande, la santé de la démocratie française le nécessite également.

Régis Marzin, 24 mai 2012, article publié dans Tribune d’Afrique du 29 mai 2012

[1] Rapport et résolution A7-2011-0231 adoptée par le parlement, avis des commissions, débat, résultats des votes :

http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=REPORT&reference=A7-2011-0231&language=FR#title2

http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P7-TA-2011-0334&language=FR&ring=A7-2011-0231

Source : http://regardexcentrique.wordpress.com