Soudan : Nettoyage ethnique au Darfour occidental
Des milliers de personnes ont été tuées, un demi-million de personnes sont toujours déplacées
17 mai 2024 06:00 0 messages
Les graves violations commises qui ont ciblé les Massalits et d’autres communautés non arabes dans le but manifeste, au minimum, de les expulser définitivement de la région constituent un nettoyage ethnique.
Les attaques menées par les Forces de soutien rapide (Rapid Support Forces, RSF) et des milices alliées à El Geneina, capitale de l’État du Darfour occidental au Soudan, entre avril et novembre 2023, ont fait au moins plusieurs milliers de morts et provoqué le déplacement de centaines de milliers de personnes, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui. Des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre généralisés ont été commis dans le cadre d’une campagne de nettoyage ethnique contre l’ethnie Massalit et d’autres populations non arabes à El Geneina et dans ses environs.
Le rapport de 218 pages, intitulé « “The Massalit Will Not Come Home” : Ethnic Cleansing and Crimes Against Humanity in El Geneina, West Darfur, Sudan » (« “Les Massalits ne rentreront pas chez eux” : Nettoyage ethnique et crimes contre l’humanité à El Geneina, dans le Darfour occidental, au Soudan » - résumé et recommandations en français), documente comment les Forces de soutien rapide, une force militaire indépendante en conflit armé avec l’armée soudanaise et leurs alliés – des milices principalement arabes et le groupe armé Troisième Front-Tamazouj – ont ciblé les quartiers majoritairement massalits d’El Geneina lors de vagues d’attaques incessantes entre avril et juin 2023. Les abus se sont de nouveau intensifiés au début du mois de novembre. Les assaillants ont commis d’autres abus graves tels que des actes de torture, des viols et des pillages. Plus d’un demi-million de réfugiés du Darfour occidental ont fui vers le Tchad depuis avril 2023. À la fin du mois d’octobre 2023, 75 % de ces réfugiés étaient originaires d’El Geneina.
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« Alors que le Conseil de sécurité de l’ONU et les gouvernements se réveillent devant la catastrophe qui se profile à El Fasher, les atrocités à grande échelle perpétrées à El Geneina devraient être considérées comme un rappel des atrocités qui pourraient survenir en l’absence d’action concertée », a indiqué Tirana Hassan, directrice exécutive de Human Rights Watch. « Les gouvernements, l’Union africaine et les Nations Unies devraient agir maintenant pour protéger les civils. »
Le ciblage des Massalits et d’autres communautés non arabes en commettant des violations graves à leur encontre dans le but manifeste, au minimum, de les expulser définitivement de la région constitue un nettoyage ethnique. Le contexte particulier dans lequel les massacres généralisés ont eu lieu soulève également la question d’une possible intention des RSF et de leurs alliés de détruire en totalité ou en partie les Massalits, au moins dans le Darfour occidental, ce qui indiquerait qu’un génocide y a été et/ou y est commis.
Entre juin 2023 et avril 2024, Human Rights Watch s’est entretenu avec plus de 220 personnes au Tchad, en Ouganda, au Kenya et au Soudan du Sud, ainsi que d’autres entretiens à distance. Les chercheurs ont également examiné et analysé plus de 120 photos et vidéos des événements, des images satellites ainsi que des documents transmis par des organisations humanitaires pour corroborer les récits d’abus graves.
Les violences à El Geneina ont commencé neuf jours après le début des combats à Khartoum, la capitale du Soudan, entre les Forces armées soudanaises (Sudanese Armed Forces, SAF), l’armée soudanaise, et les RSF. Dans la matinée du 24 avril, les RSF ont affronté un convoi militaire soudanais qui traversait El Geneina. Puis les RSF et des groupes alliés ont attaqué des quartiers à majorité massalit, se battant contre des groupes armés principalement massalit qui défendaient leurs communautés. Au cours des semaines suivantes, et même après que les groupes armés massalits ont perdu le contrôle de leurs quartiers, les RSF et les milices alliées ont systématiquement pris pour cible des civils non armés.
Les violences ont atteint leur apogée avec un massacre à grande échelle qui s’est déroulé le 15 juin, lorsque les RSF et leurs alliés ont ouvert le feu sur un convoi, long de plusieurs kilomètres, de civils qui tentaient désespérément de fuir, escortés par des combattants massalits. Les RSF et les milices ont poursuivi, rassemblé et abattu des hommes, des femmes et des enfants qui couraient dans les rues ou tentaient de traverser à la nage le flot rapide de la rivière Kajja. Beaucoup se sont noyés. Les personnes âgées et les blessés n’ont pas été épargnés.
Un garçon de 17 ans a décrit le meurtre de 12 enfants et 5 adultes de plusieurs familles : « Deux membres des RSF… ont arraché les enfants à leurs parents et, comme les parents se sont mis à crier, deux autres membres des RSF ont tiré sur les parents et les ont tués. Puis ils ont empilé les enfants et leur ont tiré dessus. Ils ont jeté leurs corps dans la rivière et leurs affaires après eux. »
Ce jour-là et les jours suivants, les attaques se sont poursuivies contre des dizaines de milliers de civils qui tentaient d’entrer au Tchad, laissant la campagne jonchée de cadavres. Les vidéos publiées à l’époque montrent des foules de civils courant pour sauver leur vie sur la route reliant El Geneina au Tchad.
Human Rights Watch a également documenté le meurtre d’habitants arabes et le pillage de quartiers arabes par les forces massalit, ainsi que l’utilisation par les Forces armées soudanaises d’armes explosives dans des zones peuplées, causant des préjudices inutiles aux civils et aux biens civils.
Les RSF et des milices alliées ont de nouveau intensifié leurs attaques en novembre, visant les Massalits qui avaient trouvé refuge à Ardamata, une banlieue d’El Geneina, rassemblant des hommes et des garçons massalits et, d’après l’ONU, tuant au moins 1 000 personnes.
Au cours de ces exactions, des femmes et des filles ont été violées et ont subi d’autres formes de violences sexuelles, et des détenus ont été torturés et soumis à d’autres mauvais traitements. Les assaillants ont méthodiquement détruit des infrastructures civiles essentielles, ciblant des quartiers et des sites, y compris des écoles, dans des communautés déplacées principalement massalits. Ils se sont livrés à des pillages à grande échelle, et ont brûlé, bombardé et rasé des quartiers, après les avoir vidés de leurs habitants.
Ces actes ont été commis dans le cadre d’attaques généralisées et systématiques visant les Massalits et d’autres populations civiles non arabes des quartiers à majorité massalit et, en tant que tels, constituent également les crimes contre l’humanité de meurtres, de tortures, de persécutions et de transferts forcés de la population civile, a déclaré Human Rights Watch.
La possibilité qu’un génocide ait été et/ou soit en train d’être commis au Darfour exige une action urgente de la part de tous les gouvernements et institutions internationales pour protéger les civils. Ceux-ci devraient mener des enquêtes pour déterminer si les faits démontrent une intention spécifique de la part des dirigeants des RSF et de leurs alliés de détruire en totalité ou en partie les Massalits et d’autres communautés ethniques non arabes au Darfour occidental, c’est-à-dire une intention de commettre un génocide. Si tel est le cas, des mesures devraient être prises pour stopper sa perpétration et s’assurer que les responsables de sa planification et de son exécution sont traduits en justice.
La communauté internationale devrait soutenir les enquêtes de la Cour pénale internationale (CPI), tandis que les États parties à la Cour devraient veiller à ce qu’elle dispose des ressources financières nécessaires dans son budget ordinaire pour s’acquitter de son mandat au Darfour et dans toutes ses affaires.
Human Rights Watch a identifié le commandant des RSF, Mohammed « Hemedti » Hamdan Dagalo, son frère Abdel Raheem Hamdan Dagalo, et le commandant des RSF au Darfour occidental, Joma’a Barakallah, comme ayant la responsabilité du commandement des forces qui ont perpétré ces crimes. Human Rights Watch a également désigné des alliés des RSF, dont un commandant du groupe armé Tamazouj et deux chefs tribaux arabes, comme portant la responsabilité des combattants qui ont commis des crimes graves.
Les Nations Unies, en coordination avec l’Union africaine, devraient déployer de toute urgence une nouvelle mission pour protéger les civils en danger au Soudan. Le Conseil de sécurité devrait imposer des sanctions ciblées aux personnes responsables de crimes graves au Darfour occidental, ainsi qu’aux individus et aux entreprises qui ont enfreint et enfreignent actuellement l’embargo. Le Conseil devrait élargir l’embargo actuel sur les transferts d’armes au Darfour, pour couvrir l’ensemble du Soudan.
« L’inaction mondiale face à des atrocités d’une telle ampleur est inexcusable », a conclu Tirana Hassan. « Les autres gouvernements devraient veiller à ce que les responsables soient amenés à rendre des comptes, notamment par des sanctions ciblées et en renforçant la coopération avec la CPI. »
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