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SAHEL : Il faut agir maintenant pour éviter une autre crise

D 17 janvier 2012     H 04:33     A IRIN     C 0 messages


DAKAR - Selon les organisations d’aide humanitaire, les bailleurs de fonds doivent agir maintenant pour prévenir une sécheresse et une crise de la sécurité alimentaire qui, pour plus de 11 millions de personnes, pourrait se traduire par une aggravation de l’insécurité alimentaire, la pauvreté ou la malnutrition.

Des millions de familles de fermiers et d’éleveurs ne se sont pas encore remises de la sécheresse et la mauvaise récolte [ http://www.irinnews.org/InDepthMain.aspx?indepthid=81&reportid=89910 ] qui ont détruit leurs moyens de subsistance et aggravé leur insécurité alimentaire en 2009.

Selon les gouvernements, les agences des Nations Unies et les organisations non gouvernementales (ONG), six millions de Nigériens ; 2,9 millions de Maliens ; 700 000 Mauritaniens - soit plus du quart de la population du pays - ; et plus de deux millions de Burkinabés sont considérés comme très vulnérables à l’insécurité alimentaire et à la malnutrition et l’appauvrissement potentiels qui y sont associés. Au Tchad, 13 régions sur 22 pourraient être affectées par l’insécurité alimentaire.

Dans certaines régions du Niger, de la Mauritanie, du Tchad et du Burkina Faso - ainsi que dans certaines zones d’autres pays du Sahel [ http://www.irinnews.org/fr/reportfrench.aspx?reportid=94102 ] -, les maigres précipitations ont entraîné de mauvaises récoltes de céréales. Pour plusieurs, cet élément, combiné à d’autres facteurs, pourrait signifier l’arrivée précoce, dès janvier, de la saison de soudure, qui commence généralement en mars ou en avril.

Parmi les facteurs qui contribuent à la vulnérabilité des Sahéliens, on peut notamment citer les prix élevés des denrées alimentaires dans la région (selon Oxfam, le coût des céréales a augmenté de 40 pour cent par rapport à la moyenne des cinq dernières années) ; la sécheresse de 2009, qui, malgré des précipitations abondantes en 2010, a contraint les éleveurs et les fermiers à vendre leurs bêtes et leur nourriture et ne leur a pas laissé le temps de reconstituer leurs réserves et leurs troupeaux ; et la diminution des transferts de fonds associée au retour des travailleurs migrants de la Libye [ http://www.irinnews.org/fr/reportfrench.aspx?reportid=93107 ] , mais aussi potentiellement de l’Europe.

Dix ans pour reconstituer un troupeau

« Ces crises sont de plus en plus rapprochées, ce qui signifie que la population dispose de très peu de temps pour se remettre entre chacune d’elles », a dit Thomas Yanga, directeur régional du Programme alimentaire mondial (PAM), à des journalistes lors d’une conférence de presse organisée la semaine dernière.

Selon une étude réalisée par le gouvernement dans 14 départements agropastoraux du Niger, les éleveurs qui possédaient des petits troupeaux ont perdu en moyenne 90 pour cent de leur bétail lors de la crise de 2009. Le directeur d’Oxfam au Niger, Mohamed Aly Ag Hamana, a dit à IRIN qu’il fallait au moins trois ans pour reconstituer un petit troupeau de moutons et de chèvres, et jusqu’à 10 ans pour un troupeau de bovins.

La région du Sahel est chroniquement vulnérable [ http://www.irinnews.org/InDepthMain.aspx?indepthid=81&reportid=89734 ] à la malnutrition, l’insécurité alimentaire et la sécheresse. Selon le Groupe de travail sur le Sahel (GTS), un tiers de la population du Tchad souffre de sous-alimentation chronique même lorsque les récoltes sont bonnes. En 2010, 250 000 enfants nigériens ont souffert de malnutrition aiguë en dépit de récoltes exceptionnelles, a dit Cyprien Fabre, chef du bureau régional de l’Office d’aide humanitaire de la Commission européenne (ECHO) pour l’Afrique de l’Ouest.

« La récolte de cette année est considérée comme faible à moyenne. Même si elle n’est pas catastrophique, la région peut encore connaître une crise », a dit Rémi Dourlot, porte-parole du Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).

Selon le Comité permanent inter-États de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS), la production céréalière a diminué de 25 pour cent en 2010 dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest. Au Tchad et en Mauritanie, elle a diminué de 50 pour cent par rapport à 2010 et de 28 et 38 pour cent respectivement par rapport à la moyenne des cinq dernières années, selon Eric Hazard, responsable régional Oxfam de la campagne Justice économique.

Déjà en crise

Certains Sahéliens vivent déjà dans des conditions de crise, a dit Marietou Diaby, directrice adjointe d’Oxfam au Mali.

Selon elle, certains éleveurs de Kayes, dans l’ouest du Mali, ont commencé à vendre leurs troupeaux. Les pastoralistes du Mali, du Niger, du Tchad et de la Mauritanie se sont mis en marche il y a un mois déjà en quête de pâturages pour leurs bêtes. Les bonnes années, ils partent seulement en transhumance à partir du mois de janvier.

Ces déplacements précoces pourraient entraîner des problèmes de surpâturage et l’exacerbation des conflits dans des endroits comme le delta du Niger, Gourma, dans le nord du Mali, le lac Tchad, le nord du golfe de Guinée, le sud du Tchad et d’autres régions, ont averti le PAM et l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) dans leur bulletin mensuel de suivi de la sécurité alimentaire.

Si des actions ne sont pas entreprises immédiatement, les prix du bétail risquent de chuter et les éleveurs auront de plus en plus de difficulté à acheter du blé. Environ la moitié des cheptels de la Mauritanie et du Tchad manquent de pâturages, a indiqué M. Hamana, d’Oxfam, ajoutant : « Nous devons aider les pastoralistes à procéder maintenant au déstockage des troupeaux avant que les prix ne baissent ».

Même si les prix du bétail demeurent stables, le coût élevé du blé empêche déjà de nombreux éleveurs de se procurer de la nourriture, a dit Mme Diaby.

Sur certains marchés, les denrées alimentaires se font de plus en plus rares. Au Mali, les réserves de millet et de sorgho sont si maigres que les marchands en gros du marché de Bagadadji, dans la capitale, Bamako, ne vendent plus que du blé, selon le PAM et la FAO.

À Tillabéri, dans le nord-ouest du Niger, les enfants ne vont déjà plus à l’école et les jeunes hommes ont quitté la région pour chercher du travail.

Ce devrait être une période prospère, a dit M. Yanga. « Ce sont des conditions inhabituelles à ce temps-ci de l’année », a-t-il dit.

Ce qu’il faut

Dans un rapport intitulé Échapper au cycle de la faim - Les chemins de la résilience au Sahel [ http://www.irinnews.org/report.aspx?reportid=94082 ] , le Groupe de travail sur le Sahel (GTS) souligne la nécessité d’un déstockage précoce, d’investissements dans les projets liés à l’eau [ http://www.irinnews.org/InDepthMain.aspx?indepthid=81&reportid=89432 ] , d’une répartition et d’un entreposage plus adéquats des aliments pour les animaux afin de sauver le bétail [ http://www.irinnews.org/report.aspx?reportid=90754 ] . Il mentionne également l’importance des activités rémunératrices et de protection sociale ainsi que des efforts pour améliorer l’alimentation des Sahéliens.

Si les gouvernements, les organisations d’aide humanitaire et les bailleurs de fonds agissaient rapidement lorsqu’une crise alimentaire aiguë éclate, ils pourraient atténuer les conséquences énormes de la crise sur les moyens de subsistance et éviter la perte des biens de production par les ménages vulnérables, ajoute le rapport.

Les sécheresses de plus en plus fréquentes qui frappent le Sahel font ressortir la nécessité de mettre en place une réponse différente qui tient compte des alertes précoces et s’attaque aux causes profondes et aux problèmes nutritionnels chroniques, a dit M. Yanga, du PAM. « Ces crises surviennent de plus en plus souvent... Nous ne savons pas si cela va durer, mais c’est une tendance que nous observons aussi ailleurs ».

Il faut qu’il y ait davantage d’investissements à long terme dans la région, a dit Stephen Cockburn, coordinateur régional des campagnes et politiques d’Oxfam pour l’Afrique de l’Ouest. « Même après les crises de 2005 et de 2009, il n’y a pas eu suffisamment d’investissements dans l’agriculture durable et les programmes de réduction de la pauvreté », a-t-il dit à IRIN.

Il est encore temps d’agir

Il est encore temps d’agir pour éviter une crise à grande échelle, a dit M. Hazard, d’Oxfam, citant quelques facteurs positifs : « Les alertes précoces nous parviennent très rapidement, les gouvernements des pays affectés ont réagi avec célérité cette année... et certains donateurs ont aussi répondu promptement pour éviter la crise ».

Le Niger a été le premier pays à lancer un appel d’urgence, début novembre, et à élaborer un plan de réponse. La Mauritanie et le Burkina Faso travaillent actuellement à la mise au point d’une stratégie pour réagir à la crise. Parmi les mesures prévues, on peut notamment citer la vente de céréales à prix subventionnés, la distribution de vivres, la reconstitution des stocks nationaux de céréales et, dans le cas du Niger, le lancement d’un programme d’investissement dans le bétail.

La semaine dernière, ECHO a annoncé une intervention de 13 millions de dollars pour atténuer l’impact de la crise dans la région. Le Fonds central d’intervention d’urgence des Nations Unies a par ailleurs accordé six millions de dollars au PAM, à la FAO et au Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) pour mettre en place leur réponse d’urgence.

D’autres bailleurs de fonds doivent les imiter, a dit M. Cockburn. « Il est de notre responsabilité d’éviter les erreurs du passé : nous n’avons aucune excuse », a-t-il dit à IRIN.

Selon Oxfam, les interventions précoces sont beaucoup moins chères que les réponses d’urgence. L’ONG rappelle les chiffres évoqués par Jan Egeland, l’ancien coordonnateur des secours d’urgence des Nations Unies, qui affirmait que le coût de la prévention de la malnutrition aiguë chez un enfant du Sahel était d’un dollar par jour en 2004 contre 80 dollars par jour en 2005.

M. Fabre espère que d’autres bailleurs de fonds modifieront leur approche afin de concentrer leurs efforts sur le renforcement de la résilience avant et après la crise. Après tout, « nous ne pouvons pas mettre en place une réponse d’urgence chaque année. Ce n’est pas viable », a-t-il conclu.

Sopurce : http://www.irinnews.org