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La « dette » de Mandela envers Cuba : une contribution décisive à la chute de l’apartheid passée sous silence

D 30 décembre 2013     H 20:05     A     C 0 messages


On se force à oublier qu’une petite République socialiste des Caraïbes, Cuba, n’a pas hésité à payer le prix fort d’une guerre de libération anti-coloniale en Afrique, sur une terre qui n’était pas la sienne, par pur « désintéressement » comme aimait à le rappeler Mandela.Si seule la vérité est révolutionnaire, il est temps de rétablir certaines vérités.

Etats-unis, France, Grande-Bretagne, Israël, que d’hommages hypocrites des complices de l’apartheid. Mandela, lui, était bien conscient de ses vrais amis, constants dans la lutte anti-apartheid : Cuba et la personne de Fidel y occupaient une place privilégiée.

Fidel et « Madiba » avaient un sens aigu de l’histoire. Leurs défenses lors des procès politiques dont ils étaient victimes prenaient comme seul verdict celui de l’histoire. « L’histoire jugera », elle a jugé. Le camp qui portait la voix de la justice, de la vérité, de la raison était celui des combattants anti-apartheid. La reconnaissance aujourd’hui unanime du combat de Mandela, l’opprobre jeté sur le régime fasciste d’apartheid en sont la preuve tardive.

On oublie pourtant trop vite que dans ce camp ne se trouvaient ni les États-Unis, ni la Grande-Bretagne, ni la France, ni Israël. Au nom de la lutte contre le communisme, ces Etats ont couvert, cautionné, collaboré avec le régime d’apartheid jusqu’à la fin des années 1980. On oublie trop vite que dans le camp opposé, le seul soutien extérieur indéfectible fut l’Union soviétique, le soutien intérieur inébranlable fut le Parti communiste d’Afrique du sud. On se force à oublier qu’une petite République socialiste des Caraïbes, Cuba, n’a pas hésité à payer le prix fort d’une guerre de libération anti-coloniale en Afrique, sur une terre qui n’était pas la sienne, par pur « désintéressement » comme aimait à le rappeler Mandela.

Si seule la vérité est révolutionnaire, il est temps de rétablir certaines vérités.

LE CHOIX DE LA LUTTE ARMEE : L’INSPIRATION CUBAINE

Derrière l’imagerie d’un Mandela « homme de paix » et « apôtre de la non-violence », certains cherchent à gommer le combattant Mandela, concevant la violence ou la non-violence comme des armes tactiques dans un objectif stratégique : la libération anti-coloniale. Mandecla rappelait dans son autobiographie les débats au début de l’année 1960 au sein de l’An. Il fait partie alors de ceux qui défendent le passage de la lutte légale, non-violente, politique à la lutte clandestine, violente et militaire.

Laissons le révolutionnaire sud-africain parler : « L’Anc avait fixé lors du procès pour trahison, entre 1956 et 1960, la non-violence comme un principe intangible, quelles que soient les circonstances. Je pensais le contraire : c’était une tactique qui devait être abandonnée quand elle ne marchait plus ».

Ainsi, en 1961, Mandela entre dans un débat avec son ami, dirigeant historique du Parti communiste, Moses Katane. Tandis que Katane incite à la prudence face à une décision lourde de conséquences, Mandela pousse pour le passage immédiat à la lutte armée. Mandela se permet même de confier à Katane qu’il est proche de la position attentiste « du Pc cubain sous le règne de Batista », prenant lui exemple sur la position de Fidel. Après un long échange, Katane et Mandela tombent d’accord sur ce choix décisif. Ensemble, ils arrivent au bureau de l’Anc et déjouent les réticences du chef de l’Anc, Alfred Luthuli, partisan résolu de la « non-violence ».

En 1961, est fondée la branche armée de l’ANC Umkhonto we Sizwe (« fer de lance de la nation »), sous la direction notamment de son camarade et ami, le communiste Joe Slovo.

Mandela rappelle dans son autobiographie avoir été fortement inspiré par les écrits de et sur Fidel et du Che, les échanges avec les dirigeants communistes cubains sur leur organisation clandestine dans la lutte contre Batista. Encore dans l’écriture de son célèbre discours au procès de Rivonia en 1963, qui va le condamner à la détention à perpétuité, il est profondément influencé par le discours mythique de Fidel en 1953 : « L’histoire m’absoudra ». C’est ce que rappellent ses biographes.

UN REGIME RACISTE PROTEGE PAR LES PAYS OCCIDENTAUX… FACE A LA LUTTE ANTI-APARTHEID SOUTENU PAR LE BLOC COMMUNISTE

Le régime d’apartheid a duré de 1948 à 1994. Réprouvé par les autres pays africains, condamné par l’Assemblée des nations unies, qui a permis à ce régime discrédité par son fondement de perdurer 46 ans ?

La Grande-Bretagne, les Etats-unis qui ont maintenu des relations étroites avec le régime, commerciales et financières, mais aussi politiques : l’Afrique du sud raciste était un rempart contre le communisme sur le continent africain. En Afrique, le régime a maintenu des relations cordiales avec des dictatures sanguinaires – comme le Zaire de Moubutu ou la Centrafrique de Bokassa –, soutenu des rebellions meurtrières en Angola ou Mozambique, pour faire barrage au mouvement anti-colonial.

Les Etats unis comme la Grande-Bretagne se sont toujours opposé, à l’Onu, à l’adoption de sanctions économiques contre l’Afrique du sud… alors que les Etats unis imposaient un blocus injuste contre Cuba, à partir de 1962. Encore à la fin des années 1980, Ronald Reagan et Margaret Thatcher qualifiaient Mandela de « terroriste » et soutenaient, via leurs services secrets, les aventures du régime d’apartheid. Mandela a été retiré de la liste américaine des terroristes dangereux… en 2008 !

Les relations avec Israël méritent aussi attention. La collaboration avec le sionisme n’a pas perturbé plus que cela le « Parti national », anti-sémite et philo-nazi dans les années 1930-40. On peut être anti-sémite et sioniste : Jan Smuts, père de l’apartheid et Premier ministre sud-africain en 1948, était l’ami personnel de Chaim Weizmann, premier président d’Israël, Smuts était un partisan acharné du sionisme dès les années 1930… Mais il était aussi vice Premier ministre quand le régime sud-africain fit passer en 1937 l’« Alien Act » qui limitait l’immigration juive, au plus fort de la répression en Allemagne nazie, au nom de leur « faible capacité d’assimilation » donnant le change aux Afrikaaners ouvertement anti-sémites.

Israël et l’Afrique du sud d’apartheid ont développé une relation privilégiée, avec de fortes connexions commerciales et militaires. Le développement de l’arme nucléaire israélienne n’a été possible qu’en étroite coopération avec le régime raciste sud-africain.

Face à ce « camp de la honte », seule l’Union soviétique s’est levée comme grande puissance contre le régime d’apartheid. Elle a entraîné en Urss des milliers de cadres de la branche armée de l’Anc, communistes ou nationalistes, pour lutter contre le régime.

L’AIDE CUBAINE DECISIVE A LA LUTTE ANTI-COLONIALE : LA BATAILLE D’ANGOLA ET LE « STALINGRAD AFRICAIN »

Seule Cuba socialiste a versé son sang pour la libération du peuple sud-africain.

Rappel. En 1975, l’Angola accède à l’indépendance. Trois guérillas se disputent le pouvoir. Le Mpla soutenu par les communistes, l’Unita et le Fnla soutenus notamment par les États-Unis et Israël internationalement, l’Afrique du sud et le Zaïre localement.

Sur le terrain, le Mpla l’emporte. Le triomphe de la révolution marxiste est imminente. En réaction, l’Unita et le régime d’apartheid – déterminé à maintenir son joug colonial sur la Namibie voisine – mènent une opération commune pour déposer le régime progressiste. Cuba envoie 35 000 hommes sur place en 1976 (« l’opération Carlotta ») et repousse l’offensive, sauvant la révolution angolaise.

Mandela évoque en 1991 comment il a pris connaissance de l’aide apportée par Cuba au mouvement de libération angolais : « J’étais en prison lorsque j’ai entendu parler pour la première fois de l’aide massive que les forces internationalistes cubaines fournissaient à la population de l’Angola, une aide d’une telle ampleur qu’elle était difficile à croire, lorsque les Angolais ont été soumis en 1975 à une attaque coordonnée de troupes d’Afrique du Sud, du Fnla financé par la Cia, de mercenaires, de l’Unita, et de troupes zaïroises.
En Afrique, nous sommes habitués à être victimes de pays qui veulent dépecer notre territoire ou saper notre souveraineté. Il n’y a pas de précédent dans l’histoire de l’Afrique d’un autre peuple qui se lève pour défendre l’un d’entre nous (…) Pour le peuple cubain, l’internationalisme n’était pas un mot creux, mais quelque chose que nous avons vu mettre en pratique »

Dans les années 1980, les Etats-Unis et Israël apportent une aide massive à la guérilla de l’Unita – à l’origine soutenue par la Chine – tandis que l’Afrique du sud reprend son offensive en 1981, poussant en 1987 le gouvernement angolais à bout de forces.

Cuba mobilise alors 50 000 hommes en défense de l’indépendance de l’Angola. En 1987-1988, se déroule ce que l’on a qualifié de « Stalingrad de l’Afrique », à Cuito-Cuanavale, une bataille acharnée entre troupes cubaines et armée sud-africaine. Le régime de l’apartheid subit une défaite cuisante, se retire d’Angola puis de Namibie – contribuant à la décolonisation de ce pays puis du Zimbabwe, portant un coup politique décisif au régime qui chute six ans après.

Laissons encore Mandela parler avec lyrisme, toujours dans son discours de 1991, de l’aide cubaine à la chute du régime d’apartheid : « Votre présence et le renforcement de vos forces lors de la bataille de Cuito Cuanavale fut d’une importance véritablement historique.

La défaite de l’armée raciste à Cuito Cuanavale fut une victoire pour toute l’Afrique !

L’écrasante défaite de l’armée raciste à Cuito Cuanavale a offert la possibilité pour l’Angola de connaître la paix et de consolider sa souveraineté !

La défaite de l’armée raciste a permis au peuple en lutte de Namibie de finalement gagner son indépendance !

La défaite décisive des agresseurs de l’apartheid brisa le mythe de l’invincibilité des oppresseurs blancs !

La défaite de l’armée de l’apartheid fut une inspiration pour tous ceux qui luttaient à l’intérieur de l’Afrique du Sud !

Sans la défaite de Cuito Cuanavale nos organisations n’auraient jamais été légalisées !

La défaite de l’armée raciste à Cuito Cuanavale a rendu possible ma présence ici aujourd’hui !

Cuito Cuanavale fut un jalon dans l’histoire de la lutte pour la libération de l’Afrique du Sud !

Cuito Cuanavale fut le point tournant dans la lutte pour libérer le continent et notre pays du fléau de l’apartheid ! »

En tout, plus de 400 000 Cubains ont combattu sur le sol angolais, 2 600 y ont laissé la vie.

1991 : LE PREMIER VOYAGE DE MANDELA A L’ETRANGER : « NOUS AVONS UNE DETTE ENVERS CUBA »

Quel est le premier pays choisi par Mandela, après sa libération, pour saluer ses amis dans la lutte contre l’apartheid ? Cuba, naturellement.

Le 26 juillet 1991, il y prononce un discours hautement significatif, un hommage appuyé à « Cuba la révolutionnaire, Cuba l’internationaliste, celle qui a tant fait pour les peuples d’Afrique ». L’hommage de Mandela y est alors appuyé au modèle socialiste cubain : « Nous admirons les acquis de la révolution cubaine dans le domaine de la protection sociale. Nous apprécions la transformation d’un pays d’une arriération imposée à l’alphabétisation universelle. Nous reconnaissons vos progrès dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la science. »

Tout comme « Madiba » souligne l’inspiration cubaine et le rôle de bastion anti-impérialiste de Cuba : « Dès les premiers jours la Révolution cubaine a elle-même été une source d’inspiration pour tous les peuples épris de liberté. Nous admirons les sacrifices du peuple cubain pour préserver leur indépendance et souveraineté face à une campagne impérialiste féroce orchestrée pour détruire les avancées impressionnantes réalisées par la Révolution cubaine. »

Après avoir rappelé le rôle pionnier du Che Guevara dans la libération des peuples africains, Mandela évoque « le sentiment d’une grande dette envers le peuple cubain » : « Quel autre pays peut se prévaloir de plus d’altruisme que celui dont Cuba a fait preuve dans ses relations avec l’Afrique ? Combien de pays dans le monde bénéficient des travailleurs de la santé ou des éducateurs cubains ? Combien d’entre eux se trouvent en Afrique ?
Quel est le pays qui a sollicité une aide à Cuba et se l’est vu refuser ?
Combien de pays sous la menace de l’impérialisme ou en lutte pour leur libération nationale ont pu compter sur le soutien de Cuba ? »

Que rajouter de plus ? Quand Bill Clinton enjoignait Nelson Mandela de lâcher son « vieil ami » Castro, Madiba lui répondit simplement : « On n’abandonne pas ceux qui nous ont aidé dans les heures les plus sombres de notre histoire ». Cette simplicité, ce sens de la justice et de la vérité, cette fidélité, ce sont ces valeurs tant vantées au moment de sa mort que nous aimions chez Mandela.

Ce que nos médias ne disent pas, c’est qu’elles ont supposé pour Mandela revendiquer sa « dette » envers Cuba, et ne jamais lâché face aux relectures hypocrites de l’histoire de ceux « qui ne l’ont pas aidé », ceux qui furent les complices de ces bourreaux.

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