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Sortir du Franc CFA pour briser le carcan Néocolonial !

D 11 janvier 2012     H 05:22     A Paul Martial     C 0 messages


Avec la crise économique les rumeurs se font de plus en plus
pressantes sur la dévalorisation du Franc CFA ; ceci
occasionne de multiples débats sur l’opportunité, ou non,
pour les pays africains qui en sont membres de sortir de ce
système. Une occasion pour « Afrique en Lutte » de revenir sur le
sujet.

En fait quand on parle de Franc CFA on devrait parler des Francs
CFA puisqu’il y a plusieurs monnaies qui coexistent sous cette
appellation, indépendamment les unes des autres.
Le Franc CFA de l’Afrique de l’Ouest dont le Bénin, le Burkina
Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le
Sénégal et le Togo sont membres.
Celui de l’Afrique Centrale avec le Cameroun, la République
centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale
et le Tchad.

A ces deux groupes majeurs s’ajoutent le Franc des Comores, de
la Guinée et du Rwanda. Pour les deux premiers groupes chacun
a sa structure bancaire idoine chargé de gérer la monnaie, la
Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pour
l’Afrique de l’Ouest et Banque des États de l’Afrique centrale
(BEAC) pour l’Afrique Centrale.

De manière très simple on peut considérer le Franc CFA, dont
l’ancien nom était Franc des colonies françaises d’Afrique, comme
une excroissance africaine de l’Euro après qu’il ait remplacé le
Franc. Le Franc CFA a un taux de change fixe avec l’Euro et les
pays africains de la zone CFA ont l’obligation de déposer la moitié
de leur réserve de change au Trésor Public français. Les droits
d’émission sont censés être décidé par les deux banques BCEAO
et BEAC, mais l’effectivité de leurs décisions requiert une
unanimité, ce qui se traduit dans les faits par un droit de veto
pour les représentants du Trésor Public français. L’épisode de
1994, où le gouvernement français de l’époque, de manière
unilatérale et brusquement, avait décidé la dévalorisation de 50
% de la valeur du Franc CFA, montre qui sont les vrais maîtres de
cette monnaie.

LES LIMITES D’UN DÉBAT

Adversaires et partisans du maintien de la zone Franc CFA
s’échangent, depuis des décennies, les mêmes arguments. Pour
les uns, le maintien dans la zone CFA est une garantie de stabilité
économique qui permettrait un développement productif et un
afflux d’IDE (Investissement Direct Etranger), argument loin
d’être convainquant car les stabilités économiques peuvent se
trouver dans d’autres pays africains, comme c’est le cas de la
plupart des pays d’Afrique Australe. A contrario, il est pour le
moins difficile de présenter des pays tels la République
Centrafricaine come l’archétype de la stabilité économique.
D’ailleurs les experts économiques soulignent : « le secteur
bancaire est demeuré généralement bien capitalisé et a disposé
de provisions suffisantes, des frictions sont néanmoins apparues
çà et là. La faillite de plusieurs institutions de dépôt illégales dans
quelques pays, dénotait certaines insuffisances des mécanismes
de régulation et de surveillance. La trop forte exposition des
banques commerciales à des prêts non performants accordés au
secteur du coton au Bénin, au Burkina Faso, au Tchad et au Mali,
a constitué une vulnérabilité substantielle étant donné que les
prix intérieurs sont faibles depuis plusieurs années »[1]. Il se
trouve que les pays incriminés appartiennent tous à la zone CFA,
tout comme une grande partie des pays classés PMA (Pays les
Moins Avancés).

Pour ce qui est de l’afflux des IDE, il est motivé
par des pays producteurs de ressources minérales, pétrole en
tête. « Selon les estimations, il y a eu une baisse des flux totaux
d’IED vers l’Afrique, mais en réalité les flux d’IED vers le secteur
extractif ont augmenté[2] » A ce titre des pays comme l’Algérie,
la Guinée-équatoriale, le Nigeria, le Soudan et le Tchad[3] ont
largement bénéficié des investissements de capitaux étrangers,
sans pour autant que les populations locales y trouvent un
quelconque bénéfice, indépendamment de leur appartenance à la
zone CFA. A contrario, le Franc CFA n’est pas plus un obstacle
qu’un avantage à l’activité économique. Il peut être un handicap
pour les exportations, notamment des productions agricoles, du
fait de sa surévaluation, mais il devient un avantage pour les
importations de pétrole ou de produits manufacturés venant de
l’Occident ou des pays asiatiques.

On prête à la zone CFA des vertus qu’elle n’a pas ou des vices
pas plus mérités, notamment que le système CFA favoriserait une
plus grande évasion des capitaux. Le Nigeria, dont les flux
financiers illicites de puis 1970 s’élève à 89.5 milliards de dollars,
est en tête du peloton suivi de l’Égypte, l’Algérie, le Maroc et de
l’Afrique du Sud ; aucun pays ne fait partie de la zone CFA[4].
En fait les arguments pour et contre donnent une importance
démesurée à la monnaie qui ne reflète in-fine que l’état réel de
l’économie d’un pays ou d’une zone de pays.

SORTIR DE LA ZONE CFA POUR SORTIR DU PACTE COLONIAL

Rien ne peut justifier cette situation exceptionnelle, où un pays
(la France) gère la monnaie d’une quinzaine de pays africains, au
regard de la situation économique de ces pays qui n’a rien
d’exceptionnellement bonne en comparaison des autres pays,
toutes choses égales par ailleurs.

Une raison essentielle qui motive la sortie du système du Franc
CFA est, paradoxalement et avant tout, une raison politique. C’est
l’affirmation que les Etats doivent être maitres de la gestion de
leur monnaie car, à travers les Etats, ce sont les populations qui
ont ou devraient avoir un droit de regard sur l’administration de
leur monnaie et non de quelconques hauts fonctionnaires du
Trésor français. La monnaie n’est pas seulement un simple
instrument d’échange, elle remplit aussi d’autres fonctions
économiques qui permettent d’influer sur le cours réel de
l’économie, même si c’est de manière limitée et il n’y a aucune
raison pour que ces prérogatives soient déniées aux Etats et aux
populations. De plus « (…) la monnaie a une réalité plus sociale
qu’économique. Elle permet la régulation des comportements des
individus vivant en société. Elle a une fonction collective, celle
d’assurer une partie du consensus, mais elle a aussi une fonction
sociale individuelle. »[
5]

Les récents événements de la Côte d’Ivoire, indépendamment de
notre totale opposition avec le régime Gbagbo, montrent que sa
chute a été provoquée par l’armée française stationnée dans le
pays et par la politique d’asphyxie financière permise par la
mainmise de la France sur le Franc CFA.

On peut, sans aucun souci, ne pas être dans la zone Franc CFA
tout étant une économie dépendante de l’ancienne puissance
coloniale comme la Mauritanie, Madagascar, le Congo Kinshasa
etc., mais l’inverse est évidement impossible. Rompre avec le
« développement du sous-développement », c’est-à-dire une
économie au service des multinationales des pays occidentaux, et
maintenant Chinois, nécessite d’être indépendant dans la gestion
de sa monnaie.

Au niveau économique, les débats sur le maintien ou la sortie du
système du Franc CFA, s’ils ne sont pas accompagnés d’un projet
politique qui brise réellement le carcan néocolonial, n’ont pas plus
d’intérêt que les débats sur la sortie ou non de l’Euro, pour les
pays européens, si in-fine le but est de faire payer la crise du
capitalisme aux populations.

Paul Martial

 [1] Commission économique pour l’Afrique et Union africaine Rapport économique sur l’Afrique 2011 p39
 [2] Ibidem p 33
 [3] Ibidem p66
 [4] Jeune Afrique numéro 2569 du 4 avril.2010
 [5] Michèle Giacobbi & Anne-Marie Gronier in Monnaie Monnaies éditions Le Monde p 26