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Instaurer un embargo sur les négociations des APE

Patricia Handley s’entretient avec YASH TANDON, un économiste politique ougandais

D 9 avril 2010     H 18:50     A     C 0 messages


LE CAP, 2 avr (IPS) - Le respecté économiste politique ougandais, Yash Tandon, a uni sa voix à l’appel pour un moratoire concernant les négociations entre les pays africains et l’Union européenne (UE) sur les accords commerciaux appelés Accords de partenariat économique (APE).

Cela fait suite à l’appel lancé par Ablassé Ouedraogo, ancien ministre des Affaires étrangères du Burkina Faso et ancien directeur adjoint de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), selon lequel les négociations sur les APE entre l’Afrique de l’ouest et l’Union européenne devraient être suspendues.

Tandon travaille maintenant comme conseiller principal du groupe de réflexion intergouvernemental du Centre du Sud, basé à Genève, sur les pays en développement après avoir servi comme directeur exécutif dudit centre.

Il a visité le Cap comme conférencier au 86ème Dialogue ouvert à Harold Wolpe Memorial Trust au cours duquel il a décrit la situation des négociations sur les APE comme "un tournant pour l’Afrique".

Q : Que voulez-vous dire par le cours destructeur des APE ?

R : Les APE sont essentiellement motivés par des intérêts européens. C’est une négociation asymétrique... guidée principalement par des considérations de pouvoir exercé par l’Union européenne et par des gouvernements africains faibles qui dépendent de l’aide économique de l’Europe et de l’accès aux marchés en Europe. C’est une relation très inégale.

En outre, l’effet des négociations en ce moment est la fragmentation totale de l’Afrique. Un exemple : en Afrique australe, l’Afrique du Sud a refusé de signer l’APE provisoire, mais il a été signé par le Botswana, le Lesotho, le Swaziland et le Mozambique.

Ces pays seront en mesure d’importer des produits en provenance de l’Europe qui pourraient ensuite, à travers l’Union douanière d’Afrique australe (SACU), trouver leur entrée en Afrique du Sud.

L’Afrique du Sud pourrait prendre des mesures pour empêcher cela, mais de telles mesures démantèleront la SACU. J’espère que l’Afrique du Sud ne le fera pas car elle mettra simplement en œuvre ce que les Européens veulent. Les Européens veulent diviser et conquérir l’Afrique.

Le deuxième exemple est que des pays comme la Zambie et le Zimbabwe, qui étaient les membres fondateurs de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), ne font même pas partie des négociations avec l’Europe dans le cadre de la SADC.

Ils négocient au sein du [bloc] de l’Afrique de l’est. Ici encore, on a l’effondrement de la SADC et la création d’un nouveau bloc incluant le Zimbabwe et la Zambie, et qui est différent des groupements régionaux auxquels les Africains avaient adhéré dans le Traité d’Abuja.

Q : Quelle autre solution existe-t-il ?

R : Nous devons faire cela en deux étapes. Premièrement, nous devons instaurer un embargo sur les négociations avec l’UE jusqu’à ce que nous ayons notre maison en ordre. Tant que l’UE continue de faire pression sur nous et de contraindre chacun des pays à signer séparément, nous ne pouvons même pas penser à une autre solution. Nous avons le temps. L’Europe n’a pas le temps.

Ensuite je suggère que les chefs d’Etat de la SADC et des pays d’Afrique de l’est se réunissent pendant une demi-journée et donnent mandat à leurs ministres du Commerce de négocier un COMESA (Marché commun pour l’Afrique orientale et australe)- comme l’union douanière qui devrait inclure le COMESA, la SADC et la Communauté d’Afrique de l’est pour commencer à mettre en place ce qu’ils avaient conclu en 2008.

Ils devraient définir une période [pour harmoniser] leurs droits de douane et les questions complexes telles que les règles d’origine, la facilitation du commerce et du transport et les réseaux d’information.

Cela prendra du temps, mais ils doivent trouver des accords sur ces questions afin que ces pays lèvent premièrement entre eux les barrières au commerce et aux investissements, et à la circulation des personnes, avant qu’ils ne s’ouvrent au monde extérieur. Et par le monde extérieur, je veux dire aussi la Chine, l’Inde, le Brésil et les Etats-Unis.

Nos parlements doivent prendre leur responsabilité au sérieux. Aucun des parlements de nos pays n’est suffisamment informé de ce qui se passe.

Quelle ironie que nos parlementaires puissent consacrer beaucoup de temps à discuter des questions locales et ne soient pas conscients des problèmes de nature mondiale qui peuvent avoir de graves et irrévocables conséquences - sauf à grands frais - pour nos pays et notre région.

Les commissions parlementaires qui examinent les questions relatives au commerce et aux traités devraient obliger nos dirigeants à soumettre ces traités aux parlements pour qu’ils soient pleinement débattus, devant le public et les médias, afin qu’ils comprennent leurs implications.

Et s’ils pensent que les conséquences sont négatives pour nos populations, comme c’est en effet le cas, ils devraient refuser de ratifier ces traités.

Q : Quelle est la faisabilité de votre solution ?

R : Cela dépend de la volonté politique du leadership et du niveau de pression qu’il peut subir de la part du peuple et des intérêts économiques qui seront touchés par les EPA. C’est une question politique.

Dans nos pays, il y a des intérêts pour le secteur des exportations qui souhaitent entrer dans les APE, parce qu’ils veulent un accès au marché européen.

Mais [les petites et moyennes entreprises et industries] seront perdantes : les petites entreprises de fabrication de vêtements ; les entreprises qui fournissent localement des vivres ; les petits secteurs de fabrication qui produisent des biens et services pour le marché local, national ou régional.

Ces entreprises ne sont pas tellement impliquées dans les négociations et ne savent pas qu’elles seront sérieusement touchées si nous ouvrons les marchés à l’Europe.

Il est possible de renverser la situation si trois conditions sont satisfaites. Premièrement, à condition qu’il existe la volonté politique de la part de nos dirigeants. Deuxièmement, à condition que notre peuple et les parlements puissent faire pression sur nos gouvernements pour qu’ils soient sensibles aux besoins nationaux de nos pays.

Troisièmement, à condition que ces intérêts commerciaux et d’affaires dans nos pays qui dépendent du marché local et régional soient mobilisés pour soutenir leur cause, par opposition à la cause des industries tournées vers l’exportation. (FIN/2010)

Tiré du site International Press service (IPS)