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Le nouveau formulaire de demande d’asile soulève la controverse en Afrique du Sud

D 18 janvier 2015     H 05:05     A IRIN     C 0 messages


JOHANNESBURG - En Afrique du Sud, les défenseurs des réfugiés ont réagi avec consternation et scepticisme au plan de refonte du processus de demande d’asile. Le gouvernement affirme que celui-ci est conçu pour distinguer les migrants économiques des personnes ayant des raisons valables de demander le statut de réfugié.

« L’octroi du droit d’asile ne devrait pas dépendre des compétences du demandeur, de sa situation économique, de son historique d’emploi ou du nombre de personnes dont il a la charge », a dit Roni Amit, chercheuse senior au Centre africain pour la migration et la société (African Centre for Migration and Society, ACMS) de l’Université du Witwatersrand, faisant référence à un nouveau formulaire de demande d’asile de 12 pages, qui a été publié pour commentaires en novembre.

Le formulaire inclut des questions détaillées sur le niveau d’éducation, l’historique d’emploi et les compétences du demandeur. Il exige par ailleurs que celui-ci fournisse des documents tels que des témoignages et des bulletins de salaire pour les emplois occupés dans le pays d’origine. Le formulaire comprend également une nouvelle section sur le statut financier qui comporte des questions au sujet des comptes bancaires détenus à l’intérieur et à l’extérieur de l’Afrique du Sud et de la quantité d’argent amenée au pays par le demandeur.

Le but de ces questions « est de distinguer les migrants économiques des demandeurs d’asile », a dit Mayihlome Tshwete, le porte-parole du ministère de l’Intérieur.

« Les migrants économiques font peser un lourd fardeau sur notre système de réfugiés », a-t-il dit à IRIN. « Les demandes de certaines personnes qui craignent réellement pour leur vie n’obtiennent pas l’attention [qu’elles méritent]. »

En 2013, l’Afrique du Sud était la troisième destination la plus populaire pour les demandeurs d’asile après l’Allemagne et les États-Unis. Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), 70 000 nouvelles demandes d’asile ont en effet été déposées cette année-là. Cela représente une diminution par rapport aux années précédentes, lorsqu’il s’agissait de la première destination, mais le ministère a malgré tout accumulé un retard significatif dans le traitement des demandes. D’après le HCR, plus de 86 600 demandeurs n’avaient toujours pas reçu de première réponse à leur demande à la fin de 2013 et 145 400 autres attendaient des décisions pour des dossiers portés en appel à la fin de 2012.

Les groupes de défense des droits des réfugiés se demandent toutefois si le nouveau formulaire est le meilleur moyen de régler le problème des retards accumulés.

Selon Mme Amit, les décisions en matière d’asile devraient, en vertu des lois internationales et nationales relatives aux réfugiés, être simplement basées sur les craintes de persécution fondées et les conditions générales d’instabilité qui prévalent dans le pays d’origine.

Elle a ajouté qu’il était peu probable que des demandeurs d’asile ayant fui pour sauver leur vie aient pris la peine d’amener avec eux des documents au sujet de leurs précédents emplois.

Dans un document qu’il se prépare à envoyer au ministère de l’Intérieur sud-africain, le HCR appelle à une simplification du nouveau formulaire. « Une grande partie des informations qu’ils demandent n’est pas nécessaire pour prendre une décision quant au bien-fondé de la revendication du statut de réfugié », a dit Tina Ghelli, porte-parole du HCR. « Nous sommes d’avis que la plupart des demandeurs d’asile ne seront pas capables de fournir tous ces détails. Nous avons offert notre assistance technique [aux autorités] pour les aider à améliorer le formulaire. »

Longues files

Au cours des dernières années, les bureaux d’accueil des réfugiés de plusieurs villes ont fermé leurs portes ou cessé d’accepter de nouvelles demandes d’asile. Les nouveaux demandeurs d’asile doivent donc faire la file pendant de longues heures devant l’un des trois bureaux où ils peuvent encore déposer leur demande, soit à Prétoria, à Durban ou à Musina (près de la frontière du Zimbabwe).

Les demandeurs d’asile n’ont que cinq jours pour soumettre leur demande après leur entrée dans le pays. S’ils omettent de le faire dans les délais prescrits, ils sont considérés comme des sans-papiers et s’exposent à des arrestations et à des détentions.

D’après Mme Amit, les demandeurs d’asile ont déjà de la difficulté à remplir le formulaire existant. Le nouveau formulaire risque de créer de nouveaux obstacles à l’accès au système d’asile.

« Il sera beaucoup plus difficile de remplir ce nouveau formulaire à cause des histoires de traduction ; je pense que de nombreuses personnes auront de la difficulté à le remplir de manière honnête », a admis Roshan Dadoo, responsable régionale du plaidoyer auprès du Consortium pour les réfugiés et les migrants en Afrique du Sud (Consortium for Refugees and Migrants in South Africa, CoRMSA). Elle a ajouté que cela pourrait entraîner un engorgement supplémentaire du processus d’appel, un engorgement qui est déjà responsable de la majeure partie des retards accumulés dans le système.

Mme Dadoo s’est également dite préoccupée par d’autres ajouts dans le nouveau formulaire, notamment celui de questions concernant l’entrée du demandeur en Afrique du Sud, l’aide qu’il a reçue, le cas échéant, et les noms de ses compagnons de voyage.

« On dirait qu’ils cherchent à enquêter sur des opérations clandestines », a-t-elle dit à IRIN, ajoutant que le fait de nommer des compagnons de voyage pouvait nuire aux demandes d’asile individuelles.

M. Tshwete, le porte-parole du ministère de l’Intérieur, a insisté sur le fait que la collecte d’informations supplémentaires rendue possible grâce au nouveau formulaire permettrait de réduire les abus au système. « Nous avons découvert que 5 pour cent seulement de ceux qui déposaient une demande étaient réellement des demandeurs d’asile », a-t-il dit. « La meilleure chose que nous puissions faire pour résoudre le problème des retards accumulés est de sortir les migrants économiques du système. Nous devons [les] encourager à demander des permis de travail dans leur pays d’origine. »

M. Tshwete se base sur les taux de rejet de l’Afrique du Sud, qui oscillent entre 85 et 97 pour cent, pour affirmer que 95 pour cent des demandeurs d’asile sont des migrants économiques. Selon le HCR, les taux de rejet en Afrique du Sud sont considérablement plus élevés que la moyenne mondiale, qui est de 68 pour cent.

Des failles dans le processus de détermination du statut ?

Mme Amit, qui a mené des recherches extensives sur le processus de détermination du statut de réfugiés en Afrique du Sud, estime cependant que « le taux de rejet ne peut en aucun cas être considéré comme un reflet fidèle du nombre de personnes qui sont dans le système d’asile, car le processus de détermination du statut comporte des failles importantes ».

« La demande d’asile individuelle n’a presque aucun lien avec la décision que le demandeur ou la demanderesse finit par obtenir... Ainsi, lorsque 95 pour cent des demandeurs essuient un refus, cela ne veut pas dire que 95 pour cent des demandes d’asile ne sont pas valides. »

Elle a ajouté que les nouvelles questions au sujet des compétences, de l’éducation et de la situation financière ne permettaient pas de déterminer la validité d’une demande d’asile, « car un demandeur d’asile peut être riche ou pauvre, éduqué ou non, hautement qualifié ou non... »

« Il semble plus juste de croire que les demandeurs d’asile pauvres et non qualifiés seront considérés comme des migrants économiques et qu’ils seront écartés sans que l’on examine le bien-fondé de leur demande d’asile. »

On ignore encore dans quelle mesure le ministère de l’Intérieur prendra en compte les commentaires du HCR, de l’ACMS et des autres groupes de défense des droits des réfugiés avant d’officialiser l’utilisation du nouveau formulaire ou quel usage les agents responsables de la détermination du statut de réfugié feront des nouvelles informations qui y figurent. « Si vous êtes un vrai demandeur d’asile, votre situation économique n’aura aucune influence [sur la détermination de votre statut] », a dit M. Tshwete.

Mmes Amit et Dadoo ont cependant toutes deux manifesté leur inquiétude quant à l’utilisation qui sera faite des informations qui ne concernent pas les critères juridiques de la détermination du statut de réfugié.

« Pourquoi demandent-ils ces informations s’ils n’ont pas l’intention de les utiliser ? », a demandé Mme Dadoo.