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Le syndicat des métallos sud-africains ne s’alignera pas derrière l’ANC en 2014 et veut remettre le Parti communiste sur les rails de la lutte de classes !

D 12 janvier 2014     H 16:57     A     C 0 messages


La disparition de Mandela a apaisé les tensions au sein de l’alliance tri-partite entre ANC, Parti communiste et COSATU. Mais la crise couve, sous fond de promesses déçues de transformation radicale. Le congrès des métallos sud-africains en fut le révéla

17 au 20 décembre, le congrès de la NUMSA (Syndicat national des métallurgistes) a été au centre de toutes les attentions : serait-ce la fin de l’alliance tri-partite issue de l’apartheid ? Le syndicat allait-il répudier l’ANC, quitter la COSATU, s’éloigner du Parti communiste ?
NUMSA est une force. Avec 330 000 adhérents, c’est un syndicat en plein essor (30 000 syndiqués de plus en un an), le plus important de la COSATU qui organise un secteur aussi combatif que stratégique dans un pays qui dépend largement de ses exportations sidérurgiques.
NUMSA est aussi un syndicat qui revendique fièrement sa nature révolutionnaire, son adhésion au marxisme-léninisme et sa perspective : l’organisation de la classe ouvrière pour assurer la transition vers le socialisme.
NUMSA est enfin le syndicat qui est allé le plus loin dans la critique de la politique néo-libérale de l’ANC. Ce qui était mis à la discussion lors de ce congrès, pour la première fois, c’était la possibilité qu’un syndicat de la COSATU ne soutienne pas l’ANC pour les élections de 2014.
Au-delà des raccourcis relayés dans la presse, l’analyse du syndicat dévoilée lors de congrès révèle une analyse de classe juste de la réalité sud-africaine, des faillites de ses partenaires historiques mais aussi des lignes d’action conséquentes, ne laissant aucun espace à l’ennemi de classe.
Quelle analyse de classe 20 ans après la fin de l’apartheid ?
Où en est l’Afrique du sud, au lendemain de la mort de Mandela, vingt ans après la fin de l’apartheid ? Pour NUMSA, le régime d’apartheid est encore vivace, il survit sur la base du système capitaliste hérité et d’une alliance entre une vieille bourgeoisie blanche et une nouvelle noire.
NUMSA reprend l’analyse historique du Parti communiste, celle de la survivance d’un « colonialisme d’un type spécial ».
Premièrement, l’alliance entre bourgeoisie noire et blanche est manifeste.
Une nouvelle bourgeoisie a su utiliser le pouvoir politique pour accéder à des leviers de commande économiques (c’est le programme « Black economic empowerment ») ou négocier des contrats publics, sur une base de corruption (les « tenderpreneurs », patrons vivant des contrats publics).
La vieille bourgeoisie blanche, elle, n’a pas lâché les commandes du « complexe minier-énergétique-financier », comme l’appelle NUMSA, cœur du pouvoir économique. Aujourd’hui encore 75 % des positions supérieures de l’économie sont occupées par des blancs.
Deuxièmement, l’économie sud-africaine est encore largement une économie de type coloniale. Elle dépend largement des exportations de matières premières. Les mines, l’acier et la pétro-chimie représentent 70 % des exportations du pays.
Dans le même temps, l’embryon d’industrie manufacturière a été démantelé, l’agriculture peine à assurer la subsistance de son propre peuple (25 % des Sud-africains sont sous la menace de la faim), faute d’une réforme agraire jamais actée : seules 10 % des terres promises ont été restituées.
Troisièmement, la majorité vit encore dans des conditions misérables.
Un sud-africain sur quatre est au chômage, dont trois-quarts de jeunes et plus de la moitié qui n’a jamais travaillé … mais 44 % de ceux qui ont un travail vivent avec moins de 1,5 $ par jour. Or, les chômeurs dépendent de leurs familles, réduites à la lutte pour la survie.
Les conditions de logement, d’accès à l’éducation et la santé, aux services de base sont encore fortement tributaires de l’appartenance raciale, héritage de l’apartheid. La récente polémique sur le « e-tolling » (péages électroniques) ou la privatisation des autoroutes en est l’illustration.
L’ANC, l’abandon de la voie de la révolution national-démocratique et le choix néo-libéral
NUMSA n’épargne pas ses critiques envers l’ANC. Certes, le syndicat rappelle qu’il s’agit d’un parti inter-classiste, à direction bourgeoise, mais qui pouvait jouer un rôle progressiste dans la phase de la « révolution national-démocratique », étape vers le socialisme.
L’ANC avait convenu en 1955 d’une « Charte de la Liberté », qui prévoyait notamment la nationalisation des grandes industries et des banques. Or, après 1994, elle a fait le choix du statu quo, du cap néo-libéral, incarné en 2013 par le « Plan de développement national ».
Le « Plan de développement national » (NDP) dessine les traits d’une Afrique du sud capitaliste (« compétitive ») à l’horizon 2020, basée sur la libéralisation-privatisation de l’économie, des emplois « flexibles » et le maintien d’inégalités fortes. NUMSA condamne ce plan.
Pour NUMSA, l’ANC actuellement souffre d’une absence de conscience révolutionnaire chez ces cadres, d’une tentative de co-optation des organisations révolutionnaires au profit d’une incorporation de l’élite bourgeoise noire au système capitaliste hérité de l’apartheid.
L’ANC, à son dernier congrès, a ainsi refusé de discuter de la proposition de nationalisations et fait acter le projet néo-libéral du NDP. Pour le syndicat des métallos, il sera impossible en 2014 de soutenir institutionnellement – cela veut dire financer – l’ANC pour les élections.
Cela ne veut pas dire que NUMSA soutiendra un autre parti, ni qu’il abandonne l’alliance tri-partite. Contrairement aux souhaits des revenchards de l’apartheid, NUMSA restera dans l’alliance tri-partite guidée par l’ANC, saluera toute initiative de ce dernière pour mobiliser les masses noires.
Une COSATU à l’impulsion des luttes : le refus de sortir de la centrale unitaire
Après le soutien à l’ANC pour 2014, le choix de rester ou non dans la COSATU, la centrale syndicale unitaire, excitait les folliculaires. Encore une fois, NUMSA ne céda pas à la critique facile, et choisit la conséquence révolutionnaire.
Non seulement pas de sortie de la COSATU, mais réaffirmation de sa place centrale dans l’alliance : « phare de l’espoir » selon les termes lyriques du syndicat, plus prosaiquement organisation révolutionnaire de la classe ouvrière et des travailleurs, de lutte de classe.
Certes, la COSATU est elle-même traversée par des fractures importantes. Les attaques du syndicat des mineurs (NUM) et du syndicat des services (NEHAWU) – tous deux discrédités dans les luttes de ces derniers mois – contre NUMSA en donnent un aperçu.
Mais le syndicat des métallos souligne que la COSATU, avec ses contradictions, continue à jouer un rôle d’avant-garde dans la lutte contre les « labour brokers », ces agents d’intérim qui vendent les travailleurs comme du bétail, ou contre le « e-tolling », ces péages privatisés.
Par ailleurs, les métallos insistent sur le fait que la COSATU reste sur des positions de rupture : le 11 ème Congrès a acté la proposition de nationalisations des secteurs clés, industries et banques.
Pour toutes ces raisons, NUMSA ne quittera pas la COSATU mais compte au contraire engager sa reconquête sur des positions de classe
Le Parti communiste, toujours le parti de référence … malgré les dernières inflexions et frictions
Et le Parti communiste dans tout cela ? C’est la troisième question qui stimulait les commentateurs. Historiquement, le syndicat a été très proche des communistes. Pourtant, depuis un an, la situation s’est dégradée, au point d’alimenter un débat public virant à l’invective.
Une poignée de dirigeants du Parti communiste, désormais installés dans des postes gouvernementaux, ont dénoncé dans les dirigeants du syndicat des « traîtres », tandis que les syndicalistes voyaient les dirigeants du SACP comme « co-optés » par l’ANC.
Le Congrès a remis les choses à leur place, réaffirmant des principes forts tout en partageant une analyse critique, relativement lucide.
Pour le syndicat des métallos, le SACP subit une infiltration par des éléments opportunistes de l’ANC, qui tentent de prendre le contrôle de l’appareil du parti, tout en l’intégrant à l’appareil d’Etat à tous les niveaux – d’abord dans les instances gouvernementales.
Le résultat, depuis quelques années, c’est que le SACP est privé de toute perspective révolutionnaire, refuse de plus en plus de poser la question centrale de la propriété et joue de moins en moins un rôle actif pour mener les campagnes de masse en faveur de la classe ouvrière.
Les critiques de NUMSA envers certains dirigeants du SACP – et non envers le parti – a conduit ces derniers à des réactions d’une violence extrême, le secrétaire-général (et ministre) du Parti appelant même à « nettoyer » le syndicat de ses éléments gauchistes.
NUMSA renie-t-il sa relation spéciale avec le SACP ?Pas le moins du monde. Pour le syndicat, le Parti communiste reste le parti d’avant-garde de la classe ouvrière, le seul à pouvoir mener une transformation révolutionnaire socialiste en Afrique du sud.
Certains poussent le syndicat à créer un nouveau « parti ouvrier ». Pour l’instant, NUMSA encourage l’adhésion au Parti communiste, envisage la reconquête de classe du parti, sans négliger les autres alternatives.
Car, avec lucidité, le syndicat a conscience de l’agenda opportuniste de certains leaders populistes qui visent à créer une autre organisation, à côté de l’ANC et du Parti communiste.
Ainsi, les « Combattants pour la liberté économique » (EFF en anglais) menés par Julis Malema, semblent sur le papier sur des positions révolutionnaires, marxistes et anti-capitalistes.
Or, NUMSA relève les ambiguïtés des positions de fond – la proposition de nationalisations sans contrôle ouvrier, le refus de s’engager dans la perspective du socialisme – et rappelle que ses dirigeants sont des « businessman », souvent liés au milieu des « tenderpreneurs », Julius Malema le premier d’entre eux, lui ancien chef de la branche jeunesse de l’ANC.
Pour le syndicat, priorité à la reconquête du Parti communiste, pas de flirt avec les démagogues de EFF, bien que – si la situation continue à se dégrader avec les dirigeants de l’ANC – rien n’est écarté.
La ligne du syndicat : animer les luttes, pousser pour des nationalisations, reconquérir un « bloc de classe »
Quelles perspectives dresse le syndicat des métallos à l’horizon 2014 ?
D’abord, continuer à animer les luttes. Le syndicat des métallos est sans doute le plus combatif en Afrique du sud. Le secteur de la sidérurgie avait connu une grande grève à l’été 2011. Cet été, c’est l’automobile qui a été touchée par une vague de grèves.
La priorité immédiate : augmenter les salaires, lutter contre la précarité (« les labour brokers »), contre la privatisation du patrimoine public et la poursuite de la ségrégation urbaine avec le « e-tolling ».
Ensuite, pousser pour mettre les nationalisations à l’ordre du jour.
C’est l’idée fixe de NUMSA, la ligne de fracture entre « révolutionnaires » et « réformistes ». Appliquer la Charte de la Liberté, nationaliser la grande industrie et les banques, impulser une politique de ré-industrialisation et de redistribution massive des richesses.
A noter que NUMSA insiste sur le terme même de « nationalisation », de reconquête des grands secteurs de la nation au profit du peuple, et non d’une vague « socialisation », aux contours flous.
Enfin, reconquérir un « bloc de classe révolutionnaire ». C’est le sens de la ligne adoptée finalement vis-à-vis de l’ANC, de la COSATU et du Parti communiste, malgré des tensions extrêmes.
Pas de rupture de l’alliance, pas de scission mais pas non plus un blanc-seing a-critique au nom de l’ « unité » : le syndicat des métallos s’engage comme force d’impulsion dans la reconquête des organisations révolutionnaires, de classe en Afrique du sud : la COSATU et le Parti communiste.