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MAYOTTE : Chronique d’un mouvement social historique

D 6 janvier 2012     H 05:45     A Tibo     C 0 messages


De Septembre à décembre 2011 Mayotte la quatrième île de
l’archipel des Comores va connaître un mouvement social
historique. Sur ce territoire rattaché à la France en 1974 et
encore contesté en terme de droit international (pour l’ONU,
l’OUA ou encore la Ligue arabe l’occupation française est illégale).
Le 27 septembre un collectif composé de syndicats (Cisma/CFDT,
CGTMa, CGC-CFE et plus tard FO), des associations (Solidarité
Mahoraise, Association des consommateurs de Mayotte
(Ascoma)) et des collectifs tel le "Collectif des citoyens perdus"
(né lors de la première mobilisation contre la vie chère de 2009)
vont appeler à la grève générale illimitée et à la mobilisation.

Des revendications égalitaires.

Cet appel est issu d’un mois de tractation pour les composantes
de ce que l’on va baptiser « l’intersyndicale ». Ces derniers
conviennent d’une mobilisation autour de la thématique de la
« Vie chère ». Ce mot d’ordre regroupe une revendication simple
la baisse des prix de 380 produits de première nécessité. Mais
devant l’ampleur de la revendication l’intersyndicale s’accorde sur
la baisse dans un premier temps des prix pour 10 produits (les
ailes de poulet, les sardines, le riz, la viande, la farine, le lait, le
sucre, les tomates, le sable et le gaz). La première phase d’une
mobilisation qui souhaite remettre en cause la société de
consommation, un développement vecteur d’inégalité. Pour ce qui
est des forces politiques en présence si ce n’est les élus qui vont
se joindre au mouvement afin de couvrir leur intérêt de
bourgeoisie locale, les organisations politiques ne participeront
quasiment pas au mouvement social en tant que tel. Un gréviste
s’exprimait ainsi à la troisième semaine du mouvement : « Tu
sais c’est la première fois que l’on conteste vraiment à
Mayotte on est pas habitué... » A noter que les organisations
politiques de tradition « contestataires » sont quasiment absentes
de l’île. Les raisons sont sans nul doute à trouver dans le statut
particulier de Mayotte, ainsi le PCF de La réunion a t il apporté
son soutien au mouvement non sans que les journalistes
n’égratignent ce dernier de leurs commentaires acerbes rappelant
que le PC réunionnais contestait la présence française à
Mayotte... Il semble difficile pour la presse mahoraise à Mayotte
de vouloir se battre pour l’égalité de tous et en même temps de
contester une réalité coloniale, l’égalité serait donc bien loin
d’être une valeur universelle...
La mobilisation de septembre fait suite à une première
mobilisation en 2009 en écho au mouvement du LKP dans les
Antilles, mouvement qui avait déjà été sévèrement réprimé par
les autorités publiques, les arrestations intervenant plus de 6
mois après la fin des grèves... Ces mouvements avaient la même
thématique mais n’avaient mobilisé principalement que les
habitants de Petite Terre (seconde île de Mayotte qui comprend
en fait plusieurs îlots).
En 2011 ce sera une mobilisation qui va intervenir 5 mois après
l’accession de Mayotte au statut de 101ème département
français, mais comme le disait le préfet de l’époque (qui sera
distingué par le prix Papon par les associations de défense des
migrants) un département c’est avant tout des devoirs avant des
droits... Dur nouvelles pour les mahorais qui attendaient depuis
des décennies ce département. Nul doute que la diaspora
mahoraise va aussi jouer un grand rôle dans le déclenchement du
mouvement car c’est elle qui va alerter les habitants de Mayotte
sur la situation ubuesque de l’économie mahoraise.

Une économie d’inégalité.

Une économie où les prix des denrées sont supérieurs à ce de la
métropole depuis la fermeture des frontières économiques et
humaines décidée dans les années 90 afin de développer le
territoire... Mais des salaires qui restent eux bien inférieurs à la
moyenne métropolitaine, le RSA n’existe pas comme l’ensemble
des aides sociales que l’on retrouve dans la France métropolitaine
et le SMIC n’est toujours pas l’équivalent de celui de la
métropole... Une situation sociale et salariale catastrophique pour
l’ensemble de la population à l’exception d’une grande majorité
des métropolitains de l’île expatriés et surpayés grâce aux primes
dont une ironiquement baptisée « prime contre la vie chère »...
C’est ce qui explique en partie la désertion des métropolitains des
mobilisations, même si l’aversion de ces derniers pour les
manifestations va plus révéler le renouveau d’un esprit colonial
mal assumé et une inégalité intériorisée pour nombre de
métropolitains. Le statut de colonie de Mayotte sera tellement
criant lors de cette lutte que certains mzungus (= blancs) vont
très vite retrouver les réflexes que l’on pensait disparus depuis
l’Algérie des années 60 ; mais que la politique répressive des
autorités, inspirée tout droit de la guerre contre révolutionnaire
menée en Algérie, va refaire jaillir.

Les différentes phases de la mobilisation.

Cette mobilisation de plus de 44 jours va connaître différentes
phases. La répression décidée par les autorités locales dans les
premières heures du mouvement va radicaliser ce dernier. Ainsi
dès le 28 septembre 2011 le préfet va décider de déployer devant
plusieurs centaines de manifestants pacifistes les deux blindés de
maintien de l’ordre de la gendarmerie stationnés dans l’ensemble
des Dom Tom depuis les manifestations des Antilles (Laissant
penser que les DOM TOM restent des pays de « sauvages »). Ce
déploiement inimaginable de forces de l’ordre va cristalliser les
tensions entre grévistes, soutenus massivement par la
population, et les autorités. Des autorités qui n’auront de cesse
d’aller crescendo dans la violence déployée à l’encontre des
manifestants. Les tirs de grenades lacrymogènes, de grenades
assourdissantes et de flash ball deviennent le lot quotidien de
chaque journée de mobilisation. Un choc pour une population qui
avait toujours perçu la France comme la mère protectrice... Cette
violence va faire son lot de victimes un enfant de neuf ans va
perdre son oeil à la suite d’un tir de flash ball¹, tout comme un
adolescent de 14 ans qui perdra quand à lui sa mâchoire dans
des circonstances similaires ; et enfin la mort dans des
circonstances troubles d’un manifestant fuyant la violence
policière.
Mais un tel acharnement de la force publique ne va pas parvenir
à démobiliser la population et va bien au contraire faire grossir les
rangs des contestataires toujours plus nombreux jusqu’à
atteindre plus de 15 000 manifestants pour une île qui compte
200 000 habitants le 13 octobre. Le seul effet que cette politique
répressive va développer c’est le blocage partiel puis total de l’île
et notamment des activités économiques. Les barrages vont
fleurir partout sur l’île à l’issue de la troisième semaine dans le
but d’éviter toutes confrontations avec les forces de l’ordre qui
ont reçu d’importants renforts (comme le GIPN de la Réunion).
Un blocage qui va caractériser le mouvement sur les dernières
semaines de mobilisation même si cette stratégie n’évitera pas
toujours les incidents avec les forces répressives, incidents qui
tourneront généralement à la faveur des grévistes (ce qui pèsera
d’ailleurs dans les négociations). Mais un blocage qui va
également cristalliser les tensions entre la communauté
métropolitaine et le reste de l’île. Car le blocus économique met à
mal des traditions de consommation². Les incidents qui
émailleront les blocages, deviendront très vite un outil pour les
autorités qui s’appuyant sur un appareil médiatique tout acquis
au discours gouvernemental n’hésitera pas à donner un caractère
racial à des incidents qui opposaient seulement grévistes et non
grévistes comme l’on voit parfois en marge des mobilisations en
métropole. Un exemple de la doctrine contre-révolutionnaire,
l’outil favori des autorités gouvernementales dans les colonies
(dont les DOM TOM), que l’on hésitait pas à proposer à Ben Ali
d’ailleurs début 2011.
Les âpres négociations qui vont accompagner ces 44 jours de
grève ne trouvant pas d’issue et les tensions se faisant plus fortes
autour des barricades une pause est décidée par le mouvement
social sans que les négociations n’aient aboutit.
Le mouvement social ne reprendra qu’un mois plus tard le 19
décembre et ne durera cette fois ci que 2 jours. La signature d’un
accord si rapide tient sans nul doute à l’essoufflement du
mouvement et aux craintes de l’intersyndicale de voir ce
mouvement devenir impopulaire si la lutte devait à nouveau
s’éterniser³.

La fin d’une lutte ?

L’accord trouvé en décembre 2011 reste encore loin des
exigences des grévistes. Cet accord ressemble sans nul doute à
une tentative de sortie de crise. Ce qui apparaît plus exact c’est
que ce mouvement n’est que la prémisse d’autres mobilisations.
Ce mouvement est le début d’un vaste mouvement social qui se
cherche encore. Il a constitué une véritable onde de choc pour la
population en mal de débouchés politiques... Une population qui
n’a pas la tradition de la contestation et de la lutte sociale (il
n’était pas rare qu’avant chaque manifestation ou action soit
entonner successivement prières musulmanes et Marseillaise. Le
drapeau français fleurissait aux côtés des drapeaux syndicaux et
de certains autres à l’effigie de Mandela...). Chaque jours les
syndicalistes synthétisaient l’avancement des négociations et
déterminés les stratégies à venir en consultant leur « base » à
travers les assemblées populaires ouvertes à tous et toutes qui se
tenaient de manière journalière sur la place de la République
rebaptisée pour l’occasion place Tahrir...
Même si plusieurs bémols sont à noter dans ce mouvement (le
comportement pas toujours très clairvoyant de certains grévistes
bloquant les véhicules de secours, des incidents prenant parfois
un caractère communautaire sur certains barrages) comme dans
chaque mouvement populaire ; la force de ce dernier aura sans
nul doute d’être populaire et de faire entrer la société mahoraise
dans une phase de contestation de son sort et d’aspiration à
l’égalitarisme. Si la remise en cause d’un statut de colonie a
gagné les rangs de la contestation, cette remise en cause était
encore simplement de surface pas question pour autant de
remettre en cause la présence française à Mayotte, la volonté
affichée était celle de devenir un département comme un autre.
Autre bémol et pas des moindres l’isolement dont aura été
victime ce mouvement au contraire du mouvement des Antilles
qui avait suscité un élan de solidarité important en métropole. En
France cette solidarité va prendre un caractère communautaire,
les mobilisations de soutien ne vont se créer qu’autour de la
communauté mahoraise vivant en France observée par les
médias tel une bête curieuse, pas vraiment comme des citoyens
égaux à part entière... Un statut qui n’est pas sans rappeler celui
des Algériens des années 60, les français musulmans comme l’on
disait à l’époque (des français de seconde zone). Un peu comme
si Mayotte avait certes voulu être française mais n’avait pas
réellement demander l’avis de la France, la France voulait-elle de
Mayotte ??? Alors évidement on peut trouver beaucoup
d’explication à un tel mutisme en France (même si certaines
sections syndicales françaises ont apporté leur soutien), y
compris le mutisme du mouvement social et de celles et ceux qui
la composent (isolement du territoire, black-out médiatique, relais
d’informations contradictoires, précarité des moyens de
communications locaux, rôle ambigü de la communauté
métropolitaine présente sur l’île, …). Il n’empêche qu’à l’heure où
une population vivait un mouvement historique aux
revendications populaires héritées de la spirale des révoltes de la
faim, les grévistes mahorais ont vécu un isolement insoutenable
et une indifférence devant des aspirations à l’égalité. Le seul
soutien notable du mouvement restera celui du LKP aux Antilles.
Les revendications de la vie chère de l’égalité, de la fin du
colonialisme dans les DOM TOM, ne serait-il que l’apanage des
seuls DOM TOM ? L’anti-colonialisme et la justice sociale des
thèmes obsolètes pour la métropole ?

Tibo

¹Le policier déclarera à postériori s’être senti menacé par une
bande de dix gamins de 10 ans à peine face à trois agent de
police surarmé, y a pas à dire le rapport de force est là, comme
quoi la révolution tient à peu de chose)

² Tradition plus ancrée chez les métropolitains que chez les
autres habitants de l’île pour qui la société de consommation n’a
que 15 ans avant cette date pas de supermarché sur l’île

³La perspective de reprise du mouvement social va développer la
psychose au sein de la population la population se jetant sur les
denrées de première nécessité dans la crainte d’un nouveau long
conflit social, le riz va même venir à manquer sur l’île la veille du
19 décembre.