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À Madagascar, un roman veut faire entendre « la voix des victimes » de violences sexuelles

D 13 mars 2024     H 07:00     A     C 0 messages


À Madagascar, le Docteur Hary Rabary, autrice et gynécologue, a écrit un premier roman appelé #Zakoa, traduction de #Metoo, ce mouvement social encourageant la prise de parole des femmes victimes de violences sexuelles. Elle y décrit des pratiques liées à ce que la chercheuse Jessica Lolonirina Nivoseheno qualifie de « culturel du viol » dans ce pays.

À Madagascar, c’est un premier roman qui devrait faire date : #Zakoa, traduction du célèbre #Metoo, est signé par l’autrice et gynécologue Hary Rabary.

Inspiré de faits réels contemporains, le roman retrace le calvaire d’une écolière violée par son enseignant, répudiée par ses parents, puis à nouveau soumise à l’enfer des viols en réunion à son arrivée à l’Université d’Antananarivo. Une confrontation sans fard à des pratiques sombres et ostensiblement tues.

« Je plaide non coupable pour quitter le banc des accusées où tu m’as acculée pendant tant d’années. » « Le médecin de garde a déclaré à ma mère que c’était certainement la complication d’un avortement clandestin. » « Au lieu de vous juger, de vous blâmer, vous, les monstres qui m’avez agressés, la société vous a acclamés comme si vous étiez des héros. »

Page après page, la protagoniste de #Zakoa pose des mots sur ce qu’elle a enduré. Un poids dont elle veut se libérer. Pourtant, le Docteur Hary Rabary a longtemps hésité avant d’écrire ces phrases. Elle sait combien le sujet est sensible, elle qui reçoit au moins une victime de viol par semaine, en consultations à l’hôpital militaire de Diego.

Puis, un jour, elle s’est lancée : « Ce roman a plusieurs objectifs, mais le principal, c’était de faire entendre la voix des victimes, qu’une victime est une victime et non une coupable. Je ne dirais pas que la société protège les agresseurs, mais qu’elle est indifférente. Et ça, ce n’est plus possible parce que la souffrance des victimes est réelle, autant physique que mentale. Il faut que ça s’arrête. »

Moins direct mais tout aussi efficace, le récit met le doigt sur les violences banalisées commises par le corps médical. « C’est certain que ça va déranger la société et la profession médicale. Mais c’est un risque que je prends, lance le Docteur Hary Rabary. Et j’espère que ça va créer un électrochoc, que ça va réveiller les consciences ».

Aussi glaçant soit-il, #Zakoa se veut cependant un roman plein d’espérance. « De ce livre, il faut aussi retenir que tout n’est pas fini, même si on a subi autant de violences, conclut le Docteur Hary Rabary. C’est vrai, il faut une grande capacité de résilience. Mais nous, la société, nous avons aussi une responsabilité dans le soutien de ces gens-là ».

Madagascar en est effectivement aux balbutiements en matière de prise en charge et de suivi des victimes. Le roman, sélectionné en compétition pour plusieurs prix littéraires, est un beau coup de projecteur sur une vérité crue, encore tabouisée.

Avec notre correspondante à Antananarivo, Sarah Tétaud

Malgré des évolutions légales, « il y a vraiment une culture du viol à Madagascar », selon la chercheuse Jessica Lolonirina Nivoseheno

À Madagascar, les choses seraient-elles en train d’évoluer ? Légalement, oui. En 2019, Madagascar s’est dotée d’une loi relative à la lutte contre les violences basées sur le genre, introduisant notamment la notion de viol conjugal. Début février, les peines encourues par les violeurs de mineurs ont été durcies : sur proposition du gouvernement, les Parlementaires ont voté notamment l’autorisation de la castration chimique et chirurgicale.

« Un pas en avant », selon Jessica Lolonirina Nivoseheno, chargée de recherches et de formations au sein du mouvement Women Break the Silence. Même si, selon elle, la « culture du viol reste ancrée à Madagascar ».

« Il y a vraiment une culture du viol à Madagascar, assure-t-elle au micro de Sarah Tétaud. On est en train de normaliser certains cas de violences sexuelles, de minimiser aussi la gravité de ces cas-là. On est déjà en 2024 et il y a encore des cas où, arrivés au tribunal, les agresseurs sont relaxés au bénéfice du doute. Et pire, il y a des cas où les cas de viols se règlent en famille et à l’amiable. Sans prendre en compte le côté dommages psychologiques pour la victime. Qui sont les acteurs de la prise en charge ? Quel est le suivi proposé ? Là est la question ».

Elle poursuit : « Oui, les langues commencent à se délier, mais pas dans tout Madagascar. Même s’il y a une loi, même s’il y a les institutions étatiques et de plus en plus d’organisations de la société civile qui militent contre ces violences et incitent à briser le silence, il reste quand même des tabous. Si vraiment l’État prenait des initiatives drastiques, les cas de viols devraient diminuer. »

Interrogée sur les évolutions légales à Madagascar, Jessica Lolonirina Nivoseheno conclut : « Oui, c’est une avancée, parce que c’est une peine dissuasive. Ça pourrait empêcher les potentiels agresseurs à passer à l’acte. À une condition, si elle est vulgarisée : c’est-à-dire que nous, en tant que personnes lambda, en tant que citoyens, on soit au courant de l’existence et de l’importance de cette nouvelle peine. »