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« Véhiculer une image positive de la diaspora »

D 11 avril 2016     H 05:55     A Moulzo, Neferissa     C 0 messages


AFRIQUES EN LUTTE : Neferissa, pouvez-vous nous parler de votre association Black is really Beautiful, comment est-elle née ? Quels sont ses objectifs ?

Neferissa : J’ai créé l’association Black is really Beautiful avec ma sœur en juin 2013 dans le but de mettre en lumière l’histoire des Afro-descendants et ses héros qui ont contribué à l’avancée de l’histoire de l’humanité et aussi pour aborder des thématiques méconnues du grand public. Elle est née suite au constat du manque de connaissance de l’histoire des personnes d’ascendance africaine et de la nécessité d’agir à notre échelle pour inciter les personnes à se documenter sur les différents sujets abordés.
Les objectifs sont de véhiculer une image positive de la diaspora tout en offrant une alternative éducative sur l’histoire pour une émancipation identitaire et culturelle.

AEL : Vous avez participé au dernier salon anticolonial organisé tous les ans au mois de février aux côtés d’Afriques en lutte. La colonisation a-t-elle eu une responsabilité dans cette dévalorisation de l’homme noir dont vous nous parliez ? Peut-on dire que la décolonisation des mentalités est une nécessité ?

Neferissa : Il est clair que la colonisation, tout comme l’esclavage, a une grande responsabilité quant à la dévalorisation de l’homme noir. L’infériorisation de l’Africain a donné naissance au racisme qui est la résultante d’un système économique qui a confectionné des doctrines philosophiques, religieuses et pseudo-scientifiques pour légitimer et banaliser l’oppression aux yeux de l’oppresseur et intérioriser l’infériorité martelée à l’opprimé. La décolonisation des mentalités est une véritable nécessité pour venir à bout de la profonde mésestime de soi de l’homme noir.

AEL : Beaucoup d’inventions ont été faites par des hommes et des femmes noirs mais cela est peu enseigné y compris en Afrique. Pouvez-vous nous en parler ?

Neferissa : Oui, par exemple le masque à gaz et le feu tricolore ont été inventés par Garrett Morgan en 1914 et en 1923, tout le monde pense que l’ampoule a été inventée par Thomas Edison, ce qui est en partie vraie mais son ampoule était en filament de bambou et finissait par griller au bout de 30 heures et c’est le jeune Lewis Howard Latimer, petit-fils d’esclaves qui travaillait pour Edison qui inventa l’ampoule au filament de carbone pour lequel il obtint un brevet en 1881.

On peut citer aussi le système de pollinisation de la vanille qui a été inventé par Edmond Albius, un esclave réunionnais de 12 ans qui, du fait de sa condition, n’a pu tirer aucun profit de son invention, et on peut parler du Guadeloupéen, Raoul Georges Nicolo, grâce à qui nous pouvons recevoir toutes les chaînes de télé sur un même poste… Et la liste des inventions est longue. Il est nécessaire de parler de ces inventeurs aux membres de la diaspora pour mettre en avant les différentes contributions au progrès général de l’humanité.

AEL : Vous êtes membre de la diaspora africaine établie en France et vous êtes aussi française. Le combat de votre association est noble car il faut offrir aux jeunes Noirs de France d’autres modèles que des sportifs et des chanteurs. Comment travaillez-vous concrètement ? Intervenez-vous dans les écoles ?

Neferissa : Offrir d’autres modèles que des sportifs et de chanteurs est important afin de faire comprendre aux jeunes qu’ils ont en eux le potentiel de réussir et de briller. On travaille de différentes manières, nous avons une page wordpress en français et une page facebook en anglais qui rassemble plus de 118 000 personnes à travers le monde entier où l’on diffuse des images positives afin d’exercer un contre-pouvoir. La femme noire est mise en valeur, les coiffures traditionnelles et naturelles aussi. De plus, on poste des portraits d’hommes et de femmes de la diaspora qui se sont illustrés dans différents domaines, on suggère aussi la lecture d’ouvrages clés, comme ceux de Cheikh Anta Diop, Frantz Fanon, Anténor Firmin, Marcus Garvey, W. E. B. Du Bois ou Carter Godwin Woodson…

Enfin, nous distribuons gratuitement dans la rue, à la sortie des écoles et lors de divers événements des supports sur les inventeurs noirs et des marque-pages avec les dates et faits à connaître sur l’esclavage et le massacre des tirailleurs sénégalais au camp de Thiaroye afin de sensibiliser le plus grand nombre.

AEL : Ne faut-il pas également lier cette lutte à la décolonisation des mentalités des ex-colonisés y compris en Afrique où des siècles d’esclavage et de colonisation ont détruit et surtout construit l’image actuelle du nègre. Y a-t-il des organisations africaines avec lesquelles vous êtes en contact ?

Neferissa : Bien sûr qu’il faut lier cette lutte à la décolonisation des mentalités des ex-colonisés. Dans son ouvrage Décoloniser l’esprit, le romancier kenyan Ngugi wa Thiong’o disait que l’Afrique avait été habituée à regarder l’Europe comme le centre de la civilisation et que, petit à petit, la culture occidentale avait envahi les programmes scolaires reléguant les cultures africaines au second plan. Force est de constater que la soumission de l’univers mental du Noir s’est faite par la soumission des langues des peuples colonisés aux langues des nations civilisatrices et par une dévalorisation systématique de leurs cultures. Je pense que la décolonisation de mentalités passe par une réappropriation des valeurs africaines, par l’usage des langues locales, la valorisation de l’art, de l’histoire et de la littérature écrite et orale.

AEL : Avant la colonisation, il existait en Afrique des empires prospères et avancés qui n’avaient rien à envier à l’Europe. Le savoir-faire des artisans africains est réel et aujourd’hui encore ce savoir-faire est maintenu. Si parler des inventions modernes faites par des Noirs est nécessaire, ne faut-il pas aussi valoriser ces savoir-faire qui ont traversé les âges et témoignent de la dynamique de la créativité et l’enseignement africains ?

Neferissa : Il faut valoriser le savoir-faire des Africains qui est une véritable richesse pour le continent qui regorge de génies dans de nombreux domaines et il est de notre devoir de transmettre ce précieux héritage à la nouvelle génération.

AEL : De plus en plus d’intellectuels revendiquent le droit d’enseigner aux Africains en langue locale, ce que défendait aussi un grand penseur comme Cheikh Anta Diop. Pensez-vous que l’appropriation de l’enseignement et de l’éducation dans les langues locales peut contribuer à la décolonisation des mentalités ? Comment en effet enseigner dans la langue du colonisateur et espérer être performant ? Qu’en pensez-vous ?

Neferissa : Certainement, je pense que l’appropriation de l’enseignement et de l’éducation en langues locales est indispensable pour amorcer une décolonisation des mentalités car chaque langue est un moyen de communication et un vecteur de culture, de mémoire de l’expérience collective d’un peuple à travers l’histoire. Enseigner dans la langue du colonisateur dénature forcément l’authenticité d’une culture qui a son propre paradigme.

AEL : L’Union Africaine considère la diaspora comme partie entière de l’Afrique. Elle « invite et encourage la pleine participation de la diaspora africaine en tant qu’élément important pour le continent dans la construction de l’Union africaine ». Votre action ici en France où il y a une forte communauté d’origine africaine sert ces objectifs. Donner conscience aux jeunes Africains de la diaspora est un objectif noble. Avez-vous pris contact avec des organisations, des associations ou même une institution comme l’Union africaine pour vulgariser votre action ?

Neferissa : L’association a bientôt trois ans d’existence et se fait connaître progressivement mais nous n’avons pas encore pris contact avec l’Union africaine pour vulgariser notre action mais c’est en projet.

AEL : Après la nécessaire décolonisation des mentalités, quelles solutions voyez-vous pour régler la dépendance de l’Afrique vis à vis des pays impérialistes ? Partenariat Sud-Sud ? Accords au niveau africain ? Création d’une monnaie africaine ?

Neferissa : Tout d’abord la création d’une monnaie unique pour le continent est indispensable pour sortir de la servitude monétaire actuelle, ensuite il faudrait des dirigeants intègres comme le fut Thomas Sankara pour mener une politique d’autonomie et d’autosuffisance, créer des synergies entre les pays d’Afrique afin de s’unir contre l’impérialisme.

Propos recueillis par Moulzo

Source : http://www.afriquesenlutte.org/notre-bulletin/article/bulletin-afriques-en-lutte-no32