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Derrière les statistiques de l’épidémie de viols en Afrique du Sud

D 8 décembre 2013     H 05:37     A IRIN     C 0 messages


JOHANNESBOURG - Les centres commerciaux clinquants, les restaurants et les banlieues verdoyantes de Johannesbourg reflètent l’image d’une Afrique du Sud confiante et prospère. Mais il y a également une violence, qui apparait dans les statistiques sur les viols commis dans ce pays, où les pauvres vivent dans des townships et les riches s’enferment dans des résidences protégées.

Le taux d’agression sexuelle est extrêmement élevé en Afrique du Sud. « La prévalence du viol, et plus particulièrement du viol en réunion . est inhabituellement élevée », selon un rapport de 2012 [ http://www.issafrica.org/uploads/CQ41Jewkes.pdf ] de l’Institut d’études de sécurité (Institute of Security Studies, ISS), un groupe de réflexion.

La police sud-africaine reste sur la défensive lorsque l’on évoque ce triste record. Les services de police sud-africains (South African Police Services, SAPS) maintiennent que les derniers chiffres de la criminalité montrent une baisse sensible du taux de violences sexuelles dans la province du Gauteng, dont Johannesbourg est la capitale. Mais l’ISS souligne que, si l’on tient compte des nouvelles statistiques démographiques de 2012, le taux national augmente de 1,5 pour cent. Cela veut dire qu’il y a eu 127 agressions sexuelles pour 100 000 habitants l’année dernière.

Selon Lizette Lancaster, responsable du centre d’information sur le crime et la justice (Crime and Justice Information Hub) de l’ISS, l’Afrique du Sud a un taux élevé de violences sexuelles pour des raisons multiples et complexes. La lutte armée contre l’apartheid, et la violence et la répression qui ont suivi, ont contribué à une normalisation de la violence au sein de la société sud-africaine, a-t-elle dit. « Les enfants ont grandi en voyant la violence dans la rue », a-t-elle expliqué.

Plus récemment, certaines personnes ’traumatisées’ ont été soumises à de nombreux ’stress sociaux’ en raison des taux élevés de chômage et de pauvreté, a-t-elle ajouté. Enfin, l’Afrique du Sud est une société très paternaliste où la femme n’est pas l’égale de l’homme, un facteur qui contribue à la violence. « Comme vous le savez, le viol n’est pas un acte sexuel, c’est un acte de violence », a dit Mme Lancaster.

« Le viol est l’un des crimes les moins rapportés en Afrique du Sud », a noté la coalition d’organisations non gouvernementales (ONG) Shukumisa. Elle se réfère à une étude réalisée dans la province du Gauteng en 2010 : un quart des femmes interrogées dans le cadre de l’enquête « avaient été violées au cours de leur vie, tandis que près d’une femme sur 12 avait été violée en 2009. Mais seule une femme sur 13 violée par une personne autre que son partenaire intime a déclaré les faits à la police, tandis que seule une femme sur 25 violée par son partenaire a déclaré les faits à la police ».

Les statistiques du viol sont donc totalement biaisées, car « les femmes ne parlent pas des violences qu’elles subissent ».

Confiance dans la police

En raison du faible taux de condamnation, les unités spécialisées dans les violences familiales, la protection de l’enfance et les violences sexuelles ont été fermées en 2006 [ http://www.iol.co.za/news/south-africa/saps-shake-up-seen-as-crime-fighting-setback-1.277639#.UnjG47Ffrct ], ce qui a eu un impact sur le taux de signalement et la confiance dans la police.

Les unités ont été remises en service en 2011 et elles « commencent à enregistrer de bons résultats », a écrit [ http://www.sanews.gov.za/south-africa/we-must-stop-suffering-children ] Phumla Williams, directrice générale du Service de l’information et de la communication du gouvernement. Ella a ajouté que « le ministre de la Justice Jeff Radebe a récemment annoncé que des tribunaux spécialisés dans les infractions sexuelles allaient être réintroduits afin de rattraper les retards accumulés dans le traitement des dossiers d’infractions sexuelles ».

La loi sud-africaine sur les infractions sexuelles est l’une des plus progressistes au monde ; une nouvelle version de cette loi est entrée en vigueur en 2007, indique Mme Lancaster. « Elle couvre le viol conjugal, les relations sexuelles consensuelles entre un adulte et un mineur et même la pornographie. Mais le problème, c’est qu’il y a encore beaucoup de stigmatisation liée au signalement d’un viol, et même le fait que l’on ignore qu’une infraction a été commise - beaucoup de viols sont commis par un ami ou un partenaire intime ».

Les femmes et les autres membres vulnérables de la communauté doivent avoir confiance dans le système judiciaire pour accepter de signaler ces crimes, ajoute Mme Lancaster. Bon nombre de postes de police disposent aujourd’hui de salles et d’installations adaptées à l’accueil des victimes, et les officiers de police bénéficient d’une formation qui les sensibilise à la question du genre. « Mais au bout du compte, les membres des forces de police sont issus de la même société, donc on ne peut pas vraiment les former à la sensibilité au genre. Les auteurs de ces crimes peuvent être des policiers, donc les victimes n’ont pas vraiment confiance », a-t-elle dit.

Au moins 12 membres des SAPS de la province du Cap-Occidental ont été arrêtés [ http://ewn.co.za/2013/09/06/Cape-cop-rape-stats-alarming ] pour viol en 2012.

Refus de se taire

Mais certaines personnes ont choisi de ne pas se laisser réduire au silence par la violence qu’elles ont subie.

A Eldorado Park et Klipspruit West, des banlieues ouvrières de Soweto, certaines mères, comme Joan Adams, ont décidé de réagir face aux violences sexuelles commises au sein de leurs communautés en aidant les victimes à guérir. Mme Adams a fait de sa maison un refuge pour les enfants du quartier. Entre 10 et 20 enfants, dont certains ont subi des violences sexuelles, lui rendent visite chaque semaine.

Mme Adams, qui a subi des violences sexuelles lorsqu’elle était enfant, se sert de son expérience pour apporter de l’aide aux enfants. Elle leur prête une oreille bienveillante et leur transmet sa sagesse pour les aider à reprendre le cours de leur vie. Sans emploi, elle survit grâce à l’aide de ses enfants et à l’argent de la location d’une des chambres de sa maison.

Les journalistes d’IRIN ont rencontré Mme Adams alors qu’elle passait la journée avec des enfants du quartier. Elle dit qu’elle ne fait pas confiance aux SAPS. « Je leur ai présenté des affaires par le passé, mais aucune ne s’est soldée par une condamnation, car ils n’ont pas réussi à rassembler suffisamment de preuves ».

Aujourd’hui, Mme Adams choisit de se concentrer sur les victimes. Elle essaye de trouver des familles où elles seront en sécurité et des proches vers qui elles pourront se tourner : [ https://www.youtube.com/watch?v=pOL_Vm327xU&feature=youtu.be ]

Abigail Vassen, la mère d’un garçon qui a subi des violences sexuelles lorsqu’il avait cinq ans, commence à accepter ce qui lui est arrivé. Son fils, aujourd’hui âgé de 17 ans, purge une peine de 20 ans de prison pour le meurtre d’un jeune qui s’était moqué de lui parce qu’il a subi un viol. Mme Vassen était trop traumatisée pour aider son fils à l’époque des faits, mais aujourd’hui, elle essaye de l’aider à remettre sa vie sur les rails en lui offrant une éducation et des conseils.

Elle parle de sa douleur et de son désir de venir en aide aux parents qui sont dans sa situation. Voici son histoire [ https://soundcloud.com/irinfilms/abigail-vassen-interview ].

Source : http://www.irinnews.org