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De nombreux réfugiés du Burundi n’ont pas l’intention de rentrer chez eux

D 17 juin 2015     H 05:53     A IRIN     C 0 messages


KIGOMA - Si vous demandez à un réfugié burundais récemment arrivé en Tanzanie quand il pense rentrer chez lui, il est fort probable qu’il réponde « je n’en ai pas l’intention ». Et maintenant, une épidémie de choléra à la frontière rend le voyage encore plus dangereux.

Sur les 65 000 Burundais qui ont fui ces derniers jours, sur fond de manifestations contre la volonté du président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat et d’un coup d’État avorté, beaucoup avaient déjà fait ce même voyage précipité auparavant. Plusieurs évènements tumultueux au Burundi avaient déjà déclenché de grandes vagues de réfugiés. En 1972, le massacre des Hutus avait poussé 150 000 personnes à fuir le pays. Vingt ans plus tard, l’assassinat du premier président burundais hutu avait déclenché un exode d’un demi-million de personnes et une guerre civile qui a duré jusqu’en 2005.

Enfin, au cours de la crise politique actuelle, marquée par une répression policière violente, plus de 105 000 Burundais ont fui vers les pays voisins, dont le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC). Nombre de ceux qui quittent maintenant le pays sont nés et ont grandi dans un camp de réfugiés.

« J’ai passé ma vie à fuir », a dit Moise Ntiranyibagira, l’un des 60 passagers d’un bus se rendant à un centre de transit du port tanzanien de Kigoma. Il n’a vécu que la moitié de ses 35 ans de vie au Burundi.

« Beaucoup d’entre nous veulent arrêter de fuir. Nous voulons nous installer quelque part ailleurs, pas au Burundi », a-t-il dit à IRIN, expliquant que les troubles politiques n’étaient pas son seul problème.

« Je suis agriculteur. Mais je ne peux pas exercer mon activité. Le pays est petit et les gens sont nombreux. »

Le bus est rempli de bagages dont la nature prouve que les passagers ont prévu de ne pas rentrer avant un certain temps : panneaux solaires, matelas, vélos, cuisinières, etc.

Épidémie mortelle de choléra

L’exode actuel a entraîné une crise de santé publique majeure. Selon l’UNICEF, une épidémie de choléra a fait 27 morts. Quelque 50 000 personnes sont entassées à Kagunga, un village tanzanien coincé entre les montagnes et le lac Tanganyika.

Il n’est possible de quitter facilement Kagunga que par bateau. Chaque jour, environ 1 500 personnes sont transportées en ferry jusqu’au port lacustre de Kigoma

« La surpopulation et le manque d’hygiène ont donné lieu à une hausse du nombre de cas confirmés ou présumés de choléra et de diarrhée aqueuse aiguë chez les réfugiés [et] en l’absence de centre de traitement du choléra à Kagunga, le taux de mortalité pourrait devenir extrêmement élevé », a déclaré l’UNICEF.

La plage est noire de réfugiés, abrités sous des pare-soleils ou des palmiers. De Kagunga, ils sont transférés en bateau, à un rythme de 1 500 par jour, vers la ville portuaire de Kigoma, où le gouvernement tanzanien a mis le stade du lac Tanganyika à disposition pour servir de centre de transit.

Dans le stade, des dispensaires improvisés soignent des dizaines et des dizaines de patients atteints de diarrhée aqueuse aiguë. « Nous avons des centaines de cas et nous pensons que ce sont tous des cas de choléra », a dit Kahindo Maina, responsable en santé publique pour le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR).

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a alerté sur la « crise humanitaire grave » qui se développe en Tanzanie en raison de cet exode.

Sur l’un des bateaux transportant les réfugiés, Emablis Nyirogira, originaire du lac Nyanza, surveille son fils de cinq ans placé sous perfusion et dont la respiration devient de plus en plus difficile. Sur la couchette qui jouxte celle de son fils est étendu le corps d’une fillette qui n’a pas survécu, enveloppé d’un linceul.

« J’ai sept enfants et quinze mètres carrés de terres. Comment puis-je vivre ainsi ? » dit-il en haussant les épaules. « Je ne retournerai pas au Burundi. »

La terre, ou plutôt l’absence de terre, est un problème fondamental au Burundi. La grande majorité des habitants sont de petits agriculteurs, mais la production de leurs petites parcelles est à peine suffisante pour vivre et ne permet pas de dégager des profits. Le taux d’accroissement démographique élevé et le retour depuis la fin de la guerre d’un demi-million de réfugiés rendent ce problème, qui est directement lié à la question de la sécurité alimentaire, encore plus pressant.

« Nous sommes en fuite depuis 1965. »Les réfugiés rentrés au Burundi ont le droit de réclamer les terres qu’ils ont abandonnées des années plus tôt et une commission a été spécialement créée pour prendre en charge la réinstallation des réfugiés et résoudre les conflits de propriété.

Des milliers de différends n’ont cependant pas encore été résolus et les décisions de la commission sont souvent cassées par les tribunaux.

Outre les problèmes fonciers, les réfugiés de retour au Burundi se sont retrouvés confrontés à bien d’autres difficultés liées à l’emploi, à la bureaucratie, à la discrimination, à la langue et à l’alimentation.

Dans le bus, Japhet Nzambimana, étudiant de 25 ans à l’université du Burundi à Bujumbura, fermée par le gouvernement aux premiers jours des manifestations, a expliqué :

« Ceux qui sont pour le président comme ceux qui sont contre sont partis. »

Selon lui, les réfugiés n’ont pas un profil ethnique particulier. « Nous sommes tous dans le même bateau, nous avons juste peur de la guerre. »

« C’est aussi à cause de la pauvreté. Les gens n’ont pas d’argent, ni de quoi se nourrir. »

Dans le stade de Kigoma, qui accueille actuellement 4 000 réfugiés, un certain nombre de personnes ont signalé que la présence et l’intervention renforcées des forces de sécurité de l’État et notamment de la police étaient l’un des facteurs les ayant incités à partir. Selon ces personnes, la police bloquait les routes pour vérifier les papiers de la population, demandait des pots-de-vin aux barrages routiers et commettait des vols.

Un stade de Kigoma a été transformé en centre de transit pour les réfugiésCertains ont rapporté que les sympathisants de M. Nkurunziza avaient empêché des personnes de fuir en Tanzanie et que la sécurité se détériorait dans la province de Makamba, au sud du pays.

« Ils empêchaient les gens de se déplacer », a dit Andrea Basigivyahbo, 65 ans. « Nous avons commencé à craindre les problèmes. »

M. Basigivyahbo avait déjà fui le Burundi à quatre reprises, une fois pour la RDC et trois fois pour la Tanzanie. « J’ai fui tant de fois, que cette fois-ci je prévois de rester. Je ne veux pas retourner là-bas. »

« Nous sommes en fuite depuis 1965 », a-t-il dit. Cette année-là, une tentative de coup d’État dirigée par des officiers de l’armée avait donné lieu à des purges et une répression de la majorité hutu.
« Nous n’avons jamais pu acheter de terres », a-t-il ajouté.

Entre la mauvaise gouvernance en haut de l’échelle et le manque de nourriture en bas, M. Basigivyahbo, qui est opposé à la décision de M. Nkurunziza de se porter candidat pour un troisième mandat, a en effet peu de raison de rester au Burundi. Même en tant que citoyen burundais, il doit se contenter de vivoter.

De nombreux réfugiés gardent un bon souvenir de leurs années passées en Tanzanie. Une femme qui attendait le bateau pour Kigoma à Kagunga, a dit qu’elle avait suivi exactement le même parcours en 1993.

Les Tanzaniens « avaient été si accueillants à l’époque que nous avons pensé que c’était la meilleure option », a-t-elle dit.

Pendant des dizaines d’années, la Tanzanie s’est en effet montrée généreuse envers les réfugiés burundais et elle a récemment entamé un processus visant à accorder la citoyenneté à 162 000 d’entre eux. Mais le pays a également mis un terme au statut de réfugié de 40 000 Burundais en 2012.